La bibliothérapie et les soins palliatifs
En décalé La bibliothérapie et les soins palliatifsBibliothérapeuthe, Katy Roy travaille avec les mots et les symboles pour soigner l’âme. En 2010, elle a fondé au Québec La Bibliothèque Apothicaire (La BA), une « pharmacie remplie d’histoires et de poèmes pour explorer notre propre histoire et éclairer le sens de nos expériences ». Elle réalise en ce moment un doctorat de recherche en psychologie à propos de sa pratique professionnelle. En 2011, elle a signé un article au sujet de la bibliothérapie dans l’Encyclopédie sur la mort. Qu’est-ce que la bibliothérapie et comment peut-elle s’inscrire dans la démarche d’accompagnement en soins palliatifs? C’est ce que l’équipe de VigiPallia a cherché à savoir au cours d’une entrevue avec Katy Roy, lors de son passage en France dans le cadre d’un projet de résidence. VigiPallia (V) : Bonjour Katy Roy, nous vous remercions d’avoir accepté cette entrevue. D’entrée de jeu, pouvez-vous nous dire en quelques mots ce qu’est la bibliothérapie ?
V : Comment êtes-vous « devenue » bibliothérapeute ? Avez-vous suivi une formation spécifique ? V : Existe-t-il un consensus sur les fondements et la pratique de la bibliothérapie ? Qu’elle est votre vision personnelle de ce métier ? K : On distingue plusieurs formes de pratique de la bibliothérapie selon les lieux, les facilitateurs, les participants, les techniques ou les buts recherchés. Dans la littérature scientifique autour du sujet, il est surtout question, dès 1978, de deux types de bibliothérapie : une bibliothérapie clinique et une bibliothérapie créative. La bibliothérapie dite clinique est surtout pratiquée par des médecins et des professionnels de la santé, qui ont recours à des livres de psychologie populaire (self-help books) traitant de la pathologie de leur patient ; très peu de cliniciens utilisent la fiction. A contrario, l’ouvrage de fiction est la matière première du bibliothérapeute créatif. Mais ce qui distingue surtout la bibliothérapie créative de la bibliothérapie clinique, c’est qu’elle est perçue comme un outil de développement personnel et d’amélioration du bien-être plutôt qu’un traitement relié à certaines pathologies. C’est le type de bibliothérapie qui m’a intéressé et à partir duquel j’ai développé le projet de La BA. V : Au quotidien, comment pratiquez-vous votre travail de bibliothérapeute ? Quels sont vos principaux outils ? K : Ma méthode de travail est teintée de mes expériences avec l’imagerie mentale. Dans le cadre des rencontres individuelles et des ateliers de groupe, j’allie la bibliothérapie et l’imagerie mentale dont le cœur est le symbole. C’est pourquoi je parle, à la lumière de ma pratique, de bibliothérapie symbolique. L’imagerie mentale est une technique où la personne est amenée à symboliser une difficulté, un événement ou encore une personne avec laquelle elle est en relation. Dans l’imagerie mentale, il ne s’agit pas d’interpréter, il suffit de travailler en restant très proche du symbole. L’accompagnant guide la personne pour laisser se déployer ce symbole. Ce scénario qui se construit au fil de l’imagerie laisse voir la relation que la personne entretien avec ce symbole et quelle émotion ce dernier génère. De la peur, de la fuite, un désir de violence, une tristesse, une fusion, de la joie, de l’amour… Dans l’imagerie mentale, nous retrouvons les mêmes principes que ceux de la dramaturgie. Un événement déclencheur survient autour d’un personnage et génère en lui une émotion. À cet événement est souvent rattaché un opposant que le personnage doit affronter (qui peut être une personne ou une émotion) et l’aide d’un adjuvant est souvent d’un grand secours pour résoudre l’histoire. Le texte choisi dans la rencontre en bibliothérapie peut, entre autres, jouer le même rôle que celui d’un symbole. Un élément du texte qui interpelle davantage la personne devient le point central à partir duquel explorer. Cette exploration permet souvent de faire des liens entre certaines de nos réactions et des expériences primaires que nous avons eues et qui ont créé certains mécanismes en nous. V : Vous êtes à l’origine de La Bibliothèque Apothicaire. De quoi s’agit-il exactement ? K : La première activité que j’ai mise en place avec La BA est une installation que j’ai fini par nommer La BA du passant. Comme son nom l’indique, l’activité de La Bibliothèque Apothicaire du passant est tenue dans un lieu passant où les gens peuvent s’arrêter spontanément pour une rencontre brève de 15 à 20 minutes. J’ai eu l’occasion de réaliser cette activité dans différents contextes : bibliothèques, écoles, festivals, milieu de la santé, organismes sociaux, prisons, entreprises. Les participants sont conviés à prendre place dans l’installation. Comme point de départ, je les invite à partager un élément qui les concerne : un questionnement, une expérience de vie, un élément qu’ils voudraient explorer, un besoin. À partir de ces informations, je fais le choix d’une lecture : un conte, un poème, un extrait de roman. Vient ensuite le moment de lecture à voix haute du texte sélectionné. C’est le plus souvent moi qui fais la lecture. Les participants sont ensuite invités à partager leur ressenti face au texte. Qu’est-ce qui les interpelle, les questionne dans celui-ci ? Quelle lecture font-ils de l’histoire ? La personne finit souvent par se reconnaître au travers des éléments retenus et de sa vision du texte. Je peux aussi demander à la personne de laisser surgir spontanément un symbole pour se représenter l’élément de départ partagé ou un élément du texte qui retient son attention. Nous travaillons ensuite autour de ce symbole avec l’outil de l’imagerie mentale. J’ai aussi au cours de la dernière année développé le format des rencontres individuelles d’une heure en cabinet privé au Québec, avec des personnes qui souhaitent explorer certains questionnements concernant des relations conflictuelles au travail ou dans leur sphère personnelle. V : A ce jour, plusieurs milieux de soins de part et d’autre de l’Atlantique ont bénéficié de votre expertise en bibliothérapie. Pouvez-vous nous parler de ces expériences ? K : Un autre format de travail dans lequel a pu s’inscrire la bibliothérapie est celui de la résidence de médiation culturelle. J’ai eu l’occasion de réaliser des résidences en milieu communautaire et dans des milieux de soins. Lorsque l’on parle de résidence, il s’agit d’une présence soutenue dans un lieu et auprès des usagers de ce lieu pour une période déterminée. La résidence peut mener à la réalisation d’un projet artistique par les participants ou encore par la personne en résidence.
Par exemple, entre mars et juin 2017, j’ai réalisé une résidence à l’hôpital psychiatrique de Malévoz, en Suisse. J’y ai animé des rencontres individuelles et des rencontres de groupes autour de la bibliothérapie. Au terme de ma résidence, les témoignages, les rencontres et les discussions qui en ont émergé ont servi d’inspiration à un spectacle théâtral déambulatoire présenté dans le jardin de l’hôpital, permettant de poétiser l’expérience du patient. Encore plus récemment, j’ai mené une résidence d’une semaine au Centre de détention pour hommes de Rennes-Vezin.
V : À votre avis, qu’est-ce que la bibliothérapie peut apporter dans un contexte de fin de vie ? K : La lecture d’un texte et le travail avec le langage symbolique constituent des expériences qui permettent d’actualiser, de mettre à jour et de renouveler certains de nos mécanismes. Il s’agit ici de découvrir, par l’intermédiaire d’un texte, quels sont les autres avenues, les gestes, les manières de penser, les perceptions de soi, de l’autre et du monde. En s’ouvrant aux possibles, c’est notre territoire identitaire qui prend de l’expansion. Dans un contexte d’accompagnement en fin de vie, ces possibilités que propose la bibliothérapie peuvent permettre de donner un sens à des expériences de vie qui ont été marquantes ou encore de saisir les subtilités de certaines relations interpersonnelles pour en percevoir la richesse ou en dénouer certains fils qui auraient pu s’emmêler au gré des années. Pour reprendre une image de Marcel Proust, on peut dire que l’écrivain offre au lecteur une paire de lunettes, une perception particulière, afin de lui permettre de découvrir à propos de lui-même quelque chose qu’il n’aurait peut-être jamais expérimenté autrement. Et la raison pour laquelle la littérature et l’imaginaire nous offrent cette possibilité, c’est qu’ils utilisent le langage symbolique, un langage qui rejoint nos dynamiques profondes et qui nous structure. V : Comment choisissez-vous les livres ? Auriez-vous des titres à suggérer pour une personne en fin de vie ? Pour ses proches ? Pour les soignants ? K : En fait, je ne travaille directement avec les pathologies ou les évènements thématiques. C’est-à-dire que je ne sélectionne pas les lectures en fonction de faits rationnels, dans le cas présent une personne en fin de vie, mais plutôt en fonction de l’expérience personnelle de celle-ci. Il me paraît important de ne pas avoir une idée fixe sur le choix de lecture en fonction d’éléments extérieurs à la personne. Ma bibliothèque comprend environ 80 textes et extraits ; je sélectionne l’un d’eux sur le moment en fonction de l’échange que nous partageons. C’est un peu différent lors des ateliers de groupe. Je prends alors souvent comme point de départ un symbole – par exemple la maison, qui peut symboliser notre manière d’être et notre construction intérieure–, puis l’échange qui s’ensuit avec les participants me permet d’orienter mes interventions en fonction de leurs lectures personnelles. V : Les patients qui ont bénéficié de vos services sont-ils de grands lecteurs ? K : Pas nécessairement. Ce qui est le plus amusant, c’est que mes interventions auprès des lecteurs gourmands sont habituellement plus complexes. C’est qu’il leur faut plus de temps pour réagir au texte par une réponse émotive, puisqu’il faut d’abord déconstruire leurs réflexes intellectuels face au texte. Avec des personnes qui n’ont pas de schéma organisé autour de la littérature, l’expérience est plus directe. V : De manière générale, quel est le retour d’expérience des participants que vous avez accompagnés ? K : Plusieurs participants témoignent de leur impression d’avoir de nouvelles perspectives qui se sont ouvertes à eux. Certains ont envie de continuer un cheminement personnel avec la bibliothérapie, puisque cet outil s’intègre bien à une réflexion quotidienne, bien que l’accompagnement avec un facilitateur puisse permettre d’approfondir certains aspects de soi que l’on a davantage de difficulté à apprivoiser sans témoin bienveillant extérieur. V : Qu’est-ce qui vous attend pour les prochains mois ? Quels sont les projets à venir à La BA ? K : Je retourne au Québec où je reprendrai mon projet doctoral autour de la bibliothérapie, qui me permet entre autres de théoriser les expériences pratiques que j’ai menées depuis bientôt une dizaine d’années. Parallèlement, je travaille à mettre sur pied une formation adressée aux accompagnateurs (thérapeutes, soignants, proches aidants, etc.) pour leur permettre d’intégrer l’approche de la bibliothérapie dans leur travail respectif. Enfin, je souhaite développer davantage les retraites de bibliothérapie de quelques jours à quelques semaines, tant au Québec qu’en France et en Suisse. Puis je reste toujours ouverte à la réalisation d’autres résidences dans les milieux de vie, de soin et d’éducation en Europe. V: Merci infiniment Katy pour cette entrevue. Nous vous souhaitons bonne continuation !
Pour en connaître davantage sur Katy Roy et son projet : La Bibliothèque Apothicaire Références bibliographiques : La Bibliothèque Apothicaire. (s. d.). Consulté à l’adresse http://labibliothequeapothicaire.com/ La Bibliothèque Apothicaire et la bibliothérapie (Encyclopédie sur la mort ). (s. d.). Consulté à l’adresse http://agora.qc.ca/thematiques/mort/dossiers/la_bibliotheque_apothicaire_et_la_bibliotherapie Ouaknin, M.-A. (2015). Bibliothérapie: lire, c’est guérir. Paris: Éditions Points. Tukhareli, N. (2014). Healing through books: the evolution and diversification of bibliotherapy. Lewiston : Edwin Mellen Press. |
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