La mort dans One Piece
En décalé La mort dans One PieceLorsque l’on parle de la mort dans la littérature, il peut paraître étrange de s’attarder sur l’art des mangas, tant celui-ci est associé à la littérature de divertissement. Il est encore plus étonnant de décrypter les représentations de la mort à la lecture du manga One Piece dont l’intrigue principale tourne autour de la piraterie et de ses modes de fonctionnement (aventures, honneur, etc.). Des personnages atemporels Le manga One Piece fait vivre ses personnages dans l’atemporalité. Naturellement, le seul fait de représenter par l’image des personnages, réels ou fictifs, comme c’est le cas de la gravure ou de la photographie, est une façon de les fixer hors du temps. N’étant pas dans la « vraie vie », ils ne peuvent mourir « en vrai ». Mais, dans le manga, Luffy, Zoro, Nami, Usopp, Sanji, Chopper, Robin, Franky et Brook (l’équipage du Chapeau de paille) font partie d’une histoire. L’étrangeté est que la dimension temporelle, dans laquelle se déroule le récit, concerne peu les personnages eux-mêmes. Ils ne meurent pas, malgré la gravité de leurs blessures. Ils ne vieillissent pas non plus. C’est d’autant plus vrai pour Brook qui est revenu à la vie après l’empoisonnement de tout son équipage, grâce au Fruit de la Résurrection (Yomi Yomi no mi en japonais) ou de Franky qui, après s'être interposé face au train des mers et, presque mort, s'est rafistolé sur un bateau et fonctionne au cola (comme une voiture fonctionne à l’essence).
Même quand tout change autour d’eux, que le trait du dessinateur, Eiichiro Oda, évolue et que les héros changent de posture, ils restent fixés dans l’âge de leur première apparition, ou à peu près : l’équipe du Chapeau de paille n’a pris que 2 ans en 20 ans d’aventures publiées. One Piece, en cela, ne fait pas figure d’exception, d’autres séries, sous la forme de mangas ou de BD, utilisent ce procédé.
Cependant, là aussi comme de nombreuses séries, Oda a introduit une dimension temporelle qui fait disparaître les personnages au profit de leurs descendants ou les fait réapparaître après leur mort, comme Pell.
La mort est-elle réellement absente de One Piece ? L’exemple de la série One Piece montre que la mort y a de multiples dimensions. Les aventures du Chapeau de paille commencent sous le signe de la mort. Dès le début de la première de ses aventures, on assiste à la naissance de la légende du One Piece (un trésor sans commune mesure) qui s’accompagne de l’exécution du Seigneur des Pirates : Gol D Roger.
On compte, depuis, pas moins de 137 morts évoquées (flash-backs) ou vécues (comme celles du frère de Luffy, Ace, ou de Barbe blanche). Les évocations à la mort sont encore plus nombreuses si l’on compte les situations de mort auxquelles échappent sans cesse tous les personnages : combats singuliers, noyade (tout personnage qui mange l’un des Fruits du Démon coule dans l’eau), explosions, échanges de coups de feu avec l’armée gouvernementale, entres autres. Pour Luffy, la mort est toujours de l’ordre du risque ou de la menace potentielle (sa tête est mise à prix). Brook est dessiné sous la forme d’un squelette. Perona, une ennemie de l’équipage rencontrée sur l’île Thriller Bark, a mangé le Fruit de l'Ectoplasme (Horo Horo no Mi en japonais). Cela lui permet de créer des fantômes, mais aussi de prendre une forme « astrale » pour traverser les murs.
La mort prend ensuite une nouvelle dimension avec les morts avérées d’Ace et de Barbe blanche suivies des rites funéraires liés à la piraterie et du recueillement de Luffy sur leurs tombes. On assiste à la souffrance de Luffy de perdre son frère et à une période de deuil marquée également par l’absence de ses amis à qui il donne rendez-vous deux ans plus tard, bien entraînés pour prendre la route du Nouveau Monde.
Vivants, morts et morts-vivants Le thème de la mort est prégnant dans les aventures de Luffy. Cependant, force est de constater que le royaume des morts ne s’ouvre pas facilement. Les personnages décédés sont souvent déjà morts lorsqu’on les évoque dans le manga. Les personnages vivants rencontrés dans les aventures de One Piece survivent, ressuscitent ou réapparaissent. Ce phénomène déborde largement l’univers du manga. D’autres mangas jouent constamment avec la mort ou l’immortalité. Certains meurent et reviennent (Gantz), d’autres meurent pour de bon (Death Note), d’autres ne peuvent pas mourir (To Your Eternity).
La mort ne peut pas ne pas inquiéter. En racontant des histoires qui ont une fin, même si les personnages donnent l’impression d’y échapper, le manga parle de la mort et aide de ce fait à en parler. Par son extraordinaire créativité et son aptitude à jouer avec nos représentations et nos imaginaires, le manga relève des arts du divertissement. C’est justement parce qu’il joue de nos imaginaires, qu’il nous aide à affronter la mort en son mystère. Par les manières de la traiter, voire parfois de la moquer, le manga en appréhende la peur dans l’imaginaire du vivant. Ce qui aide finalement à la rendre vivable.
Références : Abbott M., Forceville C. Visual representation of emotion in manga: loss of control is loss of hands in Azumanga Daioh Volume 4. Language and Literature 2011, vol. 20, n°2, p. 91-112. Gozlan A. Le manga animé, objet culturel de relation en psychothérapie d’adolescent. Psychothérapies 2016, vol. 36, p. 61-66. Vincent F. La structure initiatique du manga. Une esquisse anthropologique du héros. Sociétés 2009, n°106, p. 57-64. |
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