La bibliothérapie créative en soins palliatifs
En décalé La bibliothérapie créative en soins palliatifsEntrevue avec le Dr Françoise Liminana
En 2017, VigiPallia s’était intéressé à la bibliothérapie en allant à la rencontre de Katy Roy, bibliothérapeute québécoise. Pour approfondir le sujet, cette année, VigiPallia a interviewé Françoise Liminana, médecin en unité de soins palliatifs à la polyclinique Montréal à Carcassonne (11, Aude). Elle a développé un projet de bibliothérapie créative au sein de son service. Nous avions entendu parler de cette démarche au congrès de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs) de 2017 avec son intervention « Osez la bibliothérapie créative en soins palliatifs ». Grâce à cette rencontre nous avons pu approfondir ce qu’est la bibliothérapie créative et comment elle peut s’inscrire dans le parcours d’un patient en soins palliatifs.
VigiPallia (V) : Bonjour Françoise Liminana, nous vous remercions d’avoir accepté cette entrevue. Pouvez-vous nous dire ce qu’est la bibliothérapie créative ? Françoise (F) : La bibliothérapie telle qu’elle est officiellement définie depuis les années soixante, consiste à utiliser le livre comme un médicament, dans l’attente d’un effet thérapeutique bénéfique. Le choix de la lecture est donc conseillé et dirigé en fonction de l’état du patient, et se fait très souvent dans un registre des « help self books » avec les limites que cela impose. Pour élargir le champ d’action de la bibliothérapie, et lui donner une dimension créative, seuls des textes littéraires seront utilisés, faisant appel à la métaphore, la fiction, et l’esthétisme. Ainsi la bibliothérapie en toute créativité permet d’être libre d’évoquer, de penser, et amène de la légèreté, du bien-être, de la vie, en faisant appel au voyage, à la poésie, aux désirs, au plaisir…
V : Comment vous êtes-vous intéressée à la bibliothérapie créative ? Avez-vous suivi une formation spécifique ? F : Souvent interpellée comme beaucoup par cette parole récurrente de patient en soins palliatifs : « Je ne peux (même) plus lire », je me suis mise à rechercher comment soulager cette souffrance qui reflète un empêchement total, physique, psychique, existentiel, le constat d’une dégradation, et une perte d’identité.
Je me suis donc intéressée à la bibliothérapie et grâce au livre de Régine Detambel, Les livres prennent soins de nous, pour une bibliothérapie créative, j’ai découvert cette notion de créativité qui sublime vraiment la bibliothérapie. Après avoir pris contact avec l’auteure, j’ai pu suivre auprès d’elle une formation de bibliothérapeute créatif, et cela m’a donné l’occasion de lui soumettre mon projet de mise en pratique en soins palliatifs. Elle m’a donc préconisé de concevoir une méthodologie spécifique tout en me donnant quelques conseils, puisqu’il faut que vous sachiez qu’elle a une parfaite connaissance de la souffrance du corps et de l’esprit en tant que kiné de formation, bien que romancière à part entière. Mes connaissances se sont ensuite étoffées au travers d’autres ouvrages portant sur la bibliothérapie et les bienfaits de la lecture.
V : Qu’est-ce que la bibliothérapie créative peut apporter selon vous dans un contexte de fin de vie ?
F : Montesquieu disait en 1726 : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’est dissipée ». Je lui ai donc fait confiance, car avant de la pratiquer, j’ignorais les effets possibles de la bibliothérapie sur les patients en fin de vie. Avec le recul, je vous répondrais simplement qu’elle offre, tout le bien-être qu’apporte la lecture habituellement : évasion, voyage, tranquillité, émotions, rêverie intérieure, apaisement, souvenirs, pleurs, rires… et les sensations physiques. Qui n’a pas goûté un jour au bonheur offert par la lecture d’un bon bouquin, au chaud sous la couette, un dimanche matin lors d’une grasse matinée que l’on prolonge sans fin ? En fin de vie, cette situation est fréquente mais c’est un repos au lit forcé. Ce qui n’empêche pas de réveiller la mémoire et de retrouver la douceur de ces instants en faisant la lecture aux patients. Et puis, il y a une véritable rencontre avec l’Autre en dehors de la démarche purement soignante. Ainsi je dirais que « Lire pour l’Autre est simplement un acte d’amour poétique » et que non seulement cela fait du bien aux soignés mais aussi aux soignants. Il s’agit bien là de petits moments de vie offerts et partagés.
V : Nous avions assisté à votre présentation « Osez la bibliothérapie créative en soins palliatifs ». Pouvez-vous présenter ce projet à nos lecteurs ? Comment cette idée vous est-elle venue ? F : Face à ces patients en soins palliatifs ne pouvant plus lire, afin d’apaiser cette souffrance, j’ai eu envie d’oser la bibliothérapie créative à laquelle, comme je l’ai évoqué précédemment, je me suis donc formée. Puis j’ai conçu une méthodologie originale et adaptée pour la pratiquer dans l’USP (N.D.L.R., unité de soins palliatifs) où j’exerce, et cela en 4 étapes : la création de 3 outils (un poster pédagogique, une bibliothèque portative, une fiche de lecture à compléter), la sensibilisation et la formation de l’équipe accompagnante, le temps des lectures, et l’analyse des expériences. Cette première et grande expérimentation s’est déroulée à l’USP pendant 6 mois, grâce à une équipe formidable ; ce qui m’a permis de finaliser cette étude et de la présenter au congrès de la SFAP à Tours en 2017. Et puis, c’est une activité peu coûteuse, simple dans sa mise en place, par contre il faut y consacrer du temps.
V : Comment proposez-vous une séance de bibliothérapie à un patient ? Comment se passe la séance ? Est-ce que les proches participent aux séances ? F : Il y a des prérequis à respecter avant de proposer une quelconque lecture à un(e) patient(e) : faire connaissance en repérant ses goûts, choisir un texte avec discernement au plus proche de lui (d’elle), choisir le moment opportun en tenant compte de son état émotionnel et physique, oser se lancer et proposer une lecture sans trop attendre, et puis surtout ne pas s’attacher à un savoir-faire mais plutôt un savoir-être : « Lire avant tout avec son cœur ! ». Tout cela est déterminant pour le bon déroulement d’une séance qui, en général, est réalisée après avoir au préalable présenté la bibliothérapie. Le choix du texte est proposé au (à la) patient(e) s’il (elle) est en capacité d’élaborer. Les proches peuvent bien sûr participer aux lectures et certains poursuivent les lectures et décrivent grâce à celles-ci des moments retrouvés de partage, de compréhension, et d’amour. La nuit, les lectures apaisent et permettent l’endormissement, et le jour certains soins douloureux sont accompagnés de lectures et ont un effet antalgique : c’est en quelque sorte : « une séance d’hypnose littéraire ! ».
V : Comment s’en sont saisis les soignants de votre service ?
F : L’équipe a été formidable et d’emblée cette activité leur a plu, guidée par cette citation de Victor Hugo : « La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. ». Avant de nous lancer dans la lecture en chambre, nous avons improvisé entre nous quelques séances de lectures en groupe, ce qui a permis de prendre de l’assurance et aussi de découvrir les textes de la bibliothèque portative. A ce sujet, certains membres de l’équipe étaient réticents à l’idée de lire des textes où la mort est évoquée ou bien les plaisirs culinaires, pour les raisons que vous pouvez aisément imaginer. Eh bien, ces entraînements ont permis de surmonter ces a priori et de donner de l’assurance aux lecteurs(trices) pour le démarrage de l’activité. J’ai été impressionnée par la rapidité avec laquelle cette activité a trouvé sa place dans le service et très vite les fiches de lecture ont été complétées. La motivation de l’équipe a été crescendo en corrélation avec les bienfaits constatés sur les patients et sur elle-même. Bref, cela a amené un véritable partage émotionnel fait de rires, de larmes, d’apaisement, de plaisir.
V : Et les patients ? F : Les patients ont bien sûr des réactions différentes, certains sont surpris, conquis d’emblée, émus, apaisés au point de s’endormir. Cela peut susciter chez eux des émotions fortes, des souvenirs, un éveil des sens, des pensées, de la détente, de l’évasion… Certains patients refusent parfois, d’autres en redemandent, ou bien commentent : « Vous alors, c’est incroyable ce que vous faites en plus du reste… ». En fait, les patients perçoivent la lecture comme un véritable soin, du fait du bien-être ressenti et en particulier lorsque la lecture est faite lors de soins pouvant être douloureux ou stressants. Ainsi leur attention étant détournée, ils peuvent s’évader et retrouver une sorte de rêverie intérieure.
V : Quels sont les patients qui semblent le plus apprécier cette démarche ?
F : Ceux qui aiment lire mais pas seulement puisqu’au final les lectures sont aussi proposées à ceux n’ayant pas exprimé le fait qu’ils ne pouvaient plus lire. En fait, la lecture est un langage universel comme la musique, et permet d’être en ouverture sur la vie, c’est pour cela que cette musique des mots peut être appréciée par tout patient qui se sent encore bien vivant. Sinon, c’est à nous de nous remettre en question, peut-être sur la mauvaise observance des prérequis, ou bien sur notre authenticité. Et puis, il n’y a pas un patient type qui apprécie la démarche sachant que l’âge, le sexe, le niveau culturel ne sont pas toujours déterminants. Ce qui est important c’est de donner, ou bien de redonner le goût. Dans notre USP, on ne plaisante pas, c’est lecture obligatoire pour tout le monde. C’est une plaisanterie bien sûr qui me donne l’occasion d’évoquer les patients qui adorent les textes humoristiques et en redemandent encore et encore. « J’adore rire avec vous » me disait une patiente de 90 ans, « c’est communicatif ». Parfois certains patients refusent jugeant la pratique farfelue, puis se laissent ou pas embarquer par la suite.
V : Comment avez-vous construit votre bibliothèque portative ? Comment l’enrichissez-vous ? F : Tout d’abord mon parti pris a été simplement de choisir en toute créativité des textes littéraires courts, racontant une petite histoire, tout en étant au plus proche des patients amoindris. Pour cela, les écrits les plus adaptés sont les poèmes, fables, contes, chansons, extraits de roman, sketchs, recettes… J’ai ensuite construit une bibliothèque portative en créant cinq rayons Voyage/Imagination/Nature - Humour - Eveil des sens – Plaisirs Culinaires - Emotions/Pensées, que j’ai achalandé avec des textes comme décrits précédemment, piochés dans mes réserves personnelles ou bien glanés de-ci de-là sur le Net. Cette étape de construction de la bibliothèque portative est essentielle pour s’approprier l’activité de bibliothérapie. Avec l’équipe, nous avons ensuite testé ce qui plaisait aussi bien aux patients, qu’aux lecteurs. Bien sûr j’ai invité mon équipe à proposer des textes et nous avons une lectrice bénévole dans l’unité qui intervient depuis 9 ans et qui veille à ce que cette bibliothèque portative ne s’empoussière pas.
V : Comment a évolué le projet depuis l’an dernier ? Quelles suites pensez-vous lui donner ? F : Le projet a bien pris mais il faut le relancer de temps à autre, et nous collaborons parfois avec le musicothérapeute et bientôt avec la socio-esthéticienne. Je crois beaucoup à la richesse du croisement des disciplines. Sinon après le congrès de la SFAP 2017, j’ai été contactée par plusieurs équipes pour les aider à monter leur projet et j’ai formé concomitamment l’équipe de l’USP de Castres avec celle d’un Ehpad (N.D.L.R., établissement d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes) proche où il y a des LISP (N.D.L.R., lit identifié de soins palliatifs). Puis les deux structures ont ensuite lancé leur activité de bibliothérapie et les retours sont très satisfaisants. La bibliothérapie trouve bien sa place dans les Ehpad, en amenant une tout autre forme de lecture que celle pratiquée habituellement. Sinon, suite à une communication au congrès international francophone des soins palliatifs à Genève en octobre 2017, j’ai été sollicitée pour former à l’HEESG (Haute école des études de Santé de Genève), en Octobre 2018, un groupe d’étudiants en master de soins infirmiers, suivi d’une conférence grand public. Puis je donnerai, le 31 Janvier 2019, une conférence dans le cadre du DU (diplôme universitaire) Accompagnement et Soins Palliatifs à l’université de Cergy - Pontoise.
Dans le futur je me réjouis à l’idée, de transmettre le plus possible, et de me lancer dans l’écriture d’un manuel du bon usage de la bibliothérapie créative, dans le prendre soin des patients dans l’incapacité de lire, tout en poursuivant le tissage de mes deux passions : la lecture et l’écriture.
V: Merci infiniment pour cet échange. Bonne route pour la suite !
Les livres prennent soin de nous pour une bibliothérapie créative / Régine DETAMBEL, Actes Sud Littérature, Hors collection, mars 2015, 176 pages Eloge de la lecture : la construction de soi / Michèle PETIT, Belin, coll. Alpha, 2016, 198 pages Bibliothérapie Lire, c’est guérir /Marc-Alain OUAKNIN , Editions du Seuil , 1994 Pourquoi lire ? / Charles DANTZIG, Grasset et Fasquelle, 2010 Site Web Association française de bibliothérapie http://af.bibliotherapie.free.fr/
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