La définition des soins palliatifs de l’OMS de 2002 [OMS, 1] inscrit les soins palliatifs dans le champ de la santé et de la société. Cette double appartenance interactive constitue dans le contexte européen, à la fois, ses acquis d’aujourd’hui et ses défis de demain.
Les soins palliatifs et la fin de vie en Europe sont pour celle-ci un chantier majeur dont les grands axes sont :
1) Le contexte social et philosophique de l’Europe ;
2) L’état de développement des soins palliatifs en Europe aujourd’hui ;
3) Les grands axes européens : acquis et défis aujourd’hui.
I. LE CONTEXTE SOCIAL ET PHILOSOPHIQUE DE L’EUROPE
La société européenne participe à une transformation moderne et radicale de l’image de la vie et de la mort. Dans les siècles précédents, ces images étaient interprétées à partir des religions ou des formes d’organisation de la vie humaine.
Ces changements se marquent par une transformation de l’expérience de la mort dans la vie de l’homme moderne : rendre la mort la plus cachée et la plus anonyme possible, la médicaliser en éloignant le mourant de son milieu familial et familier… La mort est en passe de devenir un processus de fabrication au même titre que ceux, innombrables, de la vie économique européenne [BILSEN, COHEN, DELIENS, 2]. Pourtant, dans la vie de l’homme, la mort est sans doute la seule expérience qui marque aussi nettement les limites posées à la maîtrise de la nature rendue possible par les sciences et les techniques. Les prolongements artificiels de la vie deviennent parfois un prolongement de l’agonie qui démontre la limite absolue de notre savoir-faire et risque d’empêcher de vivre l’expérience de la naissance et de la mort [DAVIES, HIGGINSON, 3].
Culturellement, l’Europe fait ainsi face, comme le reste du monde, à une médicalisation de plus en plus poussée de la fin de vie, redéfinissant ainsi le temps même de cette fin de vie. Elle accuse également une crise sociale qui met à mal les valeurs fondamentales de l’homme. Cette crise se traduit par des changements majeurs, accélérés par divers progrès techniques, notamment en médecine, qui mettent à l’épreuve tous les repères jusqu’ici stables dans la vie en société : l’Internet et l’arrivée des réseaux sociaux ont, par exemple, modifié en profondeur la relation qui existait entre le patient et le soignant. C’est donc dans ce contexte mouvant que l’Europe se voit contrainte de débattre du concept sociétal de la fin de vie [HACPILLE, 4].
L’histoire culturelle de l’Europe représente donc une tension entre deux intérêts simultanés :
- L’un porte sur la science appliquée à la maladie, héritée de Galilée et de Descartes qui vise à expliquer la maladie ;
- L’autre concerne l’approche humaniste établie dès les temps anciens de l’Europe, et qui aujourd’hui est trop souvent réduite à l’application exclusive des modèles théoriques biotechnologiques de la maladie. Pourtant, les sciences humaines ont leurs méthodologies propres. Elles visent à comprendre le malade.
Le but des soins palliatifs est de réaliser ce travail d’adaptation qui consiste à expliquer la maladie et à comprendre le malade en accordant les possibilités thérapeutiques et éducationnelles à la qualité de vie du patient et de son entourage.
Dans cette perspective, et comme en témoignent les différents textes législatifs du Conseil de l’Europe relatifs au développement des soins palliatifs [5, 6, 7, 8, 9, 10], la limite inhérente au contexte de la mort pourrait devenir le lieu où s’exprime une véritable communauté de tous les hommes qui, ensemble, défendent le mystère de cette énergie du refoulement de la mort. Car le refoulement de la mort est une attitude naturelle originelle que l’Homme adopte pour vivre, et ce, jusqu’au bout de sa vie. Goethe interrogé sur la mort ne répondait-il pas : "n’oublie pas de vivre".
Par conséquent, la vraie question posée par les soins palliatifs à l’Europe se situe aux deux niveaux de la santé :
- D’une part, celui de la santé individuelle : comment se fait l’alchimie de la cohabitation profonde et heureuse des processus de naître et mourir qui constituent la vie elle-même ?
- D’autre part, celui de la santé collective européenne : "quels modèles pour des politiques sanitaires et sociales novatrices" [CONSEIL DE L’EUROPE, 5], à l’heure où la population âgée augmente de façon très importante dans tous les pays d’Europe, ainsi que les pathologies cancéreuses, dont les courbes de survie ne cessent de s’allonger faisant vivre les patients atteints de pathologies complexes, chroniques multiples, non sans répercussions sociales quotidiennes ?
Ces questions donnent à penser que l’expérience accumulée en matière de santé nous a conduit à instituer lentement et à développer progressivement des pratiques qui se sont avérées bonnes autrefois. Mais, aujourd’hui, le contexte radicalement nouveau de la santé (démographie, progrès techniques et ses conséquences) appelle des ajustements innovants.
C’est un phénomène qui a été déterminant dès l’origine de l’humanité (santé/société) et qui ne concerne pas uniquement les domaines de la santé et de la maladie. Mais les questions existentielles que la santé et la maladie soulèvent aux approches de la fin de vie font ressortir la tension fondamentale qui traverse notre civilisation actuelle fondée exclusivement sur la science, en laissant dans l’ombre la personne malade. L’Europe retrouve dans cette tension ses valeurs fondamentales et historiques des Droits de l’Homme. Ce ne sont pas les seuls progrès scientifiques appliqués à la médecine clinique par un médecin qui font de lui un "bon" médecin. Certes, les progrès scientifiques permettent de faire reculer les limites des victoires possibles sur les maladies devant lesquelles nous nous trouvions auparavant sans recours. Mais lorsque ces victoires ne sont pas radicales, ce qui est encore souvent le cas, il faut alors des soins de santé de la convalescence chronique et des soins préventifs à toutes les étapes de la maladie et de ses stades, y compris à l’étape ultime (qualité de vie des malades, soutien des familles, etc.) La médecine alors, sans cesser d’être scientifique devient aussi "tout un art".
II. L’ETAT DE DEVELOPPEMENT DES SOINS PALLIATIFS EN EUROPE
Les premiers textes législatifs du Conseil de l’Europe datent de 1976 à 2008. Ils concernent en premier les droits des malades et des mourants (Résolution de 1976), la protection des droits de l’homme et la dignité des malades incurables et des mourants (1999). Par ailleurs, ils soulignent en 2002 l’approche novatrice des soins palliatifs qui "illustrent de façon exemplaire le travail concret des bénévoles d’accompagnement et les conditions-cadres nécessaires à cet engagement". En 2005, un rapport parlementaire invite à la tenue de débats publics sur la fin de vie incitant à éviter les acharnements thérapeutiques et encourage le développement des soins palliatifs au domicile.
Les études effectuées [CENTENO, 11] à partir des données existantes font apparaître, en matière d’accès aux soins palliatifs, de grandes disparités entre les différents états membres (Europe de l’Ouest, Europe du Centre et de l’Est, Europe du Commonwealth des états indépendants), mais aussi entre les différentes régions d’un même pays (zones urbaines et zones rurales, par exemple), comme en rend compte un rapport établi à la demande du Parlement Européen [Policy Department, Economic and Scientific Policy, 12].
L’Atlas réalisé par l’association européenne des soins palliatifs (EAPC) en 2007 puis en 2013 met en évidence que les plus grandes concentrations d’unités de soins palliatifs se trouvent en Irlande, en Islande et en Belgique où l’on enregistre entre 18 à 20 unités de soins palliatifs par million d’habitants. On dénombre entre 12 et 16 unités de soins palliatifs en Grande-Bretagne, en Suède, aux Pays-Bas, en Pologne et en Autriche. Dans les autres pays, on identifie notamment 23 services de soins palliatifs en République tchèque où la densité des activités palliative est très faible. La comparaison des données 2007 et 2013 montre que l’accès aux soins palliatifs s’est amélioré en Europe de l’Est, bien que les critères qualitatifs restent faibles [CENTENO, 13]
D’après l’étude mandatée par Lien Foundation à The Economist Intelligence Unit, l’Europe domine le classement mondial des pays où la qualité de fin de vie est la meilleure. Cette domination se caractérise, dans chaque pays, par une politique nationale forte et efficacement mise en œuvre, des niveaux élevés de dépenses publiques en termes de santé, de nombreuses ressources de formation en soins palliatifs pour les professionnels de santé généraux et spécialisés, de larges subventions pour réduire le fardeau financier des patients, une grande disponibilité d’analgésiques opioïdes et une sensibilisation publique forte aux soins palliatifs [Lien Foundation, 14].
Ainsi, le paysage des soins palliatifs, entre 2013 et 2015, témoigne de la vivacité de la problématique de la fin de vie pour tous les citoyens européens. Elle met en évidence la stratégie européenne à l’œuvre visant à intégrer cette discipline académique dans l’ensemble des systèmes de soins en respectant les différences culturelles des différents états membres de l’union européenne.
On remarque également une focalisation quasi exhaustive sur certains groupes de patients, tels les patients atteints de cancers, une sous-représentation des enfants par rapport aux adultes, ainsi qu’une implication insuffisante du secteur sanitaire [GROOT, VERNOOIJ-DASSEN, CRUL, GROL, 15]. Peu de pays sont réellement dotés de normes en matière de soins, et, rares sont ceux dans lesquels les normes ont été à l’initiative des gouvernements.
Le thème de la mort demeure un sujet difficile à aborder, tant dans le milieu scientifique qu’au sein de l’opinion publique [GRONEMEYER, FINK, GLOBISCH, SCHUMANN, VILLARD, 16]. Ainsi, la majorité des médecins acquièrent au cours de leur formation de solides connaissances spécialisées, mais ne savent pas comment se comporter face à un mourant. Cet aspect pourrait faire l’objet d’une réflexion plus approfondie. Il n’est pas sans intérêt en effet, de mieux comprendre les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés à occulter un domaine d’application aussi essentiel de la médecine.
III. LES PRINCIPAUX AXES EUROPEENS : ACQUIS ET DEFIS
Les principaux points forts actés par l’Assemblée parlementaire de l’Europe au 26 août 2008 sont :
- Les soins palliatifs sont reconnus "répondre à un besoin culturel et humanitaire de la plus haute importance et constituent une structure novatrice qui… suscitera un changement durable dans le secteur médical et servira de "recette du succès" dans d’autres domaines d’action où se posent des problèmes de plus en plus graves (prévention des toxicomanies, éducation, marché du travail)." [CONSEIL DE L’EUROPE, 5]
- Leur définition mondiale qui avait été réactualisée en 2002 : "Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille face aux conséquences d’une maladie potentiellement létale, par la prévention, le soulagement de la souffrance ainsi que le diagnostic et le traitement précoces de la douleur et des autres symptômes physiques, psychosociaux et spirituels qui lui sont liés". [OMS, 1]
- ... Est ensuite étendue non seulement aux personnes en fin de vie, mais également aux malades chroniques présentant de nombreux troubles d’ordre physique et psychosocial nécessitant une approche globale en raison de situations complexes.
- L’un des impératifs majeurs de cette évolution est l’élaboration d’indicateurs donnant des informations dans le cadre juridique, la qualité des soins, la formation et la recherche les mieux adaptés. Cette élaboration est difficile et nouvelle.
- Elle intègre aujourd’hui une réflexion éthique en Europe intégrant son histoire, ses valeurs et sa culture. Dans le domaine des soins palliatifs, il convient de porter une attention particulière au concept et à la compréhension de l’autonomie, ainsi qu’à l’importance de ce principe fondamental dans la prise des décisions médicales. L’orientation du patient jouant un rôle majeur dans les soins palliatifs, elle est un important indicateur de réussite.
Par ailleurs, une communication réussie entre le médecin et son patient ne tire pas sa véritable valeur éthique du fait qu’elle permet à celui-ci d’opérer, avec l’aide du médecin, un choix éclairé entre différentes options thérapeutiques, comme il pourrait le faire, en tant que client, dans un supermarché. La valeur éthique du dialogue patient-médecin et le travail d’information du malade tout au long de l’évolution de sa maladie sont deux des points forts de l’art médical. Ce dialogue permet d’humaniser la relation entre deux êtres fondamentalement inégaux comme le sont aussi le dialogue entre le père et le fils, la mère et la fille, l’élève et le professeur, le client et son avocat… en un mot entre l’expert et le non expert. C’est pourtant là le creuset de l’alchimie de l’humanité.
CONCLUSION
Au total, les soins palliatifs aujourd’hui en Europe représentent un vivier de bonnes pratiques. En voici les défis principaux :
- Les soins palliatifs sont une articulation entre le champ de la médecine et celui de la société toute entière sur le thème de la vie jusqu’à son terme, même lorsqu’on est malade. Les soins palliatifs s’inscrivent alors dans le changement présent de paradigme de la société européenne et de la médecine. Cette articulation, rendue incontournable par la démographie européenne, de plus en plus âgée et vieillissante, nécessite des soins de plus en plus complexes et encore mal connus.
- Les soins palliatifs ont leurs spécificités et sont à l’orée de nouveaux métiers œuvrant tous pour la cohésion sociale par leur méthodologie du travail d’équipe (interdisciplinarité), l’éducation à la santé autonome et à la citoyenneté (aides au maintien au domicile, prise en charge du deuil, etc.) des malades atteints de maladies létales et/ou chroniques. Ces spécificités nécessitent des indicateurs précis qu’il convient d’élaborer.
- Les soins palliatifs européens possèdent déjà un corpus abondant de textes législatifs tant au niveau de l’Europe que dans les différents états membres. Ils poursuivent leurs travaux communs sur les grandes questions relatives à la fin de vie concernant tant la médecine que la société.
- Les soins palliatifs appellent à un enseignement adapté à tous les corps de métiers, du maintien au domicile à l’éducation en santé des aidants naturels (les familles), des aidants professionnels du domicile, des professionnels de santé des établissements de soins, ainsi que des résidences ou équivalents du domicile. Tous ces nouveaux métiers sont ouverts sur l’éducation civique, c’est-à-dire tenant compte en même temps de la santé individuelle et de la responsabilité de chacun et de la responsabilité face à une santé collective (solidarité) afin de pouvoir vivre ensemble et d’être une société digne de son humanité.
Ainsi, l’Europe apparaît-elle comme l’un des creusets de cette alchimie intime et collective des changements à l’œuvre dans le domaine de la santé, comme l’intitule le rapport 2008 du Conseil de l’Europe relatif aux soins palliatifs : "Les soins palliatifs : un modèle pour des politiques sanitaires et sociales novatrices" [CONSEIL DE L’EUROPE, 5].
Lucie HACPILLE, docteur en médecine et en philosophie et éthique clinique, formatrice au CDRN FXB, 2009
Mise à jour : Caroline Tête, documentaliste au CNSPFV, 2017
[1] OMS. - / Définition des soins palliatifs / OMS, 2002. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[2] BILSEN, Johan ; COHEN, Joachim ; DELIENS, Luc. - / La fin de vie en Europe : le point sur les pratiques médicales. Populations et sociétés, 430, janvier 2007. - 4 p.
[3] DAVIES, Elizabeth ; HIGGINSON, Irene. - / Palliative care: the solid facts / WORLD HEALTH ORGANIZATION, 2004 .- 32 p.
[4] HACPILLE, Lucie. - / Histoire et rayonnement européen. In, JACQUEMIN, Dominique ; de BROUCKER, Didier. - / Manuel des soins palliatifs / DUNOD, 2014. - p. 42-51.
[5] Conseil de l’Europe.- / Les soins palliatifs : un modèle pour des politiques sanitaires et sociales novatrices, rapport du Conseil de l’Europe, novembre 2008. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[6] Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. - / Accompagnement des malades en fin de vie, rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, février 2005. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[7] Comité des ministres du Conseil de l’Europe. - / Recommandation 2003-24 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur l’organisation des soins palliatifs, novembre 2003. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[8] Comité économique et social. - / Avis du Comité économique et social du 20 mars 2002 sur le thème « les soins palliatifs - un exemple d’activité de volontariat en Europe » (2002/C 125/07), mars 2002. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[9] Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. - / Recommandation 1418 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la protection des droits de l’homme et de la dignité des malades incurables et des mourants, juin 1999. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[10] Conseil de l’Europe.- / Résolution 613 relative aux droits des malades et des mourants, Conseil de l’Europe, 1976. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[11] CENTENO, Carlos. - / Groupe de travail de l’EAPC sur le développement des soins palliatifs en Europe : dernier compte rendu. European Journal of Palliative Care, 13, 4, 2006.- p. 149-151.
[12] Policy Department, Economic and Scientific Policy. - / Palliative Care in the European Union. / 2008. – 94 p. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[13] CENTENO, Carlos ; CLARK, David ; ROCAFORT, Javier ; FLORES, Luis Alberto ; PRAILL, David ; de LIME, Liliana ; LYNCH, Thomas ; GREENWOOD, Anthony ; BRASCH, Simon ; GIORDANO, Amélia. - / Atlas of palliative care in Europe. / 2013. - 335 p.
[14] Lien Foundation ; The Economist Intelligence Unit. - / The 2015 Quality of Death Index : ranking palliative care across the world. / 2015. - 72 p. [Dernière consultation : 09/06/2017, voir version pdf de la synthèse documentaire]
[15] GROOT, Marieke M. ; VERNOOIJ-DASSEN, Myrra J.F.J. ; CRUL, Ben J.P. ; GROL, Richard P.T.M. - / General practitioners (GPs) and palliative care: perceived tasks and barriers in daily practice. Palliative Medicine, 19, 2, mars 2005. - p. 111-118.
[16] GRONEMEYER, Reimer ; FINK, Michaela ; GLOBISCH, Marcel ; SCHUMANN, Felix ; VILLARD, Amalia. - / Fin de vie, accompagnement et palliative care en Europe / 2005. - 262 p.
DEMARCHE ; HISTOIRE SOINS PALLIATIFS ; FRANCE ; MOUVEMENT HOSPICE ; ACCOMPAGNEMENT ; PATIENT ; FIN VIE ; SERVICE HOSPITALIER ; HOPITAL ; STRUCTURE SOINS PALLIATIFS ; SANTE PUBLIQUE ; LOI ; TEXTE OFFICIEL ; MEDIA ; SOCIETE Cette synthèse documentaire dresse les temps forts des soins palliatifs et de la fin de vie en France. Tout d’abord, l’historique du mouvement des hospices puis l’intégration des soins palliatifs en Occident et en France est présenté. Puis vient le développement du mouvement des soins palliatifs en France dans les années 1970 et 1980 et sa consolidation ensuite par différents textes législatifs, rapports et programmes de soins palliatifs. Une structure dédiée est créée aux côtés du Centre de ressources national Soin Palliatif : l'Observatoire national de la fin de vie. Lle rapport Sicard, la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, le plan national 2015-2018 pour le développement des soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie, la création du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie et plusieurs textes législatifs sur l'accompagnement des proches en fin de vie marquent les derniers développements sur le sujet.
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DEUIL ; AGE VIE ; DEFINITION En 2013, il s’est produit, en France, 556 218 décès (CépiDC, centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès, 2016 – données en ligne). Des chercheurs américains (Prigerson et al., 2008) ont déterminé qu’il y avait en moyenne, dans la population, quatre personnes touchées par décès soit, par extrapolation pour la France, 2 224 872 individus qui, potentiellement, étaient susceptibles d’éprouver un deuil... et ce, pour une année ! Pour Bowlby (1978a, 1978b et 1984), la période de deuil la plus sensible varie entre 6 mois et 5 ans après un décès, ce qui laisse à penser que le nombre de personnes en deuil en France chaque année est bien supérieur.
Le deuil, sous toutes ses formes, a de multiples conséquences sanitaires, sociales et économiques. Les publications scientifiques sont presque toutes d’origine anglo-saxonne et évoquent les coûts qu’il est supposé générer, rassemblés dans la littérature sous différents termes comme « social cost » ou « social economic impact ». Les études sur les conséquences du deuil peuvent alors donner une indication de ce que représente un tel phénomène pour la collectivité.
De manière générale, les références identifiées portent sur les effets sanitaires, sociaux et économiques du deuil. Par exemple, dans les conséquences immédiates d’un décès, les individus prennent des congés suite au décès d’un enfant (Corden et al., 2001 ; van den Berg et al., 2012) ou de leur conjoint(e) (Corden et al., 2008 ; Corden et Hirst, 2013 ; Fox et al., 2014). Même après leur retour au travail, ils peuvent rencontrer des difficultés dans leur capacité à effectuer leurs tâches quotidiennes (Cacciatore et al., 2014 ; Shalev, 2000). L’absentéisme et le présentéisme ont des implications pour les familles des endeuillés, les employeurs, ainsi que pour les organisations qui soutiennent les endeuillés : les associations de soutien, les services de santé et la sécurité sociale, etc. Tous ces secteurs, ces facteurs socio-économiques sont à prendre en compte si l’on veut évaluer, de manière large, les conséquences du deuil pour une société. Ces résultats peuvent être utiles afin de hiérarchiser entre eux les problèmes et contribuent à éclairer d’éventuels choix publics.
Aucune étude , depuis le passage à l’euro en 1999, n’a été effectuée sur le territoire français. Le présent travail de synthèse documentaire examine certaines conséquences sanitaires et socio-économiques du deuil au travers de la littérature internationale, c'est-à-dire étrangère et essentiellement anglo-saxonne. La première partie de ce document s’attache aux éléments de définition de la notion de deuil. La seconde partie consiste en une revue de la littérature par tranche d’âge (à chaque groupe ses enjeux sanitaires et socio-économiques), ce qui permettra de conclure autour de différents aspects des conséquences du deuil qui peuvent être explorées par la recherche.
Le deuil, quelques éléments de définition
Définition française
Le mot « deuil » vient du mot latin « dol » qui tire son origine du mot « dolere », c’est-à-dire « souffrir ». Le deuil est donc une douleur (avec laquelle il partage sa racine), une affliction que l’on éprouve à la mort de quelqu’un. C’es ; t aussi un processus psychologique par lequel une personne parvient à se détacher de la personne disparue, à donner un sens à cette perte (Le Petit Robert, 2008).
En français, un seul mot, plusieurs sens
La polysémie de « deuil » est progressivement entrée dans le langage courant. La notion originelle de douleur regroupe différentes dimensions (Romano, 2015). La dimension psycho-affective correspond à l’expression et aux réactions physiologiques suite au décès d’un proche (les troubles du sommeil, la fatigue, les larmes, etc.). Elle s’associe à la notion de « travail du deuil » proposée par Freud en 1915 correspondant à « la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction mise à sa place » (Freud, 2011). Cette notion traduit le processus psychique aboutissant à surmonter la perte –pas seulement dans le sens physique– et à parvenir à supporter cette disparition.
Les dimensions culturelle, religieuse, sociale et familiale du deuil se distinguent de la dimension psycho-affective de par leur caractère interrelationnel et collectif. La dimension culturelle est liée non seulement aux référentiels culturels des endeuillés mais aussi à celui de la personne décédée. Dans la société contemporaine, la diversité culturelle est multiple et spécifique à chaque culture (les représentations de la mort, les rites funéraires, par exemple). De même, la dimension religieuse renvoie aux croyances, en particulier au sens donné à la mort et au devenir de « l’âme » à travers des références religieuses.
La dimension sociale traduit les conséquences sociales suite à la perte d’un être cher et les représentations sociales du deuil. Ce qui est communément appelé « porter le deuil » évolue à travers les époques (mode vestimentaire, par exemple). Enfin, la dimension familiale est liée au rapport que chaque famille entretient avec la mort du fait de ses références culturelles, éducatives et religieuses.
Une dernière dimension, la dimension psychiatrique du deuil concerne des réactions pouvant conduire à des troubles psychopathologiques et à des symptômes spécifiques décrits dans différentes classifications au niveau de la communauté scientifique comme celle du DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) publié par l’Association américaine de psychiatrie (American Psychiatric Association) et celle de la CIM (Classification Internationale des Troubles Mentaux) publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ces perspectives descriptives classent les manifestations pathologiques en fonction de critères précis et évaluent les troubles éventuels à partir d’échelles quantitatives et de critères opérationnalisés. Le deuil, dans ces classifications, n’est pas défini de manière exhaustive mais il y est plutôt abordé en comparaison avec d’autres troubles mentaux. La psychopathologie s’y trouve réduite à une énumération de symptômes.
Les nuances de la langue anglaise
La langue anglaise désigne la notion de deuil par trois mots différents, donnant à ce terme un sens plus complet (Bacqué et Hanus, 2014).
Le substantif « bereavement » désigne une situation objective de deuil. Elle fait référence au décès en tant que tel sans faire part pour au ; tant de la douleur affective. Le terme « grief » est beaucoup plus fort en anglais que la traduction que la langue française lui attribue, à savoir le chagrin. « Grief » s’emploie dans le cas d’une tristesse éprouvante et douloureuse que rien ne peut consoler. Enfin, le nom commun « mourning » décrit une notion plus sociale qui se rapporte au fait de « porter le deuil » ou de participer aux funérailles. Cette notion permet de distinguer la part sociale de la part affective du deuil.
Le DSM-V décrit le deuil par le substantif « bereavement » tout en prenant soin d’inclure les termes « grief » et « mourning » dans sa définition : « The state of having lost through death someone with whom one has had a close relationship. This state includes a range of grief and mourning responses ». C’est donc l’état de perte suite au décès d’un proche, état incluant une gamme de réponses affectives et sociales (DSM-5, 2013, p. 818). Le deuil n’est pas pathologique en tant que tel. Le DSM-5 introduit la notion de « deuil non compliqué » (uncomplicated bereavement – DSM-5, 2013, p. 716-717) et la notion de « trouble du deuil complexe persistant » (persistent complex bereavement disorder – DSM-5, 2013, p. 789-792). Par ailleurs, le deuil est associé à la définition du trouble dépressif majeur, aux critères diagnostiques du trouble de l’adaptation, au diagnostic différentiel des troubles de l’anxiété et du sommeil, et aux conditions associées au diagnostic de l’état de stress post-traumatique et des dysfonctionnements sexuels (masculins et féminins).
Deuils conduisant à des complications
Si le deuil n’est pas en tant que telle une maladie, il peut, dans certaines circonstances, conduire à des complications. Plusieurs auteurs ont différencié les différents deuils « mal adaptés » à partir du DSM-5 et de la CIM-10, bien qu’aucune de ces classifications ne propose de définition précise du deuil (voir ci-dessus).
Le deuil difficile désigne des deuils où s’expriment de grandes difficultés à surmonter la perte, sans être pour autant pathologiques. Ce type de deuil est plus long et se traduit par une plus grande manifestation de souffrance et de dépression ; ce qui peut occasionnellement engendrer des conséquences sanitaires et socio-économiques.
Le deuil compliqué se traduit par un développement chronologique inhabituel. Selon les auteurs, il résulte de « distorsion de la réalité » (Bonanno, 2001) ; il peut associer une détresse de séparation spécifique accompagnée d’une profonde nostalgie, une perte d’intérêt, une langueur pour le défunt, la sensation d’une perte de soi et des questionnements pessimistes sur le sens de sa propre vie (Prigerson et al., 1995). Prigerson et ses collègues (2008) ont proposé les critères d’un deuil compliqué dans le but d’introduire cette notion dans le DSM-5 :
A. Des signes se rapportant au désarroi provoqué par l’absence du défunt, ressentis de manière intense, quotidiennement.
B. Des symptômes de détresse traumatique avec la présence d’au moins quatre de ces critères qui invalident le quotidien : difficulté à accepter le décès ; difficulté à faire confiance ; colère et amertume contre le décédé ; difficulté à s’investir dans de nouve ; lles relations, désadaptation et évitement ; indifférence affective par rapport aux autres ; sentiment de vide ; incapacité d’envisager de nouveaux projets sans le disparu ; se sentir agité, déstabilisé depuis le décès.
C. Les symptômes ci-dessus créent une perturbation du fonctionnement socioprofessionnel ou d’autres domaines importants de la vie.
D. Les symptômes ci-dessus doivent persister depuis au moins six mois.
Le deuil traumatique (Prigerson, 1999), ou deuil traumatogène comme l’a traduit Marie-Frédérique Bacqué, est souvent décrit par un attachement particulièrement fort au défunt et des sentiments d’extrême souffrance suite à la perte. Ce deuil ne doit pas être confondu avec le deuil post-traumatique qui survient suite à un événement traumatique : il s’agit de l’état psychologique dans lequel se trouve une personne qui a échappé à une situation dramatique, brutale, imprévue de mort collective ou de menace de mort à plusieurs (Bacqué, 2003). Ainsi, à la perte d’un proche s’ajoutent une exposition à la mort et l’effroi face à cette situation d’horreur, vécue avec un sentiment d’impuissance. Le deuil post-traumatique comme le deuil traumatique peuvent conduire à la manifestation de pathologies psychiques ou somatiques latentes comme celles trouvées dans les deuils psychiatriques.
Pour la majorité des auteurs, le deuil psychiatrique, ou deuil pathologique, est lié à la personnalité préalable de l’endeuillé. La perte de l’être cher ne provoque pas les troubles psychiques mais les révèlent ou les soulignent. Il peut s’agir d’endeuillés qui présentaient des antécédents psychiatriques ou d’endeuillés qui n’avaient aucun antécédent connu. La pathologie est alors réactionnelle à la perte. Dans le domaine des deuils pathologiques, la littérature est assez riche. Sont ainsi décrits le deuil avec troubles de l’humeur et de la dépression (Zisook et al., 1987 ; Hensley, 2006), le deuil avec troubles anxieux (Kaltman et Bonanno, 2003), le deuil hystérique, le deuil maniaque, le deuil obsessionnel, le deuil mélancolique, le deuil avec complications somatiques majeures (Romano, 2015) et le deuil psychotique délirant (Girault et Fossati, 2008).
Certains auteurs ont tenté de déterminer les conséquences du deuil en se concentrant sur un type de population que nous regrouperons par classes d’âge. Revues ensemble, ces données mobilisent des indicateurs qu’il serait possible d’étudier en France.
Les multiples conséquences sanitaires, sociales et économiques du deuil selon les âges
Enfants et adolescents
La revue de la littérature de Ribbens McCarthy et Jessop (2005) souligne comment le deuil peut affecter la qualité de vie des jeunes. Les relations sociales, l’isolement social, couplés à un manque de parole sont les thèmes majeurs que les jeunes ont exprimés. Environ 17 % des jeunes endeuillés montreront des problèmes significatifs de comportement au-delà de quatre mois après le décès (Silverman et Worden, 1992).
Les garçons semblent plus affectés à court et long termes que les filles (Kalter et al., 2003) bien que leurs réactions puissent être influencées par la réaction du parent restant ou des parents dans le cas d’une perte dans la fratrie. Ce ; résultat est également rapporté par Sandler et ses collègues (2003) soulignant que les garçons diffèrent des filles selon les types et les durées de soutien de deuil. Le type de décès ne semble pas significatif, bien que ceux qui aient perdu leur père semblent aller mieux (Black, 1998). Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les mères sont plus à l’aise dans l’expression émotionnelle du deuil. De plus, les circonstances et le contexte social peuvent accroître les difficultés, en particulier lorsqu’elles sont liées aux ressources personnelles, sociales et matérielles et au manque de soutien familial.
Les questions de deuil non résolues dans l’enfance peuvent avoir un impact sur la vie adulte (Charles-Edwards, 2005). Le travail de Ribbens McCarthy et Jessop (2005) indique aussi qu’un deuil dans l’enfance, en particulier lors de la perte d’un parent, peut affecter les réussites scolaires et l’emploi : cela pourrait être lié au fait d’avoir quitté le domicile familial plus tôt, d’avoir vécu des expériences sexuelles et conjugales plus tôt, de présenter des comportements criminels, de souffrir d’une dépression à court et long termes et d’avoir une estime de soi diminuée. De même, Balk (2001) note que les étudiants endeuillés sont à risque accru de ne pas finir leur cursus universitaire.
Deux études françaises ont également montré l’impact d’un deuil dans l’enfance à l’âge adulte. Le travail de Blanpain (2008) s’est attaché à montrer les effets d’un deuil dans l’enfance sur le parcours scolaire, professionnel, familial et sur la santé à l’âge adulte. L’étude établit qu’être orphelin de père ou de mère avant l’âge de 20 ans concerne, en 2006, 11 % des adultes de 20 à 75 ans, la plupart d’entre eux étant devenus orphelins de père. Perdre un parent pendant l’enfance concerne davantage les enfants d’origine sociale modeste (7 % d’orphelins de père parmi les enfants d’ouvriers contre 3 % parmi les enfants de cadres) et issus d’une fratrie nombreuse. Ces données viennent corroborer les résultats de l’étude de Monnier et Pennec (2003). Ils fixaient à 3,1 % le pourcentage d’orphelins de père (0,8 % chez les enfants de « cadres et professions intellectuelles supérieures », contre 7,4 % chez les enfants d’ouvriers).
Des données plus récentes de Fauth et ses collègues (2009) examinent les caractéristiques d’un échantillon représentatif de 7 997 enfants endeuillés anglais, âgés de 5 à 16 ans. Les données sont extraites de l’étude Mental Health of Children and Young People in Great Britain de 2004. Les enfants proviennent de 3 groupes : ayant perdu un parent ou un membre de la fratrie ; ayant perdu un ami ; n’ayant pas vécu de perte pour groupe témoin.
Ainsi les enfants ayant perdu un parent ou un membre de la fratrie sont plus susceptibles d’appartenir à un foyer économiquement désavantagé, ou économiquement inactif ou à revenus bas, où le niveau d’éducation est faible. Ils ont plus de contact avec les services de santé mentale et sont plus susceptibles de présenter des problèmes d’anxiété et une consommation excessive d’alcool.
Les enfants ayant perdu un ami sont plus souvent des filles, sont plus susceptibles d’avoir des parents divorcés ou séparés et ; d’avoir des parents avec des problèmes de santé mentale. Ils sont plus susceptibles d’être en désaccord avec leurs parents quant au choix de leurs amis et ont plus de problèmes relationnels. Ils présentent plus de problèmes de comportement, de consommation excessive de substances psychoactives et sont considérés comme moins obéissants.
La santé (mentale et physique) des jeunes n’est pas non plus épargnée. De nombreuses études décrivent les symptômes mentaux (dépression, troubles du comportement et du sommeil) et physiques (maux de ventre, maux de tête, exacerbation de l’eczéma, obésité). La consultation des médecins généralistes augmente d’environ 30 % chez les enfants endeuillés (Llyod-Williams et al., 1998 ; Arthur et al., 2011).
En dehors des consultations de généralistes, les coûts des services pour soutenir les jeunes endeuillés sont peu documentés. Ceci est principalement dû au fait que les soins sont délivrés par une large gamme de professionnels travaillant dans divers lieux (associations, activité libérale, maison d’adolescents, par exemple) et différents secteurs (santé, sociale, religieux, par exemple). Le soutien de deuil apporté par des bénévoles représente également un coût qui n’a pas été quantifié (Arthur et al., 2011).
Une dernière question occupe une large place dans la littérature : à quel âge les enfants commencent-ils à faire leur deuil ? Comment les enfants endeuillés sont-ils influencés par leur âge et le stade de leur développement émotionnel ? Certains établissent qu’avant l’âge de 13 ans, les enfants sont estimés trop jeunes pour être affectés par un deuil (Charles-Edwards, 2005). Beaucoup d’adultes croient que les jeunes enfants ne comprennent pas ce que signifie la mort (Llyod-Williams et al., 1998). Cependant, Lansdown et Benjamin (cité par Llyod-Williams et al., 1998, p. 120) trouvent que 59 % des enfants de 5 ans et 73 % des enfants de 6 ans ont presqu’une compréhension complète de la finitude de la vie et de l’idée de la mort. Worden et Silverman (1996) ont également déterminé que les enfants peuvent être en deuil à l’âge de 3 ou 4 ans. Bowlby (1984) argumente que des enfants, de 6 mois, vivent des réactions de deuil quand ils sont confrontés à la séparation des personnes dont ils dépendent le plus. Cependant, d’autres auteurs pensent qu’un tel processus n’est pas possible jusqu’à ce que l’enfant entre dans la période de l’adolescence (Charles-Edwards, 2005). Black (cité par Auman, 2007) a fourni, en 2005, une vue d’ensemble de ce qu’est la mort selon l’âge de l’enfant, suggérant que les enfants à partir de l’âge de 3 ans peuvent vivre « un deuil compliqué » caractérisé par une anxiété et des comportements régressifs durant plus de six mois après le décès.
Adultes
Un certain nombre d’études souligne un risque accru d’anxiété et de dépression chez les endeuillés. Une revue systématique (Onrust et Cuijpers, 2006) montre que le trouble dépressif majeur et les troubles de l’anxiété sont élevés chez les veufs (sans distinction de sexe), en particulier la première année suivant le décès, avec un risque relatif accru significatif. Vingt-deux pourcent des veufs étaient diagnostiqués avec un trouble dépressif maj ; eur et 12 % présentaient les critères d’un état de stress post-traumatique. Il y a aussi un risque majoré d’hospitalisations pour troubles psychiques chez les endeuillés (Li et al., 2005).
Les adultes, contrairement aux enfants, assument des coûts financiers liés au deuil : du paiement des funérailles à une pauvreté accrue suite à la perte de revenus au sein du foyer (Corden et al., 2008). De tels impacts semblent s’ajouter au niveau d’anxiété et de dépression, en particulier chez les femmes. L’étude de Corden et ses collègues (2008) suggère que les personnes qui perdent leur conjoint encore jeunes subissent moins de pertes financières. Les explications sont nombreuses comme, par exemple, le fait d’être capable de trouver un emploi mieux rémunéré ou de trouver un nouveau conjoint.
Corden et ses collègues (2002) avaient aussi étudié les conséquences financières de la mort d’un enfant. Une diminution de 14 % des revenus se produisait dans les familles à revenus les plus hauts et une diminution de 25 % des revenus nets mensuels pour un couple de la classe moyenne. A cela s’ajoute le coût des funérailles. L’étude souligne aussi, en particulier après une période de soins de l’enfant mourant, des difficultés à reprendre un emploi et les pertes des allocations et autres contributions financières. Enfin, l’étude de Corden et ses collègues (2002) met en lumière les impacts psychologiques de la perte immédiate de revenus.
Les deux études de Corden (2002 et 2008) déterminent plusieurs indicateurs économiques de coût (funérailles) et de bénéfice financier (pension, aides financières) à prendre en compte dans la mesure des conséquences socio-économiques du deuil. Le travail et l’emploi sont également une source essentielle (voire la plus importante) de revenus chez les adultes. Une étude suggère que plus de 5 % de la population active a pris un congé pour deuil au moins une fois (Wojcik, 2000). Les différentes études citées ci-dessus suggèrent que cela pourrait dépendre du statut du défunt : la mort d’un enfant engendrera un congé plus long, estimé d’une à douze semaines (Gibson et al., 2010). Cette étude souligne, par ailleurs, le changement de perception de l’importance et de la valeur du travail pour les endeuillés et qui peut aboutir à un changement dans sa carrière professionnelle.
Eyetsemitan (1998) suggère que le deuil coûte des « milliards de dollars », du fait de la perte de productivité.
Certaines données provenant de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) pourraient suggérer que le taux de congé à la suite d’un deuil et par conséquent, le coût payé par l’employeur, varient considérablement.
L’étude de Corden et ses collègues (2002) a déterminé le manque de bénéfice financier dû aux années de vie perdues de l’enfant. Qu’en est-il pour les endeuillés ? Est-il possible de considérer le bénéfice financier dû aux années de vie perdues d’un adulte décédé ? Aucune étude ne l’a évalué. Des chercheurs se sont intéressés à la mortalité et la morbidité des endeuillés. En effet, un nombre significatif de données liées à la surmortalité chez les endeuillés est disponible dans la littérature. Boyle et ses collègues ( ; 2011), en utilisant les données de l’étude Scottish Longitudinal Study, ont pu déterminer un taux de risque de 1,4 pour les hommes et de 1,36 pour les femmes. Le risque était le plus grand dans la période suivant tout juste le décès (dans les 6 mois en particulier – Manor et Eisenbach, 2003) et il reste élevé sur au moins dix ans suivant le décès, résultat corroboré par l’étude de Thierry (1997). Cependant, des études antérieures comme celle de Parkes et ses collègues (1969) suggéraient qu’après la première année de deuil, les taux de mortalité chutaient. Dans leur revue, Stroebe et ses collègues (2007) ont identifié un risque plus élevé chez les jeunes endeuillés que chez les plus âgés et des taux plus prononcés chez les hommes. De plus, l’impact de la perte d’un enfant suggère un risque de mortalité plus élevé sur une période de temps d’environ 18 mois.
Enfin, il existe un risque accru de suicide chez les endeuillés qui pourrait être spécifiquement mis en avant comme un indicateur du « coût social » du deuil. Une étude a montré que, pour les adultes de tout âge, une perte par suicide, 4 à 6 ans auparavant, peut conduire à un taux de dépression de 66 % chez les endeuillés. Lorsque la perte remontait à plus de 10 ans, le taux de dépression pouvait rester aussi élevé que 42 %. Les difficultés de ce type de deuil et une forte stigmatisation semblaient prédire de façon significative la dépression. De plus, la dépression, les difficultés de deuil et une forte stigmatisation semblaient être des facteurs prédictifs significatifs de pensées suicidaires chez les proches de quelqu'un qui s’était suicidé (Feigelman et al., 2009).
Dans les coûts socio-économiques chez les adultes, il semble essentiel de déterminer le coût des services spécifiques délivrés aux endeuillés. Arthur et ses collègues (2011) identifient un manque de données dans la littérature concernant le rapport coût/efficacité des services de soutien de deuil. Une étude néerlandaise suggère que, pour la consultation de suivi de deuil, il y a une forte probabilité de gains en termes de qualité de vie à un coût relativement bas (Onrust et al., 2008). Cependant, le soutien de deuil pourrait inclure une gamme de services variés comme, par exemple, la visite post-décès dans le cas d’un décès à domicile (Lyttle, 2001) ou les visites chez le médecin généraliste. Dans beaucoup de cas, les endeuillés ont mis en avant un manque de services (Wilson et Marshall, 2010) et donc, si ces manques venaient à être comblés, quel en serait le coût ? Il est aussi nécessaire pour les auteurs d’estimer le niveau d’utilisation de ces services –donc, leur rentabilité– pour fournir une vue d’ensemble. Les services de santé communautaires semblent être utilisés de manière accrue par les endeuillés (Wiles et al., 2002) qui n’ont « nulle part où aller ».
De plus, il existe des interventions spécifiques dans ce groupe d’âge : par exemple, pour les parents endeuillés (Rowa-Dewar, 2002), et pour les endeuillés suite à un suicide (McDaid et al., 2008). En estimer le coût représente un travail minutieux et conséquent. Cependant, de manière générale, Bergman et ses collègues (2010), dans une étude américaine, estimaient qu ; ’environ 50 % des endeuillés étaient susceptibles d’utiliser une forme quelconque de service de soutien de deuil. Le service le plus communément utilisé était le médecin de famille (32,8 %), suivi par le ministre du culte (25,2 %), le groupe de soutien (10 %) et le professionnel de santé mentale (2,4 %).
Personnes âgées
La perte du conjoint est très fréquente chez les personnes âgées et il se produit à un moment où la vulnérabilité est forte. Les personnes âgées sont plus souvent sujettes à un déclin cognitif ou des difficultés physiques et cela peut compliquer le deuil et la capacité à le gérer (Hansson et Stroebe, 2007). Le deuil peut aussi engendrer des problèmes financiers importants.
Les enjeux sanitaires et socio-économiques du deuil chez les personnes âgées sont moins liés à l’emploi qu’à la santé déclinante. En particulier, elles sont souvent l’aidant naturel de leur conjoint gravement malade ou en perte d’autonomie. Les effets sur la santé mentale et la santé physique suite au décès du conjoint pour les aidants sont souvent étudiés. Malheureusement, aucune ne cible les personnes âgées spécifiquement. Il existe néanmoins de nombreuses études sur les effets du deuil sur la santé des personnes âgées. Elles abordent trois thèmes majeurs : la mortalité, la santé mentale et la santé physique.
Parkes (1992) a identifié que le deuil augmente la mortalité chez les veufs âgés de plus de 55 ans, en particulier ceux souffrant de maladies cardiaques. Il a également constaté que si les femmes avaient plus de problèmes de santé mentale, elles ont moins de risque de mortalité que les hommes. Bowling (2009) a constaté que les hommes plus âgés peuvent être 1,5 à 2 fois plus susceptibles que les femmes de mourir dans la première année après la perte du conjoint, avec un risque augmentant avec l'âge et le fonctionnement physique déclinant. Buckley et ses collègues (2010) corroborent également ce résultat : le risque de mortalité pour un conjoint survivant augmente dans le stade précoce du deuil, en particulier pendant les premières semaines. Les hommes peuvent être plus exposés que les femmes, les hommes plus âgés (plus de 75 ans) étant les plus à risque. Chez les femmes, il y a une augmentation de la mortalité dans tous les groupes d'âge. Toutefois, il se peut que les femmes de plus de 75 ans soient les plus exposées.
Une preuve supplémentaire de la surmortalité est fournie par Elwert et Christakis (2008). Ils ont trouvé que le taux de mortalité pour les époux âgés endeuillés est augmenté de manière significative : pour les époux, l’étude a constaté une augmentation de 18 % de la mortalité toutes causes confondues ; pour les épouses, l’augmentation a été de 16 %. L’augmentation de la mortalité des conjoints survivants liée au veuvage semble dépendre de la cause du décès. Le veuvage n’augmente pas le risque de mortalité toutes causes confondues uniformément (Elwert et Christakis, 2008). Le risque est augmenté de 20 % chez les hommes dans le cas de BPCO, de diabète, de traumatismes graves, d’infections et de cancer du poumon ; celui des femmes est augmenté de 20 % dans les cas de BPCO, de cancer du côlon, de traumatismes et de cancer du poumon (El ; wert et Christakis, 2008 ; Boyle et al., 2011). Buckley et ses collègues (2010) ont également constaté une surmortalité significative dans le cas des maladies cardiovasculaires. La dépression joue également un rôle dans la surmortalité du veuvage : elle est liée à l'augmentation du nombre d'événements cardiaques et à l'anxiété (Buckley et al., 2010). Résultat intéressant, la mortalité conjugale a été jugée plus faible au cours des 18 premiers mois lorsque le conjoint décédé avait été soigné dans un centre de soins palliatifs (Buckley et al., 2010).
Le deuil est aussi identifié comme un facteur de risque important pour la dépression ; ce que vient confirmer une revue systématique des études sur des personnes âgées de plus de 50 ans vivant en maison de retraite (Cole et Dendukuri, 2003). D'autres recherches ont montré qu’un tiers des personnes âgées éprouvent des effets sur leur santé (mentale et physique) après un deuil, qu’un quart des veufs souffrent d'anxiété et de dépression dans la première année, et que, dans les deux premiers mois, 24 % développent les critères du trouble dépressif majeur (Michael et al., 2003). Durant la deuxième ou troisième année après le décès, les personnes âgées peuvent présenter un peu plus de problèmes de santé mentale que l’année après la perte. Cependant, les personnes endeuillées après une année peuvent éprouver plus de stress (Fitzpatrick et Bosse, 2000). Michael et ses collègues (2003) ont également constaté que la dépression peut persister passé un an pour les personnes âgées les plus jeunes, mais pas pour les plus de 75 ans.
Les facteurs qui peuvent atténuer les effets du deuil sur la santé mentale ont également fait l’objet de plusieurs études. Ha et Carr (2005) ont observé que les veuves âgées et les veufs co-résidant avec des enfants présentaient significativement moins de symptômes dépressifs et moins d'anxiété.
Si l’on discrimine par le sexe, Siegel et Kuykendall (1990) ont montré qu’une perte familiale non conjugale peut être associée à des niveaux élevés de dépression chez les hommes plus âgés, mais pas chez les femmes. En outre, les hommes qui ont déclaré la perte d'un membre de la famille proche étaient plus déprimés que leurs homologues mariés.
Au niveau de la santé physique, une étude américaine a révélé que l'exercice une fois par semaine est un facteur prédictif d’un meilleur état de santé physique, d’une plus grande énergie chez les personnes âgées endeuillées (Chen et al., 2005). La surveillance de l’apport calorique et le fait de dormir 6 à 9 heures par nuit prédisent également un bien-être émotionnel et physique amélioré. Cependant, les femmes veuves peuvent réduire leur activité physique suite au décès, réduction à laquelle vient s’ajouter, pour certaines, une diminution de leur réseau social qui réduit d’autant plus leur activité physique (Grimby et al., 2008). La détérioration physique peut être aussi liée à l'âge et il peut être difficile de différencier les effets du deuil de ceux de l’avancée en âge.
Le risque d'hospitalisation pour une femme âgée de 69 ans ou plus, récemment veuve, a été estimé, dans une étude, à près de 40 % supérieur au risque d’hospitalisation pour les femme ; s mariées du même âge. Cependant, après deux ans, le risque d'hospitalisation ne diffère plus selon le veuvage. Les femmes socialement isolées peuvent présenter un risque plus élevé d'hospitalisation. Les diagnostics les plus fréquents étaient les mêmes pour les deux ensembles de femmes (Laditka et Laditka, 2003).
Les comportements à risque pour la santé, y compris la consommation d'alcool, peuvent avoir des conséquences importantes pour la santé des endeuillés âgés. Une recherche australienne a montré une consommation excessive d'alcool tant chez les veufs âgés que chez les hommes âgés mariés. Cependant, les veufs ont rapporté significativement plus de consommation d'alcool sur plus de jours que les hommes mariés (Byrne et al., 1999).
Un autre comportement à risque peut avoir son importance : le suicide. En 2013, 2 876 personnes de plus de 65 ans se sont suicidées en France (CépiDC, centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès, 2016 – données en ligne). Les pensées suicidaires peuvent affecter les personnes âgées endeuillées. Perdre un conjoint pour un homme peut conduire à un risque accru de suicide la première année suivant le décès. Erlangsen et ses collègues (2004) ont constaté une augmentation de facteur 8 dans les suicides chez les personnes endeuillées et âgées de plus de 65 ans au Danemark. Les entrevues qualitatives menées par Bennett (2005) ont également permis de constater que 33 % des hommes de l’échantillon (n = 20) ont exprimé un certain stoïcisme et affirmé explicitement des projets d’avenir.
Si la cause de décès est importante, la nature de la relation entre la personne âgée et la personne décédée est tout aussi essentielle. La littérature est abondante lorsqu’il s’agit de la perte d’un conjoint d’un autre sexe (voir ci-dessus). Cependant, peu de recherches se sont intéressées à la perte d’un partenaire de même sexe, à la perte de frères et de sœurs ou au deuil des grands-parents. D’autres domaines semblent être négligés comme, par exemple, la perte d'un enfant adulte.
La recherche a montré que les personnes âgées ayant perdu un partenaire de même sexe font face à un manque de « validation sociale » quant à l’expression de leur deuil (Bent et Magilvy, 2006 ; Fenge et Fannin, 2009). Les risques, pour l’endeuillé âgé homosexuel, sont associés au fait de garder une partie de leur identité cachée. Lorsque la relation est assumée, l’endeuillé doit faire face à des réactions négatives ; lorsque la relation n’est pas assumée, il risque de ne pas recevoir le soutien approprié (Fenge et Fannin, 2009). L'isolement social est un facteur-clé pour les endeuillés âgés homosexuels et les services de soutien se concentrent sur les groupes d'âge plus jeunes. De plus, les services ciblant implicitement les personnes hétérosexuelles leur sont difficiles d'accès et ne peuvent pas leur fournir un soutien approprié (Fenge et Fannin, 2009). Pour l’endeuillé homosexuel, il peut aussi y avoir des difficultés dans la gestion des affaires immobilières et mobilières, en particulier lorsque des conflits juridiques avec la famille se produisent (Bent et Magilvy, 2006).
Les relations familiales sont un enjeu majeur pour éviter l’isolement ; social au crépuscule de la vie. Une étude américaine s’est intéressée à la perte dans la fratrie chez les personnes âgées. La peur de la mort, la proximité avec le membre de la fratrie et la proportion de frères et sœurs déjà morts semblent associée à la dépression (Cicirelli, 2009). Le risque de dépression semble diminuer quand il y a un plus grand sentiment de proximité dans la fratrie (mort ou vivant). A l'inverse, il y a plus de dépression lorsque la relation est moins proche (Cicirelli, 2009).
Une recherche qualitative, réalisée en Israël, a identifié cinq thèmes-clés pour les grands-parents en deuil : (1) la « place » des grands-parents dans le deuil n’est pas toujours claire, peut paraître illégitime par rapport au deuil des parents de l’enfant ; (2) l’accompagnement de l'enfant au cours de la maladie peut engendrer, chez les grands-parents, un sentiment de désespoir ; (3) la douleur, la perte et la mémoire de l’enfant décédé n’est pas toujours partagée avec les grands-parents ; (4) la distance entre les générations et les différents besoins des membres de la famille viennent bouleverser la place des grands-parents dans la famille endeuillée ; et (5) le retour à la vie ; le fait de retrouver ses activités habituelles avec la douleur de la perte est difficile pour les grands-parents (Nehari et al., 2007).
Ponzetti et Johnson (1991), aux Etats-Unis, ont également identifié que les grands-parents éprouvent des sentiments de perte et une profonde préoccupation pour leur fils ou leur fille (parents de l'enfant décédé) alors qu'ils pleurent non seulement la mort du petit-enfant mais aussi leurs propres espoirs et leurs rêves perdus concernant cet enfant.
La perte d’un être cher, en particulier le conjoint, peut amener l’endeuillé âgé à l’isolement social et la solitude. Ces facteurs sont souvent mis en évidence dans la littérature. Le fait d’être maintenant seul peut être rappelé quotidiennement par l’absence du conjoint décédé, par les anniversaires de la mort, par le fait d'avoir à apprendre à faire des tâches précédemment réalisées par le partenaire, et par le fait d’exister comme un individu et non plus comme un couple (Anderson et Dimond, 1995). La solitude a également été décrite comme émotionnelle (sentiment de solitude) et/ou sociale (isolement). Pour van Baarsen (2002), la solitude émotionnelle augmente après le décès, et diminue peu à peu au cours des deux ans et demi suivants, même si elle reste supérieure à la ligne de base. Une forte estime de soi avant le décès est liée à une plus faible solitude émotionnelle après le décès. Une estime de soi diminuée après le décès est associée à une solitude émotionnelle et sociale accrue. Les veufs sont plus enclins, avec l'âge, à vivre une solitude émotionnelle que les veuves. Enfin, avoir une confidente féminine réduit davantage la solitude pour ceux qui ont une forte estime de soi (van Baarsen, 2002).
Laditka et Laditka (2003), qui ont mené une recherche sur les femmes âgées, ont constaté que le risque d'une femme récemment endeuillée de n’avoir aucun contact social avec des amis ou des proches est plus de 3,5 fois supérieur à celui des autres femmes.
Ha et Carr (2005) ont étudié le ; s avantages, pour les veufs âgés, d'avoir un réseau de soutien. Les veufs âgés vivant avec ou à proximité d'enfants semblent avoir moins de symptômes de deuil que ceux dont la famille est à plus d'une heure de distance. Cependant, ceux qui vivent avec leurs enfants ont moins de soutien d’amis. Le soutien des amis diminue la dépression, l’anxiété, le choc et le deuil de manière générale. Toujours selon la même étude, l'intégration sociale augmente après le décès : des niveaux plus élevés d'intégration ont été signalés par les femmes, les personnes à revenus plus élevés, celles qui ont plus de soutien des enfants et des amis. Une santé moins bonne et des ressources économiques moindres sont des facteurs prédictifs de la dépendance des endeuillés âgés vis-à-vis de leurs enfants (Ha et al., 2006). De même, les conjoints en deuil avec plus de ressources économiques semblent fournir davantage de soutien aux enfants.
Dernier point à aborder chez les personnes âgées : les déménagements. En effet, Michael et ses collègues (2003) ont constaté que la perte de soutien du conjoint peut aboutir à déménager. La recherche suggère également que plus la personne âgée endeuillée a d’enfants, moins elle a de probabilité d’être admise en résidence médicalisée. L’étude menée par Noel-Miller (2010) met également en évidence que la perte conjugale augmente de manière significative le risque d'admission pour les hommes.
Le nouveau logement des personnes âgées endeuillées peut être plus petit, allant d’un bien propre à un bien loué, un logement protégé ou une cohabitation en famille. Ce relogement peut engendrer des effets financiers négatifs (frais de vente, coûts émotionnels) et positifs (économies à l’entretien d’un bien plus petit).
Les éléments participant du « coût social » du deuil
Cette synthèse documentaire a permis d’identifier certains aspects de ce que les anglo-saxons appellent « coût social » du deuil. Une large gamme de résultats concernant les conséquences sanitaires et sociales du deuil a été mise en évidence : la mortalité et la morbidité, la consommation excessive d’alcool et de substances psychoactives, les effets sur la santé mentale, l’éducation, l’emploi et le travail, les coûts financiers individuels et collectifs, le suicide, l’isolement social et la solitude et les services proposés de soutien aux endeuillés. Cependant, il n’est pas possible de transposer en France beaucoup de ces résultats, notamment l’utilisation des services proposés de soutien aux endeuillés et celle du système de santé ainsi que les données économiques car il s’agit de données étrangères, le plus souvent américaines.
Certaines conséquences du deuil peuvent être évaluées par des études quantitatives (par exemple, les estimations de fréquence de dépression et d’anxiété), alors que d’autres, de par leur nature, demandent des évaluations plus qualitatives telles que la perte d’une famille, les espoirs futurs, les attentes. Enfin, d’autres conséquences encore doivent être étudiées par un savant mélange d’évaluations qualitative et quantitative, comme l’emploi et le travail, par exemple.
Le groupe de recherche du projet SECOB (Birell et al., 2013 ; Stephen et al., 2015) a ; proposé un modèle analytique d’un ensemble de facteurs intervenant dans le « coût social » du deuil. Ainsi, le décès est la cause du « coût social » du deuil. Il a des conséquences individuelles à court terme (bien-être, santé, finances) qui varient selon des déterminants comme la cause de décès, la relation qui lie l’endeuillé au défunt, le soutien social. Ces conséquences impliquent des coûts ou investissements indirects (frais médicaux, coûts des interventions de soutien) et engendrent des effets socio-économiques à court terme (relations familiales, travail, scolarité, sécurité sociale). Enfin, les conséquences à court terme peuvent, avec le temps, provoquer des conséquences à long terme comme la mortalité, la morbidité ou la perte de productivité.
Pour terminer, mentionnons qu’une meilleure compréhension du « coût social » dans d’autres domaines (drogues avec les rapports disponibles de l’OFDT –Observatoire français des drogues et des toxicomanies–, par exemple) pourrait permettre de proposer d’autres indicateurs du coût du deuil, divisés en coûts privés et coûts publics que l’on peut citer à titre indicatif et non exhaustif.
Les coûts privés peuvent être représentés par : ; les coûts pour les endeuillés : frais des obsèques, frais médicaux non remboursés par la sécurité sociale, perte d’années de vie des endeuillés, coût lié au changement de vie, frais d’avocat et de succession. ; les dépenses d’organismes privés pour la prévention et le soutien : frais de personnels, frais de fonctionnement, campagne d’information, action de soutien de deuil. ; les aides aux endeuillés (dépenses d’organismes privés) : frais de personnels, frais de fonctionnement, versement d’aides directes. ; le coût sur le lieu de travail (secteur privé) : absentéisme, présentéisme, perte de productivité (celle due aux jours d’absence d’un salarié). ; les coûts privés intangibles : peine de l’endeuillé, perte du bien-être de l’endeuillé. ; les dépenses privées engagées pour la prévention et le soutien : dépenses de prévention et de soutien engagées par les associations privées.
Il est possible d’approcher les coûts publics par : ; les dépenses publiques de santé liées au deuil : frais médicaux pris en charge par la sécurité sociale (consultations médicales, médicaments, frais d’hospitalisation), dépenses de santé des collectivités locales. ; les dépenses publiques engagées pour la prévention et le soutien : dépenses de prévention et de soutien engagées par les ministères (Education, Santé, etc.), dépenses de prévention et de soutien engagées par les organismes d’intérêt public, aides aux associations privées (budget de l’Etat), aides aux associations privées (budget des collectivités locales). ; autres coûts publics : dépenses publiques pour les actions de débat public.
On le voit à l’issue de cette synthèse, beaucoup de travail est nécessaire, pour les chercheurs intéressés par la question du « coût social » du deuil, pour mieux connaître et comprendre dans notre pays chacun des domaines mentionnés dans cette synthèse.
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Rapports européens
Il semble dans un premier temps pertinent de partir de recommandations concernant la fin de vie des patients atteints de la maladie d’Alzheimer et des pathologies apparentées. Il existe ainsi un rapport d’Alzheimer Europe de 2008 [1] qui propose 55 recommandations. Ce petit livre de 70 pages détaille très précisément les situations de fin de vie et les conduites à tenir.
Plus récemment, en 2014, a été publié un « article blanc » (en référence aux « livres blancs ») sur les recommandations de l’Association européenne de soins palliatifs concernant la prise en soin optimale des patients déments en phase palliative [2]. Ce texte synthétique et très complet fait des recommandations et indique aussi quelles sont les pistes de recherche à prioriser. Les auteurs encourageaient une traduction et une diffusion de cet article, ce qui n’a malheureusement pas encore été le cas. Le groupe proposait 57 recommandations réparties en 11 domaines dont voici les intitulés :
1-Applicabilité des soins palliatifs ;
2-Soins centrés sur la personne, communication et décision partagée ;
3-Fixer des objectifs de soins planifiés à l’avance ;
5-Pronostiquer et reconnaître la période de fin de vie ;
6-Eviter les traitements trop agressifs, coûteux ou inutiles ;
7-Traitement optimal des symptômes et soins de confort ;
8-Support psychosocial et spirituel ;
9-Famille : implication et soutien ;
10-Education des équipes de soin ;
11-Questions éthiques et sociétales.
Les recommandations du domaine 6, par exemple, abordent l’hospitalisation, les traitements chroniques, la contention, l’hydratation, les sondes d’alimentation et l’antibiothérapie en fin de vie. Le consensus étant modéré pour ce qui concerne l’hydratation (plutôt sous-cutanée et inappropriée en phase agonique) et les sondes d’alimentation (à éviter, préférer le manger par voie orale). Le texte de référence concernant les dangers des sondes d’alimentation dans les démences sévères reste celui de Gillick en 2000 [3].
Le groupe a aussi proposé de prioriser les objectifs de soins en fonction de l’évolution de la démence. Ainsi, en l’absence de maladie d’Alzheimer, les objectifs sont ceux de la promotion de la santé et de la prévention/réduction des facteurs de risque. Ensuite, et de façon consécutive ou concomitante selon l’évolution (légère, modérée, sévère), les objectifs sont soit de prolonger la vie, soit de maintenir l’autonomie, soit des soins de conforts. Au stade léger à modéré les 3 objectifs peuvent être présents simultanément pour un même patient. Enfin, il est important d’accompagner le deuil de la famille après le décès du malade.
Les auteurs ont ensuite classé ces 11 domaines par ordre de priorité pour la recherche. Le premier thème pour la recherche est celui sur les soins centrés sur la personne, la communication et la décision partagée ; le deuxième concerne le traitement optimal des symp ; tômes et les soins de confort ; et le troisième de fixer des objectifs de soins planifiés à l’avance. Un article américain de 2012 [4] proposait également des pistes de recherche sur les démences sévères pour les 10 ans à venir. Ce texte insistait sur l’importance de reconnaître le stade sévère comme une maladie terminale et de développer l’accès aux soins palliatifs.
Il faut noter que, quelles que soient les recommandations, s’il est assez clair que pour les démences sévères il y a un consensus concernant la non-indication à une réanimation, une intubation, une dialyse ou la mise en place d’une sonde d’alimentation, certaines questions restent débattues : la chirurgie (en France les opérations en urgence restent pratiquées), les transfusions sanguines (à quel moment les arrêter) ou encore l’antibiothérapie en phase terminale (considérée comme un soin de confort par certains consensus). Un article canadien de 2011, sur la prise en charge des démences en phase terminale, analyse une partie de ces thématiques [5]. Toujours au Canada, Arcand [6,7] a fait une synthèse en deux parties sur ces sujets.
Concernant les soins palliatifs pour les personnes âgées de façon plus générale on peut consulter les 2 livrets de l’OMS-Europe [8,9]. Dans le livret de 2004 [8], il est en particulier développé les spécificités de trajectoire en fin de vie des patients déments. Ce modèle (beaucoup repris par la suite) est basé sur la publication de Lunney et al. en 2003 [10].
Prises de décision
La loi encourage la rédaction de directives anticipées ou la désignation d’une personne de confiance pour aider à la prise de décision lors des situations de fin de vie. Ceci est particulièrement important dans la maladie d’Alzheimer où la capacité à consentir est difficile à évaluer [11]. Même si cette capacité est longtemps préservée et doit toujours être recherchée, dans la pratique quotidienne, la prise de décision va souvent revenir à la famille (aidant principal considéré comme personne de confiance) ou aux professionnels. Deux articles [12,13] sont intéressants à analyser car ils apportent des pistes de réflexion sur cette prise de décision.
Le premier concerne une étude allemande [12] qui s’est intéressée au choix fait par des tuteurs familiaux (n = 16) et des tuteurs légaux (n = 16). Il s’agissait pour les tuteurs de prendre une décision face à une situation théorique concernant un patient de 90 ans ayant une démence terminale, grabataire et non communiquant, auquel les médecins proposaient soit de poser une gastrostomie à cause de la dénutrition, soit un pacemaker à cause d’un problème cardiaque. Globalement les tuteurs familiaux étaient contre ces interventions à 71%, alors que les tuteurs légaux étaient pour à 69%. Les arguments pour les familles étant de privilégier le bien-être alors que les tuteurs légaux privilégiaient l’autonomie du patient.
Le deuxième article [13] est une étude italienne qui a comparé les prises de décisions concernant des patients ayant une démence sévère selon qu’ils vivaient à domicile ou en institution. Durant les 6 mois de l’étude, une décision critique a été prise pour 267 patients sur les 496 (53,8%). Les malades en institution avai ; ent plus d’hydratation artificielle (intraveineuse ou sous-cutanée) que ceux à domicile (21,7% vs 11,5%), le plus souvent associée à une antibiothérapie (18% vs 4,5%) ; par contre, ceux à domicile étaient plus souvent hospitalisés (25,5% vs 3,1%). Pour ce qui était de l’ensemble des décisions critiques prises pendant l’étude, leur objectif était majoritairement de réduire les symptômes et les souffrances (81,1% en institution vs 57% à domicile), plutôt que de prolonger la survie (27,5% en institution vs 23,1% à domicile). La conclusion des auteurs était, qu’en Italie, la démence sévère n’était pas considérée, ni traitée, comme une maladie en phase terminale, y compris en institution et qu’il fallait développer les soins palliatifs dans ce sens.
Les législations étant différentes d’un pays à l’autre, il n’est pas toujours facile de comparer les pratiques. Un article français de 2007 passe en revue l’aspect législatif au niveau de différents pays européens des droits des personnes en fin de vie au regard de la maladie d’Alzheimer [14].
Dans le but de mieux informer les familles sur les soins de confort dans la démence, un guide a été rédigé en français et en anglais au Canada en 2005 [15] puis adapté en diverses langues : hollandais, italien et japonais [16-18]. A notre connaissance, ce guide n’a pour l’instant pas été adapté à la France.
Les symptômes en fin de vie
L’article blanc [2] insiste sur la prise en charge des symptômes en phase terminale de la maladie d’Alzheimer. Mais quels sont ces symptômes ? Au moins deux études européennes ont essayé de répondre à cette question [19,20].
Dans l’étude réalisée dans notre service [19], nous avons analysé les conditions de fin de vie de 33 malades. Les principales pathologies associées durant le mois précédent le décès étaient les infections (94%), la dénutrition (78,8%), les escarres (42,4%), les néoplasies (27,3%) et les autres pathologies neurologiques (24,2%), en particulier les AVC. Les principaux symptômes présents la dernière semaine de vie étaient : douleur (100%), encombrement bronchique (75,7%), fièvre (42,4%), opposition aux soins (32%), troubles du comportement (21,2%) et hypertonie (21,2%).
L’étude réalisée en Suisse alémanique [20] a porté sur 65 patients en institution. Les auteurs ont étudiés les symptômes à 3 mois, 2 mois, 1 mois et durant la dernière semaine de vie. Durant les 3 mois précédents le décès, les symptômes les plus fréquents étaient les troubles de la marche (81%), la douleur (71%), les troubles du sommeil (63%), les comportements inhabituels (62%), les troubles alimentaires (62%), l’agitation (39%), les problèmes respiratoires (29%), l’apathie (25%), l’anxiété (22%) et la dépression (14%). Au cours des 3 mois, certains symptômes ont diminués en fréquence (mobilité, comportement, sommeil, agitation et dépression), alors que les autres se sont majorés : anxiété, apathie, difficultés respiratoires (50% la dernière semaine), troubles alimentaires (70% la dernière semaine) et douleur (80% la dernière semaine).
Les résultats de ces deux études montrent une fréquence beaucoup plus importante de la douleur et de la dyspnée que ce qui avait été observé dans la grande étude a ; méricaine de Mitchell et al. [21](douleur 39,1% et dyspnée 46%). Dans cette étude [21], la mortalité à 6 mois chez 323 patients ayant une démence sévère en institution, était de 46,7% en cas de pneumonie, de 44,5% en cas d’épisode fébrile et de 38,6% en cas de problèmes d’alimentation.
Des études [22,23] ont également étaient faites en institution en Hollande. L’objectif était plus d’analyser le confort de la fin de vie chez les malades déments. Dans la première [22], sur 24 patients, les causes de décès étaient principalement la cachexie/déshydratation (62,5%) et les pneumonies (12,5%). Dans la deuxième [23], il s’agissait d’une analyse basée sur les données de la Dutch End of Life in Dementia study concernant 233 résidents atteints de démence. Selon les proches, les patients étaient décédés paisiblement dans 56% des cas. Certains auteurs [22,24] proposent d’utiliser des échelles spécifiques pour évaluer la prise en charge des symptômes et la satisfaction par rapport aux soins : il s’agit ici de l’échelle EOLD (End-Of-Life in Dementia). Pour les symptômes cette échelle évalue : douleur, difficultés respiratoires, dépression, peur, anxiété, agitation, calme, lésions cutanées et résistance aux soins.
Evaluation de la douleur et maladie d’Alzheimer
Comme on l’a vu, le symptôme le plus fréquent en fin de vie chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer et des pathologies apparentées, reste la douleur qu’il est souvent difficile d’évaluer. D’une manière générale, la douleur est sous-évaluée et sous-traitée chez les patients déments. Elle serait même probablement responsable d’une partie des troubles du comportement (agitation, agressivité…) observée dans cette population [25].
Face à cette difficulté pour évaluer la douleur chez les patients non communicants, plusieurs échelles d’hétéro-évaluation ont été développées. On peut citer par exemple Doloplus-2 [26] - qui a été traduite et validée dans plusieurs langues - pour les douleurs chroniques et, plus récemment, Algoplus [27] pour les douleurs aiguës. Une revue de la littérature [28], publiée en 2014, analyse les 15 échelles validées les plus utilisées. Globalement ces échelles évaluent entre 1 et 6 des comportements potentiellement impliqués dans la douleur et qui ont été identifiés par l’American Geriatric Society en 2002 [29] : expressions faciales, verbalisation, mouvements du corps, changement dans les relations sociales, changement dans les activités et changement de l’état psychique. Comme on le verra plus loin, les recherches actuelles se focalisent beaucoup sur la détection automatisée des expressions faciales.
Deux études genevoises [30,31] ont évalué l’utilisation des échelles d’auto-évaluation en fonction du degré d’évolution de la démence. La première étude [30] a porté sur 160 patients et a étudié 4 échelles d’auto-évaluation (EVA (échelle visuelle analogique) horizontale et verticale, échelle des visages et échelle verbale simple) en comparaison avec Doloplus. Les patients ont été répartis en 3 groupes selon le degré d’évolution de la démence (Clinical Dementia Rating, CDR) allant de 1 (démence légère) à 3 (démence sévère). Les 4 échelles d’auto-évaluation étaient compri ; ses par 80% des CDR 1, 59% des CDR 2 et quand même 19% des CDR 3. A l’inverse, 3% des CDR 1, 10% des CDR 2 et surtout 60% des CDR 3 ne comprenaient aucune des 4 échelles. La même équipe a fait une évaluation similaire [31] en ne s’intéressant cette fois-ci qu’aux patients ayant une démence sévère (n = 129, CDR 3 et MMS (Mini Mental State ou test de Folstein) < 11). Les échelles utilisées étaient l’EVA horizontale, l’échelle verbale simple et l’échelle des visages. Pour l’analyse, les patients ont été répartis en deux groupes en fonction du MMS (= 6 ou > à 6). Les 3 échelles étaient comprises pour 32% des patients ayant un MMS > 6 et seulement 25% dans l’autre groupe. Dans 26% des cas pour ceux ayant un MMS > 6 et dans 51% des cas pour ceux ayant un MMS = 6, aucune des 3 échelles n’étaient comprises. Ces études confirment qu’il faut toujours essayer d’utiliser en premier une échelle d’auto-évaluation, mais que plus la démence est sévère et plus il faut avoir recours à l’hétéro-évaluation.
La conséquence des difficultés d’évaluation de la douleur chez les patients déments est qu’ils sont souvent sous-traités. Une étude en institution [32] ayant porté sur 551 résidents répartis en fonction de la sévérité de la démence (absente, légère, modérée ou sévère) a montré que 34% des résidents non déments étaient évalués comme douloureux et seulement 9,5% des déments sévères. La même différence dans l’évaluation par les infirmières était trouvée concernant la fréquence et l’intensité de la douleur. La conséquence étant que 80% des résidents non déments avaient déjà reçu un traitement antidouleur et seulement 56,2% des déments sévères. Par ailleurs, pour les déments sévères ils recevaient moins souvent un traitement de palier II ou III (34,3% vs 62%). Plus récemment, une grande étude danoise [33] concernant l’utilisation des opioïdes chez les patients déments a mis en évidence une plus grande utilisation chez les non déments en institution (41%) que chez les déments (27,5%). A l’inverse, à domicile, il y avait une plus grande utilisation des opioïdes chez les déments 16,9% que chez les non déments (7,1%). Les formes en patch étaient les plus utilisées.
Devant la difficulté d’évaluer la douleur chez les patients déments, la recherche actuelle s’oriente vers l’évaluation faciale automatisée [28]. Les changements observés au niveau de l’expression faciale seraient les manifestations non-verbales les plus sensibles et les plus spécifiques de la douleur, chez l’homme [34,35] comme c’est le cas chez les animaux [36,37]. Il faut noter que seules certaines zones du visage sont spécifiques de la douleur et que l’évaluation automatisée est plus performante que l’évaluation par des soignants. Ceci a particulièrement bien été démontré en pédiatrie chez 50 enfants de 5 à 18 ans [38]. Dans cette étude l’évaluation par la machine était la plus proche de l’auto-évaluation de la douleur par les enfants. Venait ensuite l’évaluation par les parents (qui avaient tendance à surestimer les douleurs transitoires) et en dernier l’évaluation par les infirmières qui sous-estimaient largement la douleur des enfants. Chez les patients déments, une étude a comparé l’évaluation de 21 ; infirmières à celles de 21 non professionnels (secrétaires ou personnel administratif)[39]. Il s’agissait d’observer 120 vidéos sans avoir de renseignement sur les patients, simplement en analysant l’expression du visage. Au final, il n’y avait aucune différence d’évaluation de la douleur entre les professionnels et les non professionnels. Pour une même intensité de la douleur provoquée par une pression douloureuse standardisée, la douleur était cotée de façon plus forte pour les femmes que pour les hommes, pour les sujets âgés que pour les sujets jeunes et chez les déments que chez les non déments. La même équipe [40] avait déjà montré en comparant 42 patients déments et 54 sujets sains soumis à un stimulus douloureux que l’expression faciale était majorée chez les malades, et en particulier les expressions spécifiques de la douleur et que l’augmentation des expressions était corrélée à l’intensité de la douleur.
Dans cette partie, nous avons axé notre analyse bibliographique uniquement sur la douleur qui est le symptôme le plus fréquent en fin de vie chez les patients déments, mais il est bien évident que la recherche concernant les autres symptômes doit aussi être prioritaire et développée [41].
Ethique et fin de vie
Pour ce qui est des questions éthiques la majorité des documents sont en français et ont été publié par l’Espace éthique Alzheimer (http://www.espace-ethique-alzheimer.org/), devenu EREMA, Espace de réflexion éthique sur la maladie d’Alzheimer, dirigé par Emmanuel Hirsch. Ce site est d’une très grande richesse et comporte de nombreux articles, documents, recommandations et vidéos. Certains de ces textes ont été rassemblés dans un livre publié en 2012 [42] qui, dans la partie intitulée « jusqu’au terme du parcours », comporte 4 chapitres directement consacrés à la fin de vie des malades Alzheimer. Par ailleurs, toujours en 2012, l’EREMA a publié un avis [43] dont le point 2.2.g aborde spécifiquement les fins de vie. En préambule il est noté que « L’évolution de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées tend vers l’aggravation progressive du déficit des fonctions cognitives et une dépendance croissante dans les actes de la vie quotidienne. En fin de vie il convient de compenser ces déficits, d’assurer la meilleure qualité de vie possible, et de mener une réflexion éthique pour toute thérapeutique ou tout examen complémentaire ». Il faut noter également que pour la Journée mondiale Alzheimer du 21 septembre 2013, l’EREMA a publié une contribution à la réflexion nationale sur la fin de vie consacrée à la maladie d’Alzheimer et aux maladies apparentées [43bis].
Notre équipe a publié plusieurs articles sur la fin de vie et les soins palliatifs dans la maladie d’Alzheimer [19,44,45]. Ces textes abordaient à chaque fois les aspects pratiques concernant les soins, mais aussi les problèmes éthiques concernant cette maladie et en particulier les implications de la loi Léonetti. En langue anglaise, on peut citer l’article de Küpper et Hughes [46]. L’accès de ces malades aux soins palliatifs reste une difficulté majeure actuellement [47]. Un article français développe de manière détaillée la prise en soin palliative des patien ; ts atteints de démence en phase terminale [48].
Il faut souligner aussi l’importance des bénévoles dans l’accompagnement de ces malades, y compris lors des situations de fin de vie [42,44,49].
Un autre aspect fondamental dans la maladie d’Alzheimer, et que nous n’avons pas encore évoqué dans cette synthèse documentaire, est celui de l’aide aux aidants. Il existe une très vaste littérature sur ce sujet. L’accompagnement de la famille est un aspect majeur et souvent très difficile [44,50,51] et ce d’autant plus qu’il s’agit de fins de vie prolongées.
La difficulté principale d’un point de vue éthique reste de déterminer quand commence la période de fin de vie, à quel moment débuter des soins de conforts ou encore quand certains traitements ou certains gestes deviennent de l’acharnement thérapeutique. En pratique, on peut s’aider des 10 questions du Dr Sebag-Lanoë [52,53] : 1) Quelle est la maladie principale de ce patient ?, 2) Quel est son degré d’évolution ?, 3) Quelle est la nature de l’épisode actuel surajouté ?, 4) Est-il facilement curable ou non ?, 5) Y a-t-il une répétition récente des épisodes aigus rapprochés ou une multiplicité d’atteintes pathologiques diverses ?, 6) Que dit le malade s’il peut le faire ?, 7) Qu’exprime-t-il à travers son comportement corporel et sa coopération aux soins ?, 8) Quelle est la qualité de son confort actuel ?, 9) Qu’en pense sa famille ?, 10) Qu’en pensent les soignants qui le côtoient le plus souvent ? On peut aussi utiliser la démarche pour une décision éthique du Dr Gomas [54].
Il existe aussi une manière philosophique d’aborder la prise de décision dans l’évolution terminale de la maladie d’Alzheimer [55].
D’un point de vue éthique, se pose aussi la question du suicide assisté et de l’euthanasie pour les personnes ayant la maladie d’Alzheimer. Nous n’aborderons pas ce thème dans cette bibliographie, mais les expériences aux Pays Bas et en Belgique doivent nous faire réfléchir à cet important sujet de société.
Divers
La recherche faite par la documentaliste du Centre National de Ressources Soin Palliatif a mis en évidence beaucoup d’autres documents sur le sujet de la maladie d’Alzheimer et de la fin de vie. Il faut signaler les multiples travaux de la Fondation Médéric Alzheimer (www.fondation-mederic-alzheimer.org) et en particulier les deux documents qui traitent spécifiquement de la fin de vie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer [56,57]. De nombreux articles et témoignages sur ce sujet ont également été publiés par la Revue JALMALV (Jusqu’A La Mort Accompagner La Vie, http://www.pug.fr/theme_et_tag/18/Revues/75/Revue%20JALMALV ). Sur l’accompagnement de fin de vie des personnes âgées d’une façon générale, on peut aussi consulter le site Mobiqual (http://www.mobiqual.org/) qui présente des outils pratiques et qui a également un kit de formation sur la maladie d’Alzheimer. Un aspect peu évoqué en France [58], mais souvent développé dans les autres pays, est l’approche religieuse et spirituelle de la fin de vie. De même l’influence des origines communautaires [59] sur l’accès aux soins palliatifs est rarement abordée dans notre pays. Un autre questionnement intéressant concerne la fa ; çon dont est vécue le chagrin et le deuil chez les patients atteints d’une pathologie démentielle [60]. Le concept de « souffrance » est d’ailleurs difficile à analyser chez le patient dément et en particulier en fin de vie [61].
Il existe également quelques mémoires ou thèses sur la maladie d’Alzheimer et la fin de vie [62-64].
Aujourd’hui la maladie d’Alzheimer est devenu un véritable phénomène de société et on ne compte plus les films [65] ou les livres (romans, mémoires, bandes dessinées)[66] qui y font référence. Par ailleurs, il existe de nombreux ouvrages jeunesse traitant de la maladie d’Alzheimer [67,68], mais très peu abordent le sujet de la fin de vie ou de la mort [69,70]. A ce sujet, il faut rappeler l’importance du Prix Chronos [71] qui propose et actualise une liste d’ouvrages pour enfants et pour adultes consacrés à la maladie d’Alzheimer [72].
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Relativement nombreux sont les textes qui étudient le processus de deuil à l’adolescence, ses aspects théorico-cliniques, ses spécificités (Hanus, 2000, 2008 ; Bacqué, 1996 ; Cornille et coll., 2006). D’autres auteurs analysent les similitudes et différences entre travail d’adolescence et travail de deuil (Jeammet, 1998 ; Dill, 2000). Tous ces textes nous apportent des informations précieuses pour mieux comprendre et accompagner les adolescents en deuil ; entendus ici comme ceux qui ont vécu le décès d’un proche .
En complément de ces textes princeps, il nous a semblé intéressant d’explorer, sous un autre angle, le sujet des adolescents en deuil. En effet, à notre connaissance, il n’existe pas de synthèse des initiatives et dispositifs proposés aux adolescents en deuil et à leur entourage. C’est pourquoi nous avons choisi de leur consacrer cette synthèse documentaire, à partir des publications, en français et en anglais, issues du fonds documentaire du Centre National de Ressources Soin Palliatif (CNDR Soins Palliatif).
S’agissant d’une synthèse de publications, notre travail ne peut prétendre couvrir le champ des initiatives existantes, car les actions sur le terrain ne font pas toutes l’objet de publications.
Par ailleurs, notre matériel de base est assez hétéroclite et pas toujours très explicite :
Premièrement, les articles émanent de pays et de cultures variées ; ils s’appuient sur des pratiques diverses et octroient à l’accompagnement du deuil des places différentes ; c’est pourquoi nous avons choisi de préciser le pays d’origine dans la bibliographie. Cette donnée, tout comme la profession de l’auteur, n’était pas toujours mentionnée dans les écrits. Nous avons fait quelques recherches pour clarifier le pays d’origine et l’identité des auteurs lorsque c’était possible.
Deuxièmement, certains auteurs sont ambigus lorsqu’ils parlent d'enfants et d'adolescents : dans certains de leurs propos, le terme d'enfants semble utilisé au sens large et inclure les adolescents, mais ce n'est pas toujours le cas. Cela nous a demandé un travail de discernement pour rester sur notre objet : le deuil des adolescents.
Troisièmement, certains écrits s’attachent à énoncer les objectifs des initiatives proposées ; d’autres en revanche parlent en termes de résultats. Nous nous sommes efforcés de respecter au mieux possible la manière dont chaque auteur présentait les modalités d’accompagnement.
Enfin, nous avons choisi d’explorer tous les articles, mémoires ou monographies sur notre thème, en français ou en anglais, sans limite de date car certains écrits datant des années 1990 sont des textes fondateurs. Nous les avons gardés s’ils apportaient un éclairage sur notre sujet.
Dans une première partie, nous relèverons, à travers les écrits sélectionnés, ce à quoi sont confrontés les adolescents en deuil, ce qui permettra de mieux comprendre ensuite les propositions d’aide qui leur sont faites. Dans un deuxième temps, nous analyserons les finalités des aides proposées aux adolescents et à leur entourage : famille, proches, professionnels en relation avec les adolescents. En troisième lieu, nous recenserons les formes d’accompagnement ayant fait ; l’objet de publications et proposées aux adolescents en deuil, à leur entourage. Enfin, en conclusion, nous discuterons et mettrons en perspective les textes retenus pour notre travail avec d’autres écrits et projets qui ouvrent à d’autres modalités d’accompagnement des adolescents en deuil.
Ce à quoi sont confrontés les adolescents en deuil
Quelques écrits (Devlin, 1996 ; Blanche et Smith, 2000 ; Rolls, 2005 ; Dissard, 2002) utilisent le terme de « besoins des adolescents en deuil » et les répertorient. Cependant, tous les auteurs ne s’y réfèrent pas. Il nous est apparu que le terme de besoin peut être le résultat d’une interprétation et avoir des acceptions différentes selon les auteurs et les théories de référence. C’est pourquoi l’expression « ce à quoi les adolescents en deuil sont confrontés » a été choisie comme point de départ pour éclairer l’origine et le sens des propositions qui leur sont faites.
Etre en deuil à l’adolescence
La plupart des auteurs qui s’intéressent aux adolescents en deuil soulignent les difficultés que représente un deuil pendant l’adolescence (Hanus, 1996 ; Cornille et coll., 2006 ; Dill, 2000). Les auteurs identifient certains traits de l’adolescence qui impactent à la fois la manière dont se déroule le processus de deuil à l’adolescence et la manière dont les jeunes perçoivent – et peuvent ou non se saisir – de l’aide qui leur est proposée.
Pour Dill (2000), le deuil est un événement doublement difficile à affronter dans cette période. Il fait l’hypothèse qu’il existe certaines similitudes entre travail de deuil - véritable travail interne, qui demande de l’énergie, qui fatigue - et ce qu’il appelle « travail d’adolescence ». Ainsi, le deuil comme l’adolescence sont des phases de déséquilibre, de perte de repères et de mise en risque. Ce sont des périodes de transformation, de travail interne, de solitude et d’isolement. Hanus (1996), en citant Winnicott, rapporte « les adolescents sont des isolés rassemblés ». En phase de deuil comme pendant l’adolescence, il est difficile de demander de l’aide, donc de pouvoir en obtenir.
La crise que représente l’adolescence peut entrer en résonnance avec la crise que représente un deuil (Dill, 2000 ; Hanus, 1996). Cela a pour effet de faire se cumuler les difficultés, d’exacerber ce qui est ressenti (la révolte de l’adolescence pouvant être renforcée par celle du deuil) et enfin d’augmenter le risque de passage à l’acte chez des adolescents déjà en difficultés (Hanus, 1996).
Au final parmi les textes que nous avons répertoriés, très peu d’entre eux identifient des conséquences « positives » du travail de deuil pour le jeune. Henshelwood (1997), s’intéressant au deuil d’un frère ou d’une sœur durant la jeunesse, souligne que de nombreuses études en montrent les conséquences négatives mais qu’à l’inverse, d’autres relatent des issues positives, comme la maturité et l’empathie. Montbourquette (2011) parlera, quant à lui, de « transformer les pertes en gains » dans son ouvrage Aimer, perdre et grandir mais cet ouvrage n’est pas spécifiquement destiné aux adolescents.
Des freins au travail de deuil
Jusque récemment, la société identifiait les adultes comme les princ ; ipales personnes en deuil (Blanche et Smith, 2000). La peine des enfants et des adolescents, parfois décrits comme les « affligés oubliés », n’était pas toujours reconnue et ils étaient même parfois exclus des cérémonies et rituels autour de la mort (Devlin, 1996 ; Rolls, 2005).
D’autres freins à l’entrée dans le travail du deuil sont décrits. Ces adolescents, en souffrance, sont confrontés au fait que leurs parents ne sont pas toujours en capacité de les aider (Hanus, 1996 ; Dissard, 2002 ; Rolls, 2005). En effet, tenir son rôle de parent est difficile après le décès du partenaire ou d’un enfant. Certains parents trop bouleversés vont jusqu’à adopter un rôle d’enfant. Ils demandent à leur adolescent d’assumer le rôle d’un parent consolateur (Montbourquette, 1996). Dans ce cas, les adolescents peuvent être pris dans leur désir de ne pas décevoir les attentes de soutien de la famille à leur égard. En effet, les adolescents, comme les enfants en deuil, manifestent une tendance à se responsabiliser, à essayer de protéger et d’aider leur entourage (Hanus, 1996 ; Henshelwood, 1997 ; Cornille et coll., 2006). Les jeunes répriment leur tristesse. Ils hésitent à parler à leurs parents de peur de les bouleverser davantage encore (Rolls, 2005). Ce qui contribue à remettre à plus tard leur travail de deuil.
Parfois, le désir de protection est réciproque. Les adultes peuvent être amenés à mettre à distance les adolescents dans le but de ne pas les faire souffrir (Blanche et Smith, 2000). Mais cela peut aussi avoir pour conséquence que les adultes s’occupent moins des jeunes, perçoivent moins leur souffrance et ne pensent donc pas à leur proposer de l’aide.
Certaines peurs, liées notamment à l’image que les adolescents veulent donner d’eux-mêmes, freinent le travail du deuil. La peur d’être différent, la peur d’être rejeté par leurs pairs (Montbourquette, 1996 ; Glazer et coll., 2004), la peur de se montrer faible et dépendant en exprimant leurs émotions, au moment où ils cherchent à affirmer leur indépendance. L’adolescent cherche alors à manifester ses émotions a minima dans l’espoir de mieux les contrôler (Henshelwood, 1997 ; Cornille et coll., 2006), ce qui ralentit le processus de deuil.
En outre à l’adolescence, le déséquilibre émotionnel et les transformations en cours (découverte de sa sexualité, préoccupations sociales, recherche de son identité, etc.) ne permettent pas d’investir une grande quantité d’énergie émotionnelle et psychique dans son deuil (Montbourquette, 1996).
Enfin, la conception de la mort chez les adolescents, encore proche des représentations infantiles teintées de pensée magique et d’un sentiment d’invulnérabilité, ne dispose pas le jeune à s’engager dans un travail de deuil (Montbourquette, 1996).
L’ensemble peut aussi expliquer que les adolescents font leur deuil de manière solitaire et privée (« adolescents grieve in private », Henshelwood, 1997). Au final, l’entourage a tendance à minimiser la souffrance et l’aide apportée. La croyance que le deuil des adolescents dure moins longtemps et qu’il est moins intense que celui des adultes est remise en cause. Pour Montbourquette, l’évolution du deuil d’un adolescent, qui se ; déroule par intermittences, « s’avère donc en général plus longue et plus pénible que celle d’un adulte ». Selon Delvin (1996), l’épisode d’intense chagrin est plus court mais la période de deuil dure plus longtemps.
Quelles conséquences possibles dans le cas où le processus de deuil est empêché ?
Les conséquences à long terme d’un deuil à l’adolescence font débat (Rolls, 2005). Toutefois les auteurs se rejoignent sur l’existence de difficultés dans le cas où le processus de deuil est entravé. Montbourquette (1997) affirme que « les deuils non traités bloquent la croissance de l’adolescent sur les plans psychologique, spirituel et social », puis se référant à Garber (1985), que « tout deuil mal résolu est susceptible de devenir pathogène ». Selon ces auteurs, les effets peuvent recouvrir les problèmes scolaires, les tendances suicidaires, des névroses, psychoses ou formes de délinquance. Devlin (1996) soutient également que la répression ou le déni du chagrin dans l’enfance peut être à l’origine de maladies psychiatriques à l’âge adulte. Black (1996) s’appuie sur six études différentes réalisées entre 1982 et 1990, et rappelle la fréquence des troubles psychiatriques, en particulier la dépression, associés au deuil dans l’enfance. Elle démontre également, grâce à une recherche menée de 1985 à 1987, qu’une intervention de soutien au début de leur deuil aboutit à une amélioration à court terme de l’état des enfants ou adolescents endeuillés (l’intervention consistait à aider l’enfant à parler de son parent décédé et à exprimer son chagrin). Même constat pour Potts, Farrell et O’Toole (1999) qui soulignent la nécessité d’autoriser les enfants à vivre leur deuil et à exprimer leur chagrin, pour éviter les conséquences coûteuses pour eux et pour la société d’un deuil non résolu. Pour ces auteurs, les enfants et adolescents ont besoin de soutien tout comme leurs parents, pour parvenir à faire avec une perte dévastatrice.
A plus court terme, les conséquences d’un deuil à l’adolescence sont à l’origine de certains troubles pour les adolescents. Gautier (1996) se réfère à des études réalisées aux Etats-Unis identifiant chez les adolescents ayant perdu un parent, des symptômes pouvant être des troubles du sommeil, troubles physiques, troubles du comportement, difficultés scolaires ou dégradation des relations avec les pairs.
Les auteurs soulignent tous l’importance, dans un objectif à la fois thérapeutique et de prévention, de faire des propositions pour accompagner des jeunes confrontés à des deuils. Cependant, ils rappellent que lorsque les professionnels ou les proches font des propositions d’aide, celles-ci ne sont pas toujours bien reçues par les adolescents « ceux qui vont le plus mal ne se laissent pas approcher » (Cornille et coll., 2006). De plus, Hanus (1996) fait part de l’émergence d’un consensus concernant le fait que les adolescents ne peuvent mener à terme leur travail de deuil, dont une partie est mise en attente et se poursuivra à l’âge adulte. L’accompagnement qui peut être proposé à ces jeunes ne peut donc prétendre à résoudre ou traiter « définitivement » le deuil.
Finalités de l’accompagnement des adolescents en deuil
L’ ; adolescence rend donc plus délicat le travail de deuil. Dans ce contexte, les écrits explicitant la finalité de l’accompagnement des adolescents en deuil sont concordants : il s’agit avant tout d’encourager et de soutenir le processus de deuil (Black, 1996 ; Montbourquette, 1996 ; Rolls, 2005). En deuxième lieu, le fait de sortir ces jeunes de l’isolement (Bacqué, 2000 ; Blanche et Smith, 2000 ; Rolls, 2005 ; Lake, 2008 ; Trickey et Nugus, 2011) est présenté parfois comme un objectif, parfois comme un résultat. Stokes (2004) parle, quant à elle, d’aider le jeune dans ses échanges avec les autres membres de la famille, à l’école, ou de l’aider dans ses difficultés relationnelles. En troisième lieu, augmenter l’estime de soi, le sentiment d’être capable, accroître la confiance en la vie, en les autres, est également considéré selon les textes comme un objectif ou un résultat (Blanche et Smith, 2000 ; Dissard, 2002 ; Glazer et coll., 2004 ; Trickey et Nugus, 2011).
Dans notre travail, nous gardons cette complexité et considérons le fait de sortir les jeunes de l’isolement et le travail sur l’estime de soi et la confiance à la fois comme objectifs et comme résultats.
Ces trois objectifs se déclinent à travers plusieurs axes :
- aider les adolescents à comprendre ce qu’il s’est passé (Blanche et Smith, 2000 ; Stokes, 2004 ; Trickey et Nugus, 2011). Pour les auteurs, comprendre est avant tout un besoin des jeunes endeuillés : les enfants et adolescents « ont besoin qu’on leur donne une information claire sur la mort et les circonstances qui l’ont entourée ».
- leur permettre de participer aux rituels de deuil et de choisir comment (Blanche et Smith, 2000). De même, les auteurs considèrent que le fait d’être acteur dans les rituels et commémorations est un besoin des jeunes.
- se souvenir de la personne décédée, se remémorer (Black, 1996 ; Stokes, 2004 ; Rolls, 2005 ; Trickey et Nugus, 2011), « maintenir une relation avec le défunt » (Blanche et Smith, 2000). En résumé, on pourrait dire qu’il s’agit de « donner une permission de regarder en arrière » (« give permission for looking back », Potts et coll., 1999). On propose, par exemple, aux jeunes de constituer une boîte à souvenirs. Les enfants et adolescents qui « maintiennent des connexions avec le parent décédé semblent plus à même d’exprimer leur chagrin, de parler avec les autres de la mort et d’accepter de l’aide de la famille et des amis » (Stokes, 2004). Le travail de mise en histoire permet au jeune de « sérier ce qui appartient au passé de ce qui appartient au présent » (Bacqué, 2000). Toujours selon Bacqué, pouvoir historiser la perte dans la généalogie est un facteur de résilience.
- aider les adolescents à comprendre et exprimer leurs émotions (Blanche et Smith, 2000 ; Glazer et coll., 2004 ; Stokes, 2004) ; ceci afin de permettre « l’assimilation cognitive et émotionnelle des modifications traumatiques et des sentiments inhabituels que la perte d’une importante relation déclenche » (Rolls, 2005). Créer cet espace de parole dans lequel les jeunes se sentent en sécurité permet d’assouplir le contrôle des émotions et de recréer une trame associative autour de l’événement afin d ; ’éviter le trauma (Bacqué, 2000).
- recréer un groupe de pairs favorise le partage d’émotions (Glazer et coll., 2004 ; Trickey et Nugus, 2011) qui est difficile par ailleurs du fait que les jeunes en deuil se sentent différents des autres adolescents (Gautier, 1996 ; Blanche et Smith, 2000). Le groupe de pairs leur permettra par la suite de s’identifier à d’autres (Dissard 2002 ; Gautier, 1996 ; Bacqué, 2000), ce qui est également, selon Bacqué, un facteur de résilience. En effet, « l’inter-identification appartient pleinement au processus de réparation : l’enfant n’est plus seul au monde, d’autres partagent ses émotions » (Bacqué, 2000). Pour Smith et Pennells (1993) ainsi que pour Glazer et coll., (2004), le partage d’émotions est certainement l’objectif principal des groupes.
- développer des activités créatives pour renforcer la résilience (Bacqué, 2000). Selon elle, « le processus de création est, à l’évidence, le mécanisme le plus efficace face à la perte ».
- terminer ce qui ne l’est pas, « clore des affaires non terminées avec le défunt » (Blanche et Smith citant Smith et Pennells) à travers la rédaction de lettre d’adieux au défunt par exemple (Blanche et Smith).
- développer la capacité à faire avec ce qui arrive « coping mechanisms » (Glazer et coll., 2004 ; Trickey et Nugus, 2011) ; c’est à dire en d’autres termes permettre aux adolescents d’apprivoiser leurs émotions et de surmonter leurs difficultés.
- « donner une permission de se projeter dans l’avenir » (« give permission for looking forward », Potts et coll., 1999 ; Glazer et coll., 2004).
- augmenter l’estime de soi et le sentiment d’être capable (Blanche et Smith, 2000 ; Glazer et coll., 2004 ; Stokes, 2004). On retrouve cette idée en creux chez Bacqué lorsqu’elle souligne la faiblesse de la confiance en soi rencontrée chez des adultes ayant précocement perdu un parent. Certains auteurs parlent d’aider les jeunes à reprendre confiance en l’avenir (Dissard, 2002) et dans les autres (Glazer et coll., 2004).
Finalités de l’accompagnement de l’entourage
Les adolescents étant dans une situation de dépendance par rapport à leur famille, les auteurs insistent sur l’importance d’organiser l’accompagnement de l’entourage au sens large : famille, enseignants et autres professionnels (Dissard, 2002).
L’accompagnement des parents a, lui, pour objet de favoriser la résilience parentale (Bacqué, 2000) et sa capacité à accompagner son enfant - adolescent en deuil. Cet objectif se décline ainsi :
- améliorer la communication entre enfant et parent survivant (Black, 1996 ; Stokes, 2004),
- aider le parent à comprendre et à répondre de manière adaptée aux besoins de son enfant (Black, 1996),
- soutenir le parent car « c’est lui qui « autorise » psychiquement, socialement et matériellement l’enfant à conduire son propre travail de deuil, plutôt que de subir le manque et la culpabilité » (Bacqué, 2000),
- aider la famille à retrouver un nouvel équilibre (l’équilibre familial étant rompu, comprendre le rôle qu’avait dans la famille la personne décédée afin d’aider la famille en deuil) (Devlin, 1996).
Le soutien des autres adultes autour de l’enfant (enseignants, autres pro ; fessionnels) a pour objectif de les aider à accompagner les jeunes en deuil (de Kergolay, 2010 ; Rennesson et coll., 2013).
Les modalités d’accompagnement des adolescents en deuil
C’est principalement dans les pays anglo-saxons que se sont développés, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, des programmes de soutien aux enfants et aux adolescents en deuil. Il faudra attendre les années 1990 pour qu’en France, des propositions d’accompagnement du deuil se développent à leur tour.
Accompagner les adolescents se décline en deux volets : les actions menées directement avec les adolescents, dont nous parlerons dans un premier temps, et celles menées en direction de l’entourage, que nous verrons dans un deuxième temps. Au fur et à mesure de la description des actions menées, leurs apports spécifiques seront mentionnés.
Actions menées avec les adolescents
Développement de communautés de soutien
Le développement de communauté de soutien pour les adolescents en deuil prend essentiellement la forme de groupes d’entraide, menés par les hospices au Royaume-Uni (Blanche et Smith, 2000 ; Stokes, 2004), par des associations d’accompagnement du deuil en France (Bacqué, 2000) ou des « charities » dans les pays anglo-saxons, au sein d’établissements scolaires (Montbourquette, 1996 ; Gautier, 1996 ; Bacqué, 2000), ou par des Centres Hospitaliers Régionaux (Dissard, 2002).
Certains groupes sont réservés aux adolescents et d’autres intègrent des enfants et des adolescents. Le petit train de l’entraide, par exemple, se compose de jeunes de 6 à 18 ans (Ireland et Rebel, 2009).
Ces groupes ont des durées variables :
- une journée à St Christopher’s Hospice (Blanche et Smith, 2000),
- un week-end en résidentiel appelé « Treasure Weekend - week-end du trésor » – organisé par l’hospice Derian House de Chorley (Potts et col. 1999),
- quatre séances de trois heures entrecoupées d’un goûter pour les ateliers-deuil exposés par Bacqué (2000), au sein de l’association Vivre Son Deuil,
- cinq séances d’une heure et demie pendant cinq semaines au sein d’un hospice américain (Blanche et Smith, 2000),
- dix séances successives pour Le Petit Train de l’entraide (groupe semi-ouvert),
- quatorze séances pour les groupes décrits par Montbourquette au Canada à la suite d’une situation de crise à l’école (décès survenu à l’école),
- une vingtaine de séances pour des groupes d’entraide à destination d’étudiants ayant perdu un être cher en dehors du contexte de l’école. Ce dispositif est ouvert à des étudiants endeuillés après le décès d’un être cher et à ceux ayant vécu le divorce ou la séparation de parents. En effet, même si la dynamique du deuil n’est pas exactement la même dans ces deux situations, les deuils de ces deux catégories de jeunes sont considérés comme présentant suffisamment de similarités pour pouvoir fonctionner ensemble.
Concernant les écoles, certaines d’entre elles ont mis sur pied une demi-journée de réflexion sur la mort (Baillet et Valentin, 1996) ou une journée de « sensibilisation à la mort » mais nous ne développerons pas ici ces initiatives, qui pourraient faire l’objet d’un autre travail et relèvent davantage de la prévention que de l’accompa ; gnement des jeunes en deuil (Salamin, 1995). Ces initiatives sont le plus souvent portées par des infirmières, que ce soit en France ou dans les pays anglo-saxons.
Ces formes d’accompagnement en groupe intègrent en général différentes approches. Lors du week-end du Trésor par exemple, le programme inclut des activités artistiques, réalisation de badges au début du séjour, du théâtre, des ateliers de musique, des activités dynamiques, du collage. Le moment phare du week-end est l’organisation par les enfants d’une cérémonie personnelle à la mémoire des défunts. Les activités proposées font ainsi appel à la fois à un travail de mémoire et à des activités de loisir. Si besoin, des temps de suivi individuel sont possibles durant le week-end.
Concernant l’art thérapie proposée dans les groupes d’adolescents endeuillés, un article de Mandy Pratt (1998) en explicite les apports.
Résultats exprimés par les jeunes eux-mêmes ou repérés par les adultes
- pouvoir parler de ce qu’ils vivent en échangeant avec des pairs. Les jeunes se sentent aussi encouragés à parler à leur entourage de ce qu’ils ressentent, ce qui les soulage (Gautier, 1996 ; Rolls, 2005),
- se sentir compris sans être jugé et sans tabou « nous ne sommes pas gênés de parler de nos émotions, de nos difficultés. Personne ne juge rien. On peut (en) parler ouvertement sans crainte de représailles ou de commentaires désobligeants de la part des autres » (Lake, 2008),
- mieux comprendre ce qu’ils vivent,
- se libérer des tensions et angoisses (Gautier 1996) et redonner confiance ; diminuer l’anxiété sur ce qui leur arrive ou ce qu’a vécu la personne décédée (Rolls, 2005) ; normaliser les réactions et phases du deuil (Lake, 2008),
- pouvoir s’identifier à d’autres (intérêt pour le métier de psychologue et identifications aux pairs) (Gautier, 1996),
- identifier les difficultés quotidiennes et les conséquences du deuil sur la vie familiale (Gautier, 1996),
- pouvoir parler de leur avenir ; les jeunes ont exprimé le désir de réussir leur vie professionnelle (Gautier, 1996),
- sortir de l’isolement (Rolls, 2005 ; Lake, 2008).
Accompagnements individuels et thérapies
Le travail bibliographique révèle que l’essentiel des publications concernant les adolescents en deuil traite du développement de communautés de soutien. Nous avons relevé peu d’articles détaillant le travail d’accompagnement individuel ou les thérapies avec les jeunes en deuil en général. Cet aspect du travail en individuel est néanmoins développé dans le manuel de Stokes (« Then, Now and Always », 2004) lorsqu’elle expose le programme Winston’s Wish. Les résultats obtenus ne sont pas présentés de manière générale mais dans des situations cliniques, il était donc difficile de les rapporter ici.
Les auteurs qui publient sur l’accompagnement individuel choisissent en général d’étudier un aspect particulier ou une technique particulière dans le travail avec les jeunes. Colon et Sinanan (2010) soulignent l’intérêt et la pertinence de l’intégration des nouvelles technologies et des réseaux sociaux dans leur travail d’accompagnement des jeunes en deuil à domicile. Se référant à plusieurs études, elles rappellent que les effets de l ; a communication « on line » font débat. La communication « on line » (réseaux sociaux, blogs, messagerie électronique, etc.) est en effet considérée selon les auteurs, parfois comme source de risques, voire néfaste pour les jeunes, ou au contraire porteuse de nombreux bénéfices. Elles mettent en avant certains résultats. Dans leur pratique avec les jeunes, Colon et Sinanan ont découvert que le réseau « My Space » est un outil de médiation qui favorise les échanges entre le jeune et le professionnel, permet au professionnel de mieux comprendre le jeune, joue un rôle d’exutoire des émotions et peut être un espace de commémoration.
Une approche originale : un programme d’hippothérapie (thérapie par l’équitation)
Le programme d’hippothérapie est présenté comme complément d’une thérapie classique ou d’un groupe d’entraide. Ce programme dure six semaines et se déroule dans un ranch. Il implique également l’entourage du jeune : un parent ou un grand-parent reste avec l’enfant / l’adolescent tout au long du séjour et participe à certaines activités ; de plus un bénévole suit chaque jeune. Durant le programme, on demande aux jeunes d’identifier ce qu’ils ont appris dans leur relation avec le cheval et ce qu’ils vont pouvoir utiliser dans leur vie.
Les résultats mis en avant par les auteurs sont les suivants :
- le jeune développe sa confiance en lui et l’estime de soi ; il surmonte sa peur du cheval et évolue vers plus d’indépendance et de maîtrise de la situation,
- la confiance en l’autre peut également se développer, à travers la relation avec le cheval,
- le jeune découvre un confident à qui il peut confier ses pensées secrètes et exprimer son chagrin.
Selon les auteurs, cette expérience est rendue possible par la nature de la relation avec le cheval et par l’apprentissage pour le jeune que le cheval va répondre à son commandement et respecter son autorité. Enfin, c’est une expérience qui est source de satisfactions, joies et fierté pour les jeunes et leurs parents et aide à ce que la vie « reprenne le dessus ». Les auteurs concluent sur le fait que ce programme illustre l’importance de recourir à des activités variées pour aider les jeunes en deuil et leurs familles.
Ouvrages à destination des adolescents
Quelques ouvrages s’adressent directement aux adolescents. Ces derniers peuvent les trouver par eux-mêmes. Les livres peuvent également leur être proposés par des adultes.
L’ouvrage de Marylin Gootman, « When a friend dies » (2005), s’adresse à des adolescents ayant perdu un ami. L’auteur reprend des paroles et témoignages d’autres jeunes ayant vécu le décès d’un ami. Elle s’adresse également aux jeunes afin de leur donner des repères sur ce qu’ils vivent et des pistes pour apprivoiser leur tristesse et commencer à aller mieux. En France, l’ouvrage de Christophe Fauré « Vivre le deuil au jour le jour » (2012) est également considéré comme une ressource aussi bien par les adultes que par certains adolescents lecteurs. Enfin, le livre « Quelqu’un que tu aimais est mort… », (Auschitzka et Novi, 1996), parle également directement aux jeunes. Il est écrit dans une perspective chrétienne mais pas uniquement ; accessible aux enfants à parti ; r de 7 ans, il a été apprécié également par des adolescents .
Soutien indirect : actions menées en direction de l’entourage
Soutien familial
La majorité des auteurs insistent sur l’importance du soutien du/des parents des adolescents en deuil. Il s’agit d’aider les adolescents en aidant les parents. Bacqué (2000) propose de renforcer la résilience individuelle des enfants par la stimulation de la résilience parentale. Dans un article rapportant les résultats d’une enquête sur le soutien de deuil aux enfants et adolescents au Royaume-Uni, Rolls (2005) souligne que les services de suivi de deuil sont conçus « pour influencer favorablement, directement et indirectement, sur l’environnement des jeunes en deuil ».
Ce soutien peut prendre des formes différentes : ligne d’écoute téléphonique ; site interactif offrant une e-ecoute, ressources bibliographiques, ou entretiens en face à face pour orientation, information, conseils et soutien. Stokes inclut également dans son programme, Winston’s Wish, un week-end en résidentiel pour parents et enfants/adolescents, élément clé dans le dispositif (Stokes, 2004 ; Trickey et Nugus, 2011).
Soutenir la famille peut aussi permettre d’approcher l’adolescent. Cornille et coll., (2006) indiquent que la mise en place d’entretiens familiaux est aussi une possibilité pour aider les jeunes. Ils notent que souvent, les adolescents, d’abord réticents, acceptent ensuite de venir avec le reste de la famille.
Soutien des enseignants, autres professionnels et des media
A travers une étude menée de 2000 à 2003, Rolls a recensé ce qui était proposé au Royaume-Uni aux enfants et aux adolescents endeuillés. Il apparaît que 32 % des services proposaient une formation à des institutions ou groupes non spécialisés dans l’accompagnement du deuil, comme les écoles, services d’urgence et les media.
Certains professionnels ont écrit des ouvrages ou articles pour d’autres professionnels, destinés à les former à l’accompagnement des jeunes en deuil. Les textes que nous retiendrons sont ceux qui abordent spécifiquement l’accompagnement des adolescents.
Dans son ouvrage « Then now and Always » (2004), Stokes présente aux professionnels le programme qu’elle a créé en 1992 et appelé « The Winston’s Wish program », l’un des programmes les plus répandus au Royaume-Uni, à destination des enfants, adolescents et de leurs familles. En effet, au Royaume-Uni, le réseau de l’enfance en deuil (Childhood Bereavement Network) promeut l’idée que les enfants et les adolescents ont le droit à de l’information, un accompagnement (guidance) et du soutien lorsqu’ils sont confrontés à la mort. Ce réseau a développé - et développe encore - un système national de soutien qu’il souhaite accessible à tous les jeunes et à leurs proches, où qu’ils vivent. Le Winston’s Wish program propose à la fois un soutien direct aux endeuillés et un soutien aux aidants, enseignants ou professionnels identifiés comme étant en contact avec les jeunes endeuillés : soignants, officiers de police, bénévoles, etc.
Au Canada, Monbourquette (1996), puis Baxter et Stuart (1999), s’interrogeant sur le rôle de l’école dans l’accompagnement des adolescents en deuil, proposent ; également un guide destiné à aider les enseignants et soignants à animer des groupes d’entraide à l’école pour adolescents en deuil.
D’autres initiatives, comme celle de M.H. de Kergorlay (2000), sont développées dans son mémoire « Le deuil dans la formation des soignants et des accompagnants ». Elle a mené une réflexion sur le rôle des enseignants dans l’accompagnement des adolescents en deuil et fait des propositions concrètes qu’elle met en œuvre dans son travail d’enseignante. Elle poursuit ensuite dans son ouvrage « Tu n’es pas seul » paru en 2010.
En France, plus récemment, le CNDR Soin Palliatif s’est associé à la Fondation de France pour mener, en partenariat avec l’Education Nationale, un projet « Accompagner le deuil en milieu scolaire » en collège et lycée (Rennesson et coll., 2013). A l’issue d’un état des lieux, un panier ressources électronique à destination des professionnels de l’Education Nationale a été élaboré et sa mise en place est accompagnée de formations.
Conclusion – Mise en perspective
Les auteurs s’accordent à dire que le deuil des adolescents présente des spécificités et requiert une prise en charge particulière. Il existe une forte homogénéité dans les objectifs poursuivis et dans les propositions faites aux adolescents.
Si tous les auteurs s’accordent sur l’intérêt de proposer un accompagnement aux adolescents en deuil, il n’en reste pas moins que les difficultés rencontrées pour toucher ce public demeurent importantes. Comment accompagner au mieux les adolescents en deuil ? Quelles nouvelles formes d’accompagnement sont à développer ? Quelles ressources peut-on leur proposer ? Peut-on s’appuyer sur les nouvelles technologies dont on sait que les jeunes sont friands ?
Nous n’avons pas pu identifier de publications sur ce dernier thème mais récemment, on assiste au développement du soutien par Internet. Par exemple, en France, Fil Santé Jeunes, site généraliste à destination des adolescents (www.filsantejeunes.com), a mis en ligne sur son site en 2013 un dossier « Vivre un deuil quand on est ado ». Ce dossier proposait différentes rubriques à propos du deuil. Il invitait également les jeunes le souhaitant, à poser leurs questions à un professionnel par écrit ou au téléphone, ou à partager leurs réflexions sur le forum du site. Au Royaume-Uni, le site de Winston’s Wish (www.winstonswish.org.uk), spécialisé dans l’accompagnement du deuil, abrite un espace dédié aux jeunes (« adult free »), regroupant un forum, une boîte à questions, et des suggestions sur différents thèmes (commémorer, se souvenir, exprimer ce que l’on ressent, etc.).
Par ailleurs, faisant le constat qu'il n'est pas aisé d'aider les jeunes et dans l’optique de leur proposer des ressources qu’ils pourraient utiliser eux-mêmes, le CNDR Soin Palliatif a mené une recherche en partenariat avec la fondation d’entreprise OCIRP auprès de jeunes en deuil. Cette recherche portait sur la possibilité d’élaborer un « panier ressources » en ligne utilisable directement par les jeunes. Les suites éventuelles de ce projet ne sont pas encore définies.
Il nous semble que la situation évolue en France comme en témoigne le fait que les professionnels se mobilis ; ent sur l’accompagnement des jeunes en deuil et que les media les sollicitent de plus en plus sur ce thème. La création, en 2009, de la Fondation d’entreprise OCIRP, qui soutient les actions en direction des orphelins et la recherche sur ces thèmes, témoigne également de cette évolution.
Cette synthèse, loin de clore une réflexion, veut être une ressource pour les professionnels et bénévoles dans leur travail d'accompagnement et de soutien des adolescents en deuil.
Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide, d’une manière ou d’une autre, dans ce travail de synthèse documentaire.
Selma Rogy, psychologue clinicienne, Centre National de Ressources Soin Palliatif, juin 2014
Bibliographie
Articles
-Résilience de l'enfant endeuillé / BACQUE, Marie-Frédérique ; HAEGEL, Chantal ; SILVESTRE, Nicole. Pratiques psychologiques, 2000, 1, p.23-33 - France
-Paroles et groupes de paroles : de l'émotion à la parole / BACQUE, Marie-Frédérique. ETUDES SUR LA MORT THANATOLOGIE, L'esprit du temps, 1998, 113, p. 37-43 - France
-Comment parler de la mort avec les adolescents ? : un exemple d'intervention de JALMALV en classe de 3ème de collège / BAILLET, Danièle. JALMALV JUSQU'A LA MORT, ACCOMPAGNER LA VIE, 2009, 97, p. 35-37 - France
-Groupes de soutien pour les enfants en deuil : où en sommes-nous? / BLANCHE, Mary ; SMITH, Sue. EUROPEAN JOURNAL OF PALLIATIVE CARE, 2000, 7, 4, p.142-144 – Royaume-Uni
-Une infirmière scolaire témoigne / CHAPUYS-MISSET, Elisabeth ; SIMON, Jacques. JALMALV JUSQU'A LA MORT, ACCOMPAGNER LA VIE, 2009, 97, p. 39-40 - France
-My space or yours : using technology in bereavement work with adolescent
["My space" ou le tien : utiliser les nouvelles technologies dans le travail de deuil avec des adolescents] / COLON, Merydawila ; SINANAN, Allison. BEREAVEMENT CARE, Routledge, 07/2010, 29, 2, p. 21-23 – Etats-Unis
-Helping children to grieve
[Aider les enfants en deuil] / DEVLIN, Breige. International Journal of Palliative Nursing, 1996, 2, 2, 63-70 p. – Royaume-Uni
-A propos des adolescents endeuillés / DILL, François. JALMALV JUSQU'A LA MORT, ACCOMPAGNER LA VIE, 12/2000, 63, p. 41-44 - France
-The impact of hippotherapy on grieving children
[L'impact de l'hippotherapie sur les enfants endeuillés] / GLAZER, Hilda R. ; CLARK, Myra D. ; STEIN, David S.. JOURNAL OF HOSPICE AND PALLIATIVE NURSING, 2004, 6, 3, p.171-175 – Etats-Unis
-The effect of sudden sibling loss on the adolescent or young adult
[L'effet de la mort subite d'un frère ou d'une soeur pour un adolescent ou un jeune adulte] / HENSHELDWOOD, Libby. International Journal of Palliative Nursing, 1997, 3, 6, p.340-344 – Royaume-Uni
-Le petit train de l'entraide : ateliers pour jeunes en deuil / IRELAND, Marie ; REBEL, Agnès. JALMALV JUSQU'A LA MORT, ACCOMPAGNER LA VIE, 2009, 97, p. 33-34 - France
-La mort dans la dynamique de l'adolescence / JEAMMET, Philippe. ETUDES SUR LA MORT THANATOLOGIE, L'esprit du temps, 1998, 113, p. 11-19 - France
-Treasure week-end : supporting bereaved siblings
[Le "week-end du tréso ; r" : soutien aux frères et soeurs en deuil] / POTTS, S. ; FARRELL, M. ; O'TOOLE, J. PALLIATIVE MEDICINE, 1999, 13, 1, 51-56 p. – Royaume-Uni
-Accompagner le deuil en milieu scolaire : des ressources pour les professionnels / RENNESSON, Marina ; SEJOURNE, Cécile ; FRATTINI, Marie-Odile ; LA MARNE, Paula ; LELIEVRE, Frank ; LASSERRE, Sophie. ETUDES SUR LA MORT THANATOLOGIE, L'esprit du temps, 2013, 144, p. 147-163 - France
-Le soutien de deuil aux enfants et aux adolescents au Royaume-Uni / ROLLS, Liz. EUROPEAN JOURNAL OF PALLIATIVE CARE, 2005, 12, 5, p.218-220 – Royaume-Uni
-Evaluation of a therapeutic residential intervention for traumatically bereaved children and young people
[Evaluation d'une intervention thérapeutique résidentielle pour les enfants et les jeunes adultes en situation de deuil traumatique] / TRICKEY, David ; NUGUS, Danny. BEREAVEMENT CARE, Routledge, 04/2011, 30, 1, p. 29-36 – Royaume-Uni
-The invisible injury : adolescent griefwork group
[La blessure invisible : groupe de travail de deuil pour adolescent] / PRATT, Mandy. Londres.- Routledge, 1998, p.153-168 – Royaume-Uni
Mémoires
-Prise en charge des enfants et adolescents endeuillés ou ayant un parent atteint de maladie grave / DISSARD, Marie-Josèphe ; WARY, Bernard. 2002, 89 p. + 8 p. France
-Adolescents en deuil... : comment les aider en milieu scolaire ? / KERGORLAY, Marie-Madeleine de. 40p. - France
-Et si je devais te perdre ? : mort et deuil expliqués à l'école / SALAMIN, Olivier. 135 p. - Suisse
Ouvrages
-Comment surmonter son deuil ? / Association Vivre son deuil, Ile-de-France ; CORNILLE, Marie-Edmée ; FORIAT, Christiane ; HANUS, Michel ; SEJOURNE, Cécile. Paris.- Editions Josette Lyon, 2006, 161 p. - France
-Quelqu'un que tu aimais est mort... / AUSCHITZKA, Agnès ; NOVI, Nathalie. Bayard Jeunesse, 08/2010, 30 p. - France
-Vivre le deuil au jour le jour / FAURE, Christophe. Albin Michel, 2012, 340 p. - France
-When a friend dies : a book for teens about grieving and healing
[Quand un ami meurt : un livre pour les adolescents sur le deuil et la guérison] / GOOTMAN, Marilyn E.. Etats-Unis.- Free spirit publishing, 2005, 128 p. – Etats-Unis
-La mort d'un parent : le deuil des enfants / HANUS, Michel. Vuibert, 2008, 289 p. - France
-Tu n'es pas seul : accompagner l'enfant en deuil / KERGORLAY-SOUBRIER, Marie-Madeleine de. Editions du Jubilé, 02/2010, 188 p. - France
-Then, now and always : supporting children as they journey through grief : a guide for practitioners
[Ici, maintenant et toujours : soutenir les enfants dans leur traversée du deuil : un guide pour les professionnels] / STOKES, Julie. Royaume-Uni.- Winston's wish|Portfolio publishing, 2004, 287 p. – Royaume-Uni
N spécial périodique
-L'adolescent et la mort / Société française de thanatologie. ETUDES SUR LA MORT THANATOLOGIE, 1998, 113, 151 p. - France
Confrontés de manière récurrente à la mort des patients, les soignants souffrent (Goldenberg, E., (1998)). Ils peuvent souffrir de la séparation, il s’agit là de la douleur du deuil. Ils peuvent également être touchés des effets de la mort. En effet comme l’indique Freud (1917), notre rapport à la mort manque de franchise : « A nous entendre, nous étions naturellement prêts à soutenir que la mort est l’issue nécessaire de toute vie, que chacun d’entre nous est en dette d’une mort envers la nature et doit être préparé à payer cette dette, bref que la mort est naturelle, inéluctable et inévitable. En réalité nous avions coutume de nous comporter comme s’il en était autrement. Nous avons manifesté la tendance évidente à mettre la mort de côté. Nous avons tenté de la tuer par notre silence,... ne possédons-nous pas le proverbe : on pense à cela comme à la mort ? Comme à sa propre mort bien sûr. C’est que la mort-propre est irreprésentable et aussi souvent que nous en faisons la tentative, nous pouvons remarquer qu’à vrai dire nous continuons à être là en tant que spectateur,... personne au fond ne croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même : dans l’inconscient chacun de nous est convaincu de son immortalité ».
Nombreux sont les écrits qui traitent de la souffrance des soignants.
Cette synthèse a pour objet de cerner celle spécifique au(x) deuil(s) à faire, à vivre pour des soignants qui sont auprès de personnes qui vont mourir et/ou qui viennent de mourir.
Nous verrons qu’il peut être pertinent de penser le deuil comme général et singulier mais également comme celui de la souffrance de la séparation et/ou comme celle de la perte d’un idéal. Il n’y a donc pas un deuil mais des deuils.
Des facteurs qui majorent la difficulté à vivre la mort d’un patient sont identifiés, pour autant le(s) deuil(s)des soignants restent peu voire pas reconnus et acceptés. Or il y aurait des bénéfices à ne pas/plus les dénier.
Si penser le deuil des soignants devient possible comment peut-on « panser » la douleur qui l’accompagne ?
I. Le deuil, les deuils : des souffrances à penser comme fréquentes, singulières, plurielles
1. Le deuil comme tristesse liée à la séparation :
Le sentiment de tristesse lié à la séparation voire celui de la souffrance est très proportionnel à l’intensité des liens affectifs créés lors de l’accompagnement.
Autrement dit toute mort n’entraîne pas ipso facto un deuil : il faut pour ce faire que l’être perdu ait de l’importance pour celui ou ceux qui le perdent et qu’ils aient les uns et les autres des liens d’attachement serrés. L’essentiel du deuil est bien dans l’attachement et la perte (Tripiana, J., Lei, J., (1995)). L’accompagnement de personnes en fin de vie, a fortiori des enfants, peut engendrer un investissement affectif intense et par conséquent une grande tristesse lors de leur mort (Lachambre, V., Marquenet, C., (2008)).
2. Le deuil des soignants : points communs et différences entre infirmiers, aides-soignants et médecins :
Le deuil est un processus que l’on considère souvent chez les familles et les amis des défunts. Mais qu’en est-il des personnes qui y sont confrontées dans leurs professions, sans pour autant bénéficier d’un statut de proche ? Les infirmiers, les aides-soignants, les médecins vivent-ils des deuils similaires ? Si tous les soignants sont susceptibles d’être en deuil après le décès d’un patient, leurs fonctions, leurs soins engendrent des liens particuliers et par conséquent des deuils à la fois comparables et différents. Pour le médecin, faire le deuil réside notamment dans la reconnaissance de son impuissance. Sa durée et son intensité seront au prorata de l’investissement mis dans la guérison (Herman, B., (1998)). G Lemaignan (1999) postule, elle aussi, des particularités dans la gestion des deuils des médecins, la culpabilité pouvant être très importante vu le degré des responsabilités qui incombe à ces professionnels. Le deuil des infirmiers et des aides-soignants pourrait être plus proche de celui de l’entourage, la relation affective au patient, faite de proximité, étant parfois importante (Herman, B., (1998)), (Stryckmans, C., (2005)).
3. Le deuil comme perte d’un idéal, celui de la guérison :
Lorsque les soins curatifs deviennent inefficaces et qu’il faut changer l’objectif des soins, l’idéal de la guérison doit être abandonné. Ce n’est pas chose facile. C’est également un deuil (Poliart, H. ( 1998)). Cela peut être vécu comme un échec (Lachambre, V., Marquenet, C., (2008)).
II. Qu’est ce qui peut amplifier la difficulté à « faire avec » la mort d’un patient ?
Si toutes les morts de patients n’entrainent pas une souffrance des soignants, plusieurs facteurs rentrent en jeu pour venir parfois engendrer une réelle difficulté.
1. La première rencontre avec la mort
La première confrontation avec la mort d’un patient laisse des souvenirs importants et durables (Tripiana, J., Lei, J., (1995)). Sur le plan émotionnel des difficultés sont rencontrées : angoisse, impuissance, tristesse.
2. La brutalité
Un autre facteur rendant le deuil plus difficile est la brutalité du décès (Lemaignan G. (1999)). Qu’il s’agisse d’une mort inattendue, d’une mort violente (accident de la route, etc.), d’une mort par suicide, l’absence de possibilité d’anticipation vient bousculer plus ou moins profondément les soignants.
3. L’âge de la personne
En général, les décès de patients jeunes marquent plus. Ceci étant tout âge quel qu’il soit peut renvoyer à l’histoire personnelle des soignants et par la même toucher plus ou moins fortement (Lemaignan G. (1999)).
4. Le sentiment d’avoir mal fait son travail : la culpabilité
La question de la compétence et de la culpabilité qui en découle est une des sources de souffrance majeure dans le deuil. Ai-je fait tout ce qui était possible ? N’ai-je pas été inefficace à soulager la douleur là où d’autres l’auraient été ? (Lemaignan G. (1999)).
5. L’identification
Se reconnaitre inconsciemment dans la personne malade et/ou dans l’un des membres de l’entourage va également compliquer le processus de deuil (Lemaignan G. (1999)).
6. Le cumul
Etre confronté régulièrement et fréquemment à la mort est aussi repéré comme cause de souffrance psychique (Goldenberg, E., (1998)), (Baussant M., Bercovitz A. (2008)).
III. Le deuil : encore faut-il oser y penser et en parler
Goldenberg citant Millerd parle des soignants comme des « survivants de deuils multiples » (Goldenberg, E., (1998)), pour autant il apparait que la souffrance du deuil est peu dite par les médecins (Lemaignan G. (1999)), mais aussi par les soignants infirmiers et/ou aides-soignants (Poliart, H. (1998)). La crainte du jugement social en général (Kaplan, LJ . , (2000)) : il n’est pas socialement correct d’être triste et du jugement de ses confrères et consœurs en particulier : « vais-je paraitre fragile, pas assez forte, pas assez maître de mes émotions… dans un métier qui demande contrôle de soi et maitrise » (Poliart, H.) rend difficile la possibilité d’exprimer voire de reconnaitre pour soi cette potentielle souffrance.
IV. Les bienfaits de cette reconnaissance : diminuer l’épuisement professionnel
Pouvoir reconnaitre pour soi la souffrance du deuil aurait des bénéfices positifs non négligeables. Notamment cette prise en compte et l’expression de ce qui est vécu, permettraient de diminuer de manière très importante « l’épuisement professionnel » (Lachambre, V., Marquenet, C., (2008)), les pratiques et le gout du travail seraient retrouvées et améliorées (Kaplan, LJ ., (2000)).
V. Comment peut-on « mieux » se séparer ?
Penser (à) cette souffrance spécifique c’est se donner les moyens de la panser.
1. Avant le décès : les conditions de l’accompagnement
Selon les conditions dans lesquelles les accompagnements de fin de vie ont lieu, ils peuvent avoir des répercussions sur la façon dont les soignants vivent la séparation et le deuil (Baussant M., Bercovitz A. (2008)), (Foulon M., (2000)).
- Le travail en interdisciplinarité, en binôme, le soutien des cadres de santé (Foulon M., (2000)) ainsi que celui des collègues, le recours à des ressources internes et/ou externes susceptibles d’apporter des réponses spécifiques ou un soutien psychologique dans les situations complexes peuvent permettre un accompagnement plus serein (Baussant M., Bercovitz A. (2008)).
- L’organisation du service et du travail avec des espaces et des temps prévus pour parler de la mort à venir, des soins spécifiques à faire aident à mieux vivre les situations de fin de vie et la séparation. (Baussant M., Bercovitz A. (2008)).
- Le sentiment d’avoir été utile, d’avoir pu faire son travail correctement permet de se séparer plus facilement (Jenny, P., (2007)).
- Enfin, même si toutes les morts ne sont pas douloureuses, l’acceptation de la mort serait facilitée par l’absence de souffrance physique (Jenny, P., (2007)).
2. Lors du décès : les rituels
Pouvoir dire « au revoir » via des rituels apparait important. Des services de célébration ont été créés dans certains établissements (Harpwood B., Unwin M., (2009)). De plus, la possibilité de faire la toilette mortuaire, pour les soignants jusque là impliqués dans les soins, apparait comme un moment clef (Tripiana, J., Lei, J., (1995)). C’est une façon de clore la relation en ayant le sentiment « d’aller jusqu’au bout » des soins. Cela permet, aussi, d’avoir un temps pour réaliser ce qui a eu lieu : la mort de la personne ((Baussant M., Bercovitz A. (2008)).
3. Après le décès :
Pouvoir parler, de ce qui a été vécu pendant la prise en soins, lors de l’aggravation puis au moment du décès est très aidant pour « panser » la douleur du deuil (Baussant M., Bercovitz A. (2008)), (Lemaignan G. (1999)), (Kaplan, LJ ., (2000)).
Par ailleurs, les formations, les réflexions théoriques et éthiques aident au travail de deuil (Baussant M., Bercovitz A. (2008)), (Lemaignan G. (1999)), (Tripiana, J., Lei, J., (1995)).
Conclusion :
Penser que des soignants peuvent être en deuil permet à ceux-ci et à leur « hiérarchie » de panser la souffrance qui l’accompagne. Autrement dit : penser et panser les difficultés que la mort et les deuils engendrent revient à prendre soin des soignants. Des moyens sont d’ores et déjà mis en œuvre, repérés, dans certains lieux de soins : travail en équipe et en interdisciplinarité, temps pour parler de la mort à venir et de celle qui est advenue, possibilité de se former, etc. Peut être y en aurait-il d’autres à inventer ?
Marielle Maubon, psychologue clinicienne
CDRN FXB, Centre De Ressources National soins palliatifs François-Xavier-Bagnoud
HAD CSS, Hospitalisation A Domicile Croix-Saint-Simon
Avril 2011
Références bibliographiques
1) Baussant M., Bercovitz, A., (2008), Accompagner le deuil : des repères pour les soignants.
2) Foulon M., (2000) Le cadre face aux rites de passages des soignants. Recherche en soins infirmiers, 63, 52-72.
3) Freud S., (1917) Deuil et mélancolie, Œuvres complètes, tome XIII, PUF, Paris, 1998.
4) Goldenberg, E., (1998), Comment aider des soignants en souffrance ? Soins infirmiers, 5, p. 11-15.
5) Hanus, M., (1998), Les deuils des accompagnants, Congrès de Vivre son deuil, 28p.
6) Harpwood B., Unwin M., (2009), End of life care, 3, 2, p. 52-55.
7) Herman, B., (1998), Les deuils des accompagnants, Congrès de Vivre son deuil, p13-15.
8) Jenny, P., (2007) La gestion du deuil des soignants confrontés quotidiennement à la mort : recherche dans une unité de soins palliatifs, Info Kara revue francophone de soins palliatifs, 22, 1, p3-11.
9) Kaplan, LJ ., (2000) Toward a model caregiver grief : nurses’ experiences of treating dying children, Omega : journal of death and dying, 41,3, p.187-206.
10) La chambre, V., Marquenet, C., (2008), Le travail de deuil du soignant en oncologie pédiatrique, 50p.
11) Lemaignan G. (1999), Le deuil des médecins. Etudes sur la mort thanatologie, 116, p. 33-49.
12) Poliart, H. (1998), Le deuil des soignants, Ethica Clinica, 9, p. 29-30.
13) Stryckmans, C., (2005), Quand les parents et les soignants pleurent ensemble le décès d’un enfant, Ethica Clinica, 38, p. 7-9.
14) Tripiana, J., Lei, J., (1995) , Les soignants face à la mort, Soins infirmiers, 6, p. 8-14.
Dans les pays occidentaux, toutes les études le montrent, la famille est engagée auprès des personnes malades, en situation de handicap ou âgées dépendantes. De même, les proches sont très présents au moment de la fin de la vie. Quels que soient les efforts professionnels, le malade peut rarement rester chez lui sans la participation active de l’entourage. Et même lorsque la mort survient à l’hôpital, une partie du parcours de soins palliatifs ou de la période de fin de vie se déroule à domicile. Chez soi, les proches-aidants représentent la clef de voûte de la permanence et de la continuité relationnelles et des soins ; ils réalisent de nombreuses tâches de soutien et de soins au regard de la situation de la personne souffrante et en fin de vie. Lors des séjours hospitaliers, ils restent présents auprès du malade et continuent à jouer un rôle important notamment en assurant, en complément des soignants, certains actes de la vie quotidienne.
Cette synthèse, essentiellement basée sur des publications médicales, a pour objet d’analyser les conséquences pour l’entourage de leur implication auprès d’un malade en fin de vie, et aussi de repérer dans la littérature, les facteurs de production ou d’aggravation de ces effets. Puis, nous analyserons les supports offerts aux aidants afin de leur permettre d’assurer cet accompagnement dans les meilleures conditions possibles.
Il importe de lire ce texte avec prudence. En effet, les auteurs définissent rarement ce qu’ils entendent comme « aidants » et « non-aidants ». Selon les études, nous ne savons pas dans quelle catégorie est classée, par exemple, une femme qui assure l’ensemble des tâches de la vie quotidienne auprès d’un conjoint âgé et non malade, ou autre exemple, un proche, qui assure une présence relationnelle et affective auprès d’un malade en fin de vie sans participer aux soins ou aux actes de la vie quotidienne. Par ailleurs, les troubles ou bénéfices sont repérés à partir de méthodes très variées qui rendent les interprétations et la synthèse délicates. Ensuite, les effets apparaissent différents selon les types d’aidants et selon le moment où ils sont mesurés (pendant la phase d’aide, tout de suite après le décès, quelques mois après le décès). De plus, les études sont pour la grande majorité anglo-saxonnes ou émanent des pays scandinaves, la transposition des résultats à la France ne peut être totalement affirmée. Enfin, les études sont nombreuses, de qualité inégale ; elles apportent une multitude d’informations de nature différente qui se prête mal à la synthèse. Il existe cependant de grandes tendances, des résultats régulièrement trouvés dans différents pays que nous soulignerons dans ce texte.
Accompagner un proche en fin de vie : quelles conséquences pour les aidants ?
Même si l’entourage en retire un certain nombre de satisfactions, accompagner la fin de vie d’un être proche reste une épreuve d’une grande intensité.
Les conséquences valorisées par les aidants
Certaines études montrent que s’occuper d’un proche permet parfois une forme d’accomplissement personnel, une meilleure estime de soi et une relation renforcée aux autres. C’est l’occasion d’une meilleure c ; onnaissance de soi et des autres, voire de donner un sens à ses actions pendant cette phase douloureuse (Hebert, Schutz, 2006). Plus récemment, Wong et al. (2009) reprennent les résultats de plusieurs études montrant l’importance pour les aidants d’avoir pu offrir à leur proche une fin de vie digne et une « bonne mort ». Bouchet et al. (2010) insistent également sur cette dimension de satisfaction pour les membres de la famille. Au-delà de résultats déjà mis en évidence, l’étude qualitative de Wong, auprès de 23 aidants en Australie, montre que les aidants disent avoir découvert des ressources personnelles qu’ils ignoraient : une force imprévue à travers l’adversité, des capacités à reconnaître la gravité de la situation tout en trouvant des chemins pour répondre aux difficultés et aux nécessités de l’accompagnement du malade en fin de vie. Les aidants valorisent la qualité de la relation qui s’est développée pendant cette période avec le malade. Lorsque celui-ci était au courant de sa mort proche, l’intensité du temps passé ensemble en a été renforcée. Ces études sont concordantes avec les recherches en sciences humaines et sociales à propos de l’expérience de la maladie et du handicap. Les situations personnelles difficiles peuvent s’inscrire dans la trajectoire biographique des individus comme élément de construction de soi et de sa relation aux autres.
Les conséquences néfastes sur les aidants
Cependant, les auteurs médicaux et paramédicaux parlent assez peu des conséquences valorisées par les aidants. Ils mettent essentiellement l’accent sur les répercussions néfastes, en termes de santé physique et mentale, pour l’entourage. Globalement, sur tous les facteurs étudiés, les études montrent une détérioration de la santé des proches aidants ou une moins bonne santé que des personnes comparables mais « non-aidants ». Les résultats sont plus ou moins négatifs et les effets inégalement répartis au sein des proches aidants.
Les conséquences psychiques
Sensation de fatigue voire d’épuisement (Gaston-Johansson, 2004), anxiété et dépression, insomnie, sentiment de solitude et de difficulté à faire avec ses émotions, détresse psychologique (Thomas, 2002) sont les aspects les plus documentés (Favrot, 1985 ; Schultz, 1999 ; Pinquart, 2003 et 2004 ; Aoun, 2005 ; Hebert, Schutz, 2006 ; Pitaud, 2006). Pinquart et Sörensen (2003) ont réalisé une méta-analyse portant sur 84 articles. Ils ont montré une différence importante, au détriment des aidants par rapport aux non-aidants, dans la sensation de dépression, de stress, d’efficacité personnelle et de bien-être subjectif. La prévalence de l’anxiété est estimée à environ la moitié des aidants ; celle des dépressions autour d’un tiers à 40%. Kessler (2005) montre que l’anxiété est plus importante si le proche est seul. Les troubles du sommeil sont également fréquents ; 25 à 50% selon les études (Carter, 2009 ; Aoun, 2005). Ils sont en partie dus au fait que les aidants donnent des soins programmés ou impromptus aux malades durant la nuit. Ils relèvent également d’une charge psychique et mentale importante qui perturbe le sommeil. Carter et al. (2009) reprennent plusieurs études qui montrent que la quan ; tité et la qualité du sommeil sont perturbées. Plus les troubles sont prolongés, plus ils sont associés à une augmentation des syndromes dépressifs et d’autres problèmes morbides. La montée en âge et le fait d’être une femme augmentent la fréquence des troubles. Ils peuvent perdurer des mois, voire des années, après le décès du malade (Carter, 2005).
Pinquart et Sörensen (2004) ont réalisé une méta-analyse à partir de 60 études sur le bien-être subjectif des aidants en comparaison de celles sur les symptômes dépressifs des aidants. Le stress des aidants est très fortement corrélé aux symptômes dépressifs. De nombreux aidants protègent leur bien-être aussi longtemps qu’ils ont suffisamment de temps pour poursuivre les activités qui leur sont essentielles. Le niveau de dépendance du malade n’a qu’un effet modeste sur le bien-être subjectif des aidants contrairement au niveau de soins. De ces deux dernières assertions, les auteurs concluent que donner plus de soins n’a pas un effet forcément négatif sur le bien-être des aidants, probablement aussi longtemps que leurs autres rôles et activités sociales, leur apportant suffisamment de satisfaction, ne sont pas trop restreintes. Burton et al. (2008) montrent que le type de diagnostic (cancer ou démence) et l’appréciation des aidants (sur le niveau de stress, les déficiences fonctionnelles et les aspects positifs pour les aidants) ne sont pas prédictifs du sentiment de bien-être. Par contre, la courte durée de l’aide est significativement corrélée à un haut niveau de dépression et de chagrin au moment du deuil, comme si le soutien apporté dans la durée au malade préparait l’aidant à mieux supporter la perte. Enfin, un haut niveau de dépression post-décès est associé à un niveau bas d’activité sociale, un faible réseau relationnel et une moindre satisfaction dans les services apportés au malade ou à l’entourage.
Les conséquences physiques
Au-delà de la fatigue ou épuisement qui peuvent avoir plusieurs causes, Pinquart et Sörenson (2003) ont montré que le niveau de santé physique est affecté chez les aidants par rapport aux non aidants mais dans une moindre mesure que pour le niveau de santé psychologique.
Sur le plan physique, Schultz et Beach (1999) ont mis en évidence une surmortalité significative (+63%) chez les conjoints aidants âgés par rapport à un groupe contrôle de non-aidants. L’augmentation de la morbidité (Pinquart, Sorensen, 2003), notamment des problèmes cardiovasculaires (King et al., 1994 ; Schultz et al., 1997) est documentée. Globalement, les aidants sont moins attentifs à leurs propres soucis de santé et s’engagent moins dans des actions préventives ou de soins (Schultz et al., 1997).
Les aspects financiers
Les conséquences financières sont peu documentées dans la littérature. Barbara Hanratty et al. (2007) ont réalisé une revue de la littérature concernant le stress lié à des soucis financiers en phase terminale de cancer. Cette question est surtout traitée aux Etats-Unis au sein desquels un nombre significatif de personnes (patients ou aidants) déclarent des problèmes financiers pendant la fin de vie. Kessler et al. (2005), en Angleterre, montrent une aggravation des inégali ; tés d’accès aux soins pour les personnes les plus vulnérables socialement et en fin de vie.
Les variations selon les aidants
Globalement, les femmes (Yee, 2000 ; Pinquart, 2003) et les conjoints, accompagnant un malade en fin de vie, présentent davantage de troubles que les autres aidants (Hébert, Schultz, 2006). Pour les conjoints, cela peut s’expliquer par la proximité affective et physique avec le malade et l’intensité des soins apportés. Ces derniers peuvent également développer des effets néfastes du fait de leur grand âge qui peut diminuer leurs ressources physiques et psychologiques. Les femmes sont, selon ces auteurs, davantage à risque car elles sont davantage conscientes de leurs émotions, plus empathiques et ont moins tendance à faire valoir leurs sentiments négatifs. L’essentiel des études anglo-saxonnes s’appuie sur les notions de stress et de coping (Hébert, Schultz, 2006). Dans cette perspective, de nombreux autres facteurs influent sur les réactions de stress pour les aidants et sur les conséquences sur leur santé : les supports sociaux, les attributs personnels, les pratiques religieuses, l’estimation de la situation par l’aidant, les types de coping mobilisés par les aidants.
Accompagner un proche en fin de vie : quels supports pour les aidants ?
A l’heure du développement des soins palliatifs au domicile, accompagner, soutenir et faciliter le travail des proches représente donc un enjeu des pratiques professionnelles et des politiques publiques. Des programmes sont développés, en ce sens, dans les différents pays occidentaux (Ferris, 2002 ; Ringdal, 2004 ; Mac Millan, 2005 ; Dobrof, 2006). Les études rapportées dans la littérature médicale mettent l’accent sur quatre types de besoins (Hebert, Schultz, 2006) : le confort du patient, les besoins d’information, les besoins en services de soins, le soutien émotionnel. Ferris et al. (2002) ont développé un modèle de pratique pour repérer les besoins des patients et des aidants, et pour y répondre. Dans la littérature, les approches et les propositions pour répondre à ces besoins sont de nature très diverses. Les méthodes d’évaluation plus ou moins rigoureuses rendent les résultats soumis à caution (Harding et Higginson, 2003 ; Mc Millan et al., 2005 ; Hébert et Schultz, 2006). Les pages suivantes illustrent la diversité des dispositifs de soutien proposés aux aidants ; ils sont soit ciblés sur un point particulier, soit envisagés de manière plus « systémique ». Elles donnent des hypothèses (faute de résultats bien validés) quant aux bénéfices apportés par telle ou telle action de soutien des aidants. Mais d’abord reconnaître la place singulière des aidants est un enjeu des pratiques professionnelles.
La place singulière des aidants
Les quelques recherches en sciences sociales consultées montrent la place singulière des familles dans l’accompagnement d’un proche malade. Ewa Bogalska-Martin (2007) a réalisé une recherche au sein d’une unité de soins palliatifs. Elle analyse la souffrance comme phénomène situé « au cœur d’un vaste système d’échanges qui concerne autant les proches, les familles des malades, que les professionnels… ». Elle montre que même si les équipes soig ; nantes développent « des attitudes de compassion et de compréhension de la vulnérabilité des familles face à la maladie de leur proche », la souffrance des familles est difficile à accueillir et supporter pour les professionnels. Il peut être alors demandé aux proches de mettre leur souffrance de côté pour apporter leur soutien au malade ; leur place au sein des services hospitaliers peut gêner, il existe peu d’espaces dédiés à leur présence. Les proches entrent parfois en concurrence symbolique avec les soignants. Ils sont en tension entre leur place auprès du malade et leurs tâches habituelles et doivent souvent réaliser des choix douloureux et insatisfaisants. Dans un tout autre registre, Simone Pennec (2004) souligne les subtils ajustements entre les valeurs et normes de santé des familles, des malades et des professionnels. Chaque partie se réfère à des règles et compose des ordres de priorité qui peuvent entraîner ajustements, tensions ou conflits. La multiplicité des services et des professionnels facilite la réponse à certains besoins et attentes tout en multipliant les risques d’incohérence. En effet, les personnes malades, les différents membres de l’entourage et les différents professionnels développent des logiques d’action qui ne peuvent pas être parfaitement concordantes (Bungener et col., 2006 ; Pennec, 2004). Du côté des soignants (Thibaut, 2009), la présence des familles entraîne des modifications des pratiques soignantes et médicales (sortir de la relation duelle ; accepter le regard d’un tiers sur les soins ; se situer face aux habitudes de vie et de relations des familles...). Des formateurs sont sollicités pour travailler sur ces questions avec les soignants (Thibaut, 2009). Ce travail a d’autant plus d’importance que les proches-aidants peuvent davantage mobiliser leurs ressources lorsqu’ils perçoivent qu’ils partagent la responsabilité des soins avec les professionnels (Gysels et Higginson, 2009).
Répondre à des besoins spécifiques
Expliquer que tout est fait au mieux pour le patient
A propos du confort des patients, les proches-aidants disent combien il leur est important de percevoir que tout est fait au mieux pour le malade (Miettenen, 2001 ; Frattini et al. 2008). Dans l’étude de Fridriksdottir (2006), « Etre assuré que les soins les meilleurs sont donnés au patient » représente le deuxième besoin exprimé par les aidants. Schulz et ses collaborateurs ont montré que la perception de la douleur des patients par les aidants contribue à leur dépression et leur épuisement ; ce, davantage que les handicaps physiques et psychiques ou que les troubles du comportement et le temps passé à réaliser les soins (cité par Hebert, Schulz, 2006). En effet, « … la peur de souffrir ou de voir le patient souffrir est une forme très partagée de la souffrance » (Bogalska-Martin, 2007). Dans l’étude de Marco et al. (2005), la satisfaction des membres de la famille porte d’abord sur les soins globaux apportés, et les indices de non satisfaction d’abord sur la perception d’une incompétence professionnelle, ou d’une attitude de soins inadaptée. Les explications, même courtes, permettant de faire valoir comment les professionnels sont atte ; ntifs au confort du patient et aux signes de l’agonie, ont une fonction apaisante pour l’entourage.
Pouvoir sécuriser, informer, former
Une formation des aidants, au domicile, pour gérer les médicaments à donner à la personne en fin de vie a montré que celle-ci permet un meilleur soulagement des symptômes pour le patient et un apaisement de l’anxiété chez les proches (Anderson, Kralik, 2008). Il est à préciser que cette formation a été couplée à un dispositif de permanence téléphonique pour les proches. Or, on sait que les réponses rapides en cas de crise diminuent, par ailleurs, l’anxiété (Kessler, 2005). Plus largement, pour faire face et mobiliser leurs propres ressources, les aidants soulignent qu’il est rassurant de pouvoir joindre, quoi qu’il arrive, un professionnel qui connaît la situation (permanence téléphonique), et savoir qu’une hospitalisation sera possible même en urgence. Sans forcément y recourir, de telles ressources permettent de « tenir » dans la durée, puisqu’une alternative existe si le proche se sent dépassé. En ce sens, en France, les permanences téléphoniques mises en place par les réseaux de soins palliatifs sont utiles et appréciées. Le filet constitué par le réseau social informel et les dispositifs disponibles à tout moment prennent, dans l’optique de sécuriser les aidants, une valeur essentielle, bien avant le soutien psychologique spécialisé (Frattini, Mino, 2008).
En ce qui concerne l’information ou la formation des aidants, les besoins mis en évidence sont concordants mais les résultats des dispositifs mis en place sont contrastés. Les aidants ont à réaliser de nombreux soins de confort et peuvent, surtout au domicile, être seuls lors de l’aggravation des symptômes et de l’agonie, pour lesquels ils sont particulièrement mal préparés (Gysels et Higginson, 2009). Harding et al. (2002) montrent les besoins d’information des proches et proposent des dispositifs de soutien pour limiter l’angoisse. Des groupes ponctuels d’information et de partage entre aidants, animés par des professionnels, ont montré leur intérêt : pouvoir s’identifier à d’autres personnes vivant la même situation, partager, s’aider, s’encourager tout en bénéficiant des apports des professionnels (Harding et al., 2002). Cependant, Hebert et Schulz (2006) arguent qu’il ne suffit pas d’augmenter le niveau de connaissances des proches pour améliorer les résultats en termes psychologique et social. Ce sont les programmes d’éducation, plus exigeants et donc moins accessibles, qui entraînent des effets positifs sur la fatigue, les symptômes de dépression ou la sensation de bien-être. E. Bogalska-Martin (2007) déplace la question et souligne que de nombreuses souffrances interviennent dans les zones de doute ; « elle est relative à l’inadéquation du niveau de savoir partagé par les uns et les autres ». Afin d’encourager le dialogue entre les aidants familiaux et les soignants, Hebert et al. (2009) ont conduit une étude pilote testant un court questionnaire comme support de discussion à propos des problèmes qui peuvent se poser à la fin de la vie d’un proche. Globalement, les résultats montrent que les membres de la famille souhaitent aborder une mult ; itude de questions et que le support proposé a facilité le dialogue avec les soignants et entre les membres de la famille.
Globalement en France, contrairement aux pays anglo-saxons, peu d’équipes de soins ont des stratégies explicites pour « former » les aidants, leur permettre de mobiliser leurs propres ressources, de s’organiser, de participer aux soins de confort et de disposer de repères anticipatoires pour ne pas paniquer devant l’aggravation des symptômes. Certains ont édité des livrets à destination des familles (Réseau Le Pallium), ou des fiches sont mises en ligne par le CDRN FXB ; ils font écho à des réalisations canadiennes (Fortin, Neron, 1997). Des praticiens disent aider les proches à « apprivoiser » les symptômes du malade. Ils leur montrent comment soulager le malade sans trop se fatiguer (lors des mobilisations par exemple) ; ils les préparent à certaines aggravations en leur donnant une sorte de conduite à tenir, qui peut être simplement d’appeler un numéro de téléphone ; ils abordent, en temps utile, les symptômes de la fin de vie et cherchent à préparer les proches à ce moment, à l’instar de ce qui est décrit par Gagnon et col. (2002) à propos des symptômes mentaux (délire et confusion) à un stade avancé de la maladie.
Eviter ou diminuer certains troubles chez les aidants
Les professionnels cherchent à amoindrir la fatigue voire l’épuisement des aidants. Or, pouvoir garder ses habitudes, ses activités sociales et personnelles apparaît comme un facteur protecteur de la sensation de bien-être subjectif des aidants (Pinquart, Sörensen, 2004). Il s’agit donc de proposer une offre plurielle adaptable au cours du temps (Hebert, 2006 ; Harding, 2003), une offre aisément disponible (Gysels, Higginson, 2009) et qui déstabilise le moins possible les routines (Frattini et al, 2008). Il n’est d’ailleurs pas évident que les séjours de répit soient profitables aux aidants (Ingleton, 2003). Ces séjours rompent justement les habitudes et rendent parfois le retour au domicile plus délicat pour les proches (Ingleton, 2003) ou ne sont pas acceptables par ces derniers (Hebert, Schultz, 2006). Le soutien à la maison est valorisé. L’intervention de bénévoles dans la phase terminale peut atténuer le stress des familles, faciliter le travail des aidants en leur donnant des conseils pratiques et fournir un support émotionnel (Luijkx et al., 2009). A cet égard, les bénévoles peuvent accompagner les aidants en s’ajustant à leur rythme, « rétrograder mentalement de la cinquième vitesse parfois jusqu’à la première afin de rejoindre l’autre dans sa vie, sa souffrance et ses émotions » (Zimmermann, 2009). D’autres équipes se sont intéressées à la manière dont l’aidant peut continuer à s’occuper de lui-même. Suzanne Ouellet (2008), au Canada, a développé un programme « prendre soin de moi tout en prenant soin d’un proche atteint d’une maladie chronique ». Ce programme d’intervention, en cours d’évaluation, est destiné aux aidants familiaux d’un proche âgé ou atteint d’une maladie chronique quelque soit la phase de la maladie (chronique, pré-terminale ou terminale).
Après la mort, les proches sont parfois très désemparés. L’implication auprès du mala ; de n’est plus ; ils ont à faire face à une multitude de tâches administratives. Les proches attendent une continuité d’attention de la part des professionnels (Boucher et al., 2010). Sont appréciés un accompagnement au moment de la toilette mortuaire, du transport du corps, de la veille du corps à la morgue (Gagnebin, 2003). Mais, ils disent aussi attendre, lorsqu’ils ne l’ont pas eu, un signe de l’équipe de soins, à légère distance du décès.
En période de deuil, diminuer l’insomnie, particulièrement fréquente chez les aidants et pourvoyeuse de dépression et d’autres symptômes, est un objectif de l’intervention de Carter et al. Une étude de faisabilité de thérapie comportementale a été conduite pendant 5 semaines auprès d’aidants à la suite du décès du patient. Les résultats préliminaires permettent de dire que le dispositif est faisable et acceptable et donne des résultats prometteurs sur l’insomnie et les symptômes dépressifs (Carter et al., 2009).
Situer l’analyse et les actions dans une perspective systémique et/ou plus générale
Pour King et Quill (2006), l’ensemble de la situation familiale et de sa dynamique représente l’objet du travail des professionnels pour soutenir les proches-aidants dans leurs tâches. A partir d’articles choisis, les auteurs ont construit un modèle de compétences relationnelles familiales au moment des soins en fin de vie. Le modèle est construit sur la reconnaissance que les compétences relationnelles de certaines familles sont perturbées et que ce fait limite les adaptations tant pour communiquer que pour prendre des décisions au cours du processus de soin. Les familles nécessitent alors l’intervention d’équipe professionnelle pour les aider à ajuster leurs attentes et leurs actions. Mehta et al (2009), en s’appuyant également sur la littérature, proposent une théorie du système familial à destination des professionnels. Il s’agit, à travers elle, de faciliter la compréhension du fonctionnement familial afin de mieux situer les actions et les liens à développer ou à éviter avec chaque membre de la famille ou avec le collectif.
Dans un autre ordre d’idée, plusieurs auteurs ont montré l’intérêt des soutiens apportés par les équipes spécialisées en soins palliatifs et apportant des réponses plurielles et coordonnées au patient et son entourage. Fridriksdottir (2006), en Islande, a montré que les besoins des aidants sont davantage satisfaits en unités de soins palliatifs que dans les autres services cliniques. Dobrof et al. (2006), aux Etats-Unis, analysent les apports des centres sociaux (« resource center social workers ») qui offrent un panel de ressources (information, élaboration, soutien moral, facilité d’accès aux services) aux aidants. Ces centres facilitent le travail des aidants et leurs prises de responsabilité dans l’accompagnement d’un proche en fin de vie.
Matthias et Marco Vanotti (2009) ont développé un dispositif d’intervention professionnelle associant le malade et sa famille afin de faciliter la compréhension des enjeux familiaux, tenir compte de la souffrance et des déstabilisations des proches, mobiliser les ressources de l’entourage, dégager la contribution de chacun, éviter que certains s ; oient sacrifiés dans le processus.
Pour permettre aux proches-aidants d’accompagner une personne en soins palliatifs, le travail de sécurisation des proches par les professionnels apparaît fondamental. Il représente la dimension principale qui pourrait chapeauter « l’aide aux aidants ». Les équipes des réseaux de soins palliatifs au domicile l’ont compris. Ainsi que Mino et Lert (2003) l’ont décrit, les professionnels développent « une médiation soignante et sociale » et « un travail sur les émotions » qui renvoie à un travail de mise en sécurité de l’expérience quotidienne des proches. Il concerne les sentiments, les routines de vie, la charge de travail domestique, les possibles conflits de perspective entre les proches, le réseau social. Les services proposés, leur disponibilité et les postures professionnelles permettent aux aidants, en renforçant leur sentiment de sécurité, de réduire l’anxiété et d’agir en confiance.
Conclusion
Les effets positifs sur les proches accompagnant une personne en fin de vie, sont peu documentés, en partie peut-être, par le fait que les études s’y intéressent rarement. Les conséquences négatives, elles, sont largement établies. Avec Grande et al. (2009) nous pouvons conclure « par contraste, nous manquons à la fois de recherche longitudinale empirique et de modèles conceptuels pour établir comment les effets délétères sur les aidants peuvent être prévenus par des dispositifs appropriés ». Cette synthèse donne, à cet effet, de nombreuses pistes de travail.
Marie-Odile Frattini, Jean-Christophe Mino, médecins de santé publique
CDRN FXB, Centre De Ressources National soins palliatifs François-Xavier Bagnoud
Mai 2010
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Parler de la mort à des enfants dans un contexte socioculturel où elle est niée n’est pas une tâche aisée. Cette simple idée soulève un certain nombre de questions : est-ce nécessaire de parler de la mort à un enfant ? A partir de quel âge peut-on l’évoquer ? Comment en parler alors qu’elle est synonyme de souffrance, de tristesse, d’irréversibilité ? Que dire ?
Face à ces questions essentielles, des médiateurs tels que les livres peuvent aider à trouver les mots pour dire l’indicible. La littérature jeunesse en effet, regorge d’ouvrages évoquant les thèmes de la maladie grave, de la mort et du deuil [3]. Après avoir montré l’importance de parler de la mort aux enfants, nous verrons à partir d’un corpus de livres de fiction extrait de la bibliographie d’Elisabeth Jolivet [3] comment la mort est traitée dans les livres pour enfants et adolescents.
I. De l’importance de parler de la mort
1. Le déni de la mort dans notre société
Universelle et inéluctable, la mort concerne tous les individus. Tout être humain y est un jour confronté et parfois dès son plus jeune âge. Crainte et fantasmée, elle est pourtant devenue au cours du 20ème siècle occultée, voire niée. L’urbanisation, la disparition de certains rites funéraires, la Seconde Guerre Mondiale où « l’on constate alors un déni de la mort, avec le refus d’évoquer la mort et le chagrin du deuil » [28], les nouvelles organisations de la famille et du travail, et la médicalisation sont à l’origine de ce rapport à la mort [27, p. 6] ; [28, p. 4]. « Toutes les conditions sont réunies pour que la mort soit vécue, évoquée, partagée le moins possible par les vivants. » [27, p. 6]
Or, les auteurs, toutes disciplines confondues, s’accordent à dire que plus la mort est parlée, montrée, expliquée, moins elle engendre de souffrance et d’angoisse [7] ; [8] ; [10] ; [11] ; [12] ; [20] ; [21]. « C’est justement parce qu’elle est impensable qu’elle occupe une place si importante dans le fonctionnement psychique de chacun, et qu’il faut s’en approcher, l’apprivoiser, pour qu’elle ne reste pas un inconnu effrayant ou qu’elle ne suscite pas des images perturbantes. » [20, p. 13]
Cette mise à distance n’est qu’un leurre qui ne peut perdurer comme le montre le psychanalyste Jean Boulanger. « On a souvent parlé d’un déni de la mort ; et pourtant si pour tout être, dès son apparition à la vie, on peut énoncer une certitude, c’est bien celle de la mort. Il n’est donc pas question de contester cette évidence, mais les humains ne peuvent l’accepter sans quelques aménagements. L’attitude la plus frappante consiste à faire « comme si », comme si la mort n’existait pas, tout simplement, ou plutôt comme si cette pensée de la mort jamais ne nous effleurait ou encore moins, nous préoccupait. De fait, aucune culture ne peut se constituer dans le déni de la mort (sauf à imaginer, précisément, une société globalement psychotique…qui ne pourrait se perp ; étuer bien longtemps !) » [14, p. 9]
Le non-dit serait donc plus néfaste que le dire. Mettre des mots sur l’insupportable serait plus bénéfique que le silence. Se taire « affectera l’équilibre de chacun, le fonctionnement familial, les relations entre le malade et sa famille et parfois même le travail de deuil ultérieur des survivants […]. Il est certain que le travail de deuil, après la mort, sera longtemps habité par le poids que la mort aura fait peser sur la communication. » [10, p. 29]. « Le langage seul dit la perte et la tristesse jointe. Parce que le langage signe l’introjection, le processus de deuil déclenché, la prise de distance depuis l’affect jusqu’à sa mise en mots, parce que le langage marque la différence avec l’incorporation, ce deuil non fait, cette boule de peine qui ne se dissout pas et parce qu’elle ne peut pas se dire. » [21, p. 44-45].
2. Parler de la mort aux enfants
2.1 Pourquoi en parler
L’enfant est très tôt confronté à la mort. La vue d’une fleur qui fane, son animal familier qui meurt, …lui apprennent qu’un jour ou l’autre la vie se termine. Dans le souci de préserver l’enfant, l’adulte peut être amené à taire la gravité d’une maladie ou de la mort, à fuir les questions de l’enfant, à inventer une histoire du type « Il a déménagé ». Or ce n’est pas la mort qui effraie l’enfant mais comme le dit Nicole Alby « ce qui angoisse l’enfant, c’est la séparation, la peur d’être abandonné. Le silence sur la mort ne protège que les adultes. La vraie protection de l’enfant contre l’angoisse de mort est la certitude qu’il est aimé et qu’il ne sera jamais abandonné. » [6, n.p.]
« L’enfant que ses parents auront aidé à penser des questions difficiles et nouvelles, à apprivoiser l’inconnu, sera mieux préparé à se confronter à la mort, comme réalité et comme question. Il le sera de même quand il sera confronté à des situations particulièrement inhabituelles et difficiles pour lui à comprendre et à accepter (la mort en est le modèle majeur), quelles qu’elles soient. En effet, il pourra alors s’appuyer sur l’expérience positive qu’il aura eue de la résolution, avec l’aide de ses parents, de sa confrontation à la question de la mort. Si cela n’a pas été le cas, ses peurs et son désarroi devant la situation actuelle pourraient s’augmenter de ceux du passé, réveillés ». [20, p. 15]
Dans son livre Le voile noir, Annie Duperey raconte la mort brutale de ses parents alors qu’elle est âgée de 8 ans et montre quels sont les effets sur le deuil d’une souffrance non parlée. « Si vous voyez devant vous un enfant frappé par un deuil se refermer violemment sur lui-même, refuser la mort, nier son chagrin, faites-le pleurer. En lui parlant, en lui montrant ce qu’il a perdu, même si cela paraît cruel, même s’il s’en défend aussi brutalement que je l’ai fait, même s’il doit vous détester pour cela. […]Percez sa résistance, videz-le de son chagrin pour que ne se forme pas tout au fond de lui un abcès de douleur qui lui remontera à la gorge plus tard. Le chagrin cadenassé ne s’assèche pas de lui-même, il grandit, s’envenime, il se nourrit de silence, en silence il empoisonne sans qu’on le sache.
Faites pleurer les enfants qui veulent ignorer qu ; ’ils souffrent, c’est le plus charitable service à leur rendre." [15, p. 73]
2.2 Une perception de la mort qui varie selon l’âge
Il est possible de communiquer sur la mort dès le plus jeune âge. Alice Holleaux préconise d’en parler dès que l’enfant lui-même pose des questions. « Cela va en gros de deux, sept à huit ans, cela peut arriver à propos d’un conte, de la disparition d’un animal, d’un être humain, d’un cauchemar, d’une angoisse. Quand l’enfant constate qu’autour de lui il y a des jeunes, des moins jeunes et des vieux. Quand l’enfant, en plein oedipe, sent ses pensées agressives l’envahir vis à vis du parent de même sexe que lui et que la violence même de son agressivité lui fait craindre qu’elle ne tue son parent-rival. C’est la raison pour laquelle, si un parent meurt à un moment de tension avec son enfant, il faut tout simplement s’occuper de cet enfant là. Quand meurt quelqu’un autour de l’enfant, afin de le déresponsabiliser de cette mort… » [21, p. 45].
Certains auteurs considèrent que la perception de la mort chez l’enfant suit un ordre rigoureux, influencé par son développement cognitif et affectif. Les tranches d’âge varient d’un auteur à l’autre, mais il est possible de retracer les grandes lignes de l’évolution de l’idée de mort.
La vie et la mort sont présentes dès les premiers jours chez l’enfant, symbolisées par l’absence, la perte et la réapparition, même si l’enfant ne peut avoir une idée de ce qu’est réellement la mort [5, p.14] ; [20, p.13].
Vers 2 ans, l’enfant prend conscience que les personnes et les objets continuent d’exister hors de sa vue. Il n’a pas de représentation de la mort mais il connaît l’absence, la séparation et l’angoisse qui en découle [4, p.14] ; [5, p.14] ; [11, p.182] ; [12, p.36] ; [16, p.13].
C’est entre 3 et 5 ans que le concept de mort apparaît, concept que les enfants peuvent utiliser sans angoisse mais qui est associé à de la tristesse ou à du chagrin. Pour les enfants de cet âge, la mort n’est pas universelle, seule une catégorie de personne est concernée : les personnes âgées. La mort est également vécue comme temporaire et réversible. Cette idée de réversibilité est influencée par les jeux dans lesquels on joue à être mort et où l’on revit une fois le jeu terminé [4, p.14] ; [5, p.14] ; [8, p.95-96] ; [11, p.183-184] ; [12, p.36-37] ; [16, p.13-14]. « La pensée animiste influence également la conception de la mort qui, aux yeux des enfants de cet âge, est un état passager, associé au sommeil et à l’immobilité. Ils ne craignent donc pas la mort elle-même car, à leurs yeux, on recommence à vivre quand on a « fini d’être mort » » [11, p. 184]. « Comme, à ce niveau de son développement, l’enfant n’est pas en mesure de différencier ou d’analyser finement son ressenti, ses mouvements émotionnels se manifestent par un questionnement répétitif sur la date de retour du disparu ou à travers des interrogations liées au remplacement du dispensateur de soins. » [12, p. 38].
Jusqu’à l’âge de 7 ans, la mort sera imaginée sous la forme d’un personnage méchant et maléfique (fantôme, monstre,...) [5, p. 15] ; [12, p. 39] ; [20, p. 13]. Les enfants parlent, interrogent et veulent comprendre ; ce que ressentent les personnes mortes et ce qu’elles font. Pour eux, les morts continuent à avoir des pensées, des ressentis, des sensations. Ils peuvent voir et entendre les humains [5, p. 15] ; [12, p. 40-41]. « Etant donné l’imagination fertile des enfants de cet âge, il vaut mieux leur répondre avec franchise, clarté et simplicité, sinon, pour combler les lacunes de leur connaissance, ils interpréteront les silences et s’inventeront des scénarios souvent pires que la réalité » [11, p. 184]. Ces explications sont d’autant plus nécessaires que cette période est celle de la pensée magique : l’enfant croit qu’il peut provoquer la mort simplement parce qu’il l’a souhaité ou imaginé d’où un sentiment de culpabilité qui peut parfois apparaître. [11, p. 185] ; [12, p. 39]. « L’incapacité fonctionnelle à comprendre les caractéristiques de la mort à cet âge peut expliquer certaines réactions émotionnelles, en apparence inadéquates. [… ]Il serait erroné de prendre pour de la froideur affective ou une indifférence exagérée son comportement qui exprime simplement le fait que les implications de l’annonce n’ont pas été comprises. Il est probable que c’est l’absence de l’être cher et l’expérience du manque qui vont lui permettre d’appréhender la réalité de la mort. Des explications abstraites au sujet de la mort ne peuvent être intégrées car, à cet âge, l’enfant pense de manière très concrète » [12, p. 38].
L’idée de la mort comme irréversible, universelle et inévitable s’installe à partir de 6-7ans, au moment de la scolarité obligatoire. [4, p. 14] ; [5, p. 15] ; [8, p. 97] ; [12, p. 39] ; [16, p. 14]. Vers 8-9 ans, elle est vécue comme une injustice qui pourrait être évitée par une bonne conduite. D’où la nécessité d’une information « objective, simple et adaptée sur les conditions du décès. » [12, p. 41].
Ce sont les adolescents qui ont le plus de difficultés à composer avec la mort. « Contrairement à un enfant de 4 ans, ils se projettent déjà dans l’avenir et par conséquent ils ont une conscience plus vive du deuil de leur existence future […] » [16, p. 14]. La mort est représentée en termes biologiques, ses causes et ses conséquences sont comprises. Même si elle fascine à travers des films d’horreur, le gore, etc., elle est vécue comme une injustice lorsqu’elle frappe réellement. Elle suscite des questionnements sur le sens de la vie et de la mort ainsi que sur la vie après la mort [11, p. 191] ; [12, p. 42]. Dana Castro rajoute que le critère sexuel intervient dans la manière de vivre la mort. « Les filles prennent de front l’événement en s’appuyant sur leurs émotions et en les communiquant ; les garçons l’affrontent indirectement en évitant les pensées qui lui sont attachées. » [12, p. 43-44].
Néanmoins, comme le rappelle Guy Hervé, « Ce découpage reste indicatif. Il peut varier selon les sujets, leurs vécus respectifs. » [4, p. 14]. Par ailleurs, certains auteurs n’adhèrent pas à cette conception par tranches d’âge et considèrent que « c’est la façon dont l’enfant perçoit la place de ses parents dans sa vie et sa propre place dans sa famille qui est au cœur de sa conception de la mort » [20, p. 14]
Il n’existe pas de recettes miracles pour ; parler de la mort à un enfant et comme le dit Hélène Romano « […] c’est plutôt une bonne chose car protocoliser les annonces de mort reviendrait à imposer une représentation théorisée et technicisée de la mort qui ne tiendrait pas compte de la singularité de chaque situation. » [8, p.100]. Néanmoins, les livres peuvent être une ressource pour communiquer.
II Quand la littérature de jeunesse parle de la mort
1 Des livres comme médiateurs pour trouver les mots
« Les enfants éprouvent un plaisir manifeste à la lecture des livres traitant de la mort, pour peu qu’on leur en offre à lire ! » [26, p. 7]
« Un enfant n’est jamais trop petit pour entendre parler de la mort […]. Quant à la relation entre l’enfant et la littérature, on n’est jamais trop petit non plus pour être confronté aux pratiques littéraires. » [26, p. 400]
« De nombreux albums s’élaborent autour de la mort d’un personnage, ou plus précisément de son absence, et les enfants les lisent et les relisent, sans réticence ni question superflues. C’est qu’ils y trouvent du plaisir, du bonheur même, dont on pense qu’il a partie liée avec la mort et avec la littérature précisément. » [26, p. 396]
Le livre est un des médiateurs qui peut faciliter la parole via le texte et l’image, en donnant des mots à l’adulte pour expliquer, accompagner. « A l’image de la peluche du tout-petit avec laquelle il partage ses émotions les plus secrètes, leurs ouvrages permettent aux processus de symbolisation d’opérer. Ils autorisent les interactions imaginaire-symbolique. En d’autres termes, ils permettent au ressenti personnel émotionnel-pulsionnel de participer à la construction de la pensée intellectualisée, partagée, culturelle. » [4, p. 13] « La mort d’un personnage […], en figurant au cœur de la fiction, une séparation et toutes les ruptures constitutives de la personne, permet au lecteur, et notamment à l’enfant qui ne grandit qu’au prix d’une série de renoncements, de revivre au niveau fantasmatique des situations connues et reconnues qui l’affectent encore, le bouleversent et justifient alors son plaisir de lire. » [26, p. 69]. « Tous ces ouvrages sont aussi des livres autour desquels peuvent et doivent s’organiser des échanges […]. Les livres servent ensuite à retourner vers la réalité, enrichi, transformé parfois ». [4, p. 17].
Qu’il s’agisse des enfants ou des adolescents, il n’existe pas de collection spécifique relative à la fin de vie ou à la mort dans la littérature de jeunesse, ce thème étant présent dans plusieurs collections pour les enfants et les adolescents [3].
Il convient toutefois de vérifier si les tranches d’âge indiquées par les éditeurs sont adaptées aux plus jeunes. Ainsi le livre La petite fille et l’arbre aux corneilles [13], raconte l’histoire d’une petite fille endeuillée par la mort de son père. Cette fillette confie son chagrin à un arbre, esseulé lui aussi depuis que ses amies les corneilles se sont envolées au loin. Le livre parle de la douleur de la séparation mais la mention « A partir de 3 ans » de l’éditeur semble inadéquate au regard de la longueur et du lyrisme des textes. Certains livres parlant de la mort peuvent ainsi, de par leur contenu, requérir l’acc ; ompagnement d’un adulte y compris pour les enfants lecteurs.
A noter que malgré la richesse des ouvrages parlant de la mort, il est très difficile de trouver des références d’ouvrages pour les tout petits avant 3 ans [3].
2 Ce que dit la littérature jeunesse sur la mort
2.1 Les personnages
Les ouvrages pour les plus jeunes, ont pour héros des petits garçons ou petites filles qui favorisent l’identification. [3] Il est possible toutefois, de rencontrer des personnages bien éloignés de l’enfant idéal, gentil, obéissant et animé des meilleurs intentions y compris dans des sujets aussi graves que la maladie grave, la mort ou le deuil. Dans Pas demain la veille, loin du personnage de l’enfant idéal, ou de l’angélisme que son minois sur la couverture laisse supposer [22], Loulou-Antoine, 10 ans, est une véritable « chipie ». Seule la fleur armée de dents féroces et dévoratrices qu’elle tient entre les mains laisse soupçonner que son personnage n’est peut-être pas tel qu’il paraît. « A 10 ans, elle revendique fièrement sa dureté, son insensibilité, l’absence de larmes dont le souvenir lui est lointain ». [22, p. 23] La séparation de ses parents et le cancer dont elle est atteinte décuplent sa férocité. César, un homme sans domicile fixe avec qui elle s’est liée d’amitié, va l’aider à réfléchir sur le sens de la vie et à accepter les évènements.
Les animaux sont des personnages que l’on rencontre souvent [1] ; [3] ; [24]. « De nombreux animaux, qui permettent d’éloigner une ressemblance trop forte avec le lecteur ou avec ses proches parents, jouent un rôle privilégié dans les albums. » [26, p. 62]. « Si les traits les plus externes, comme l’habillement des animaux ou leur marche sur deux pieds, s’avèrent être ceux qui facilitent l’identification de l’enfant au personnage, d’autres, moins visibles, n’en fonctionnent pas moins et l’enfant-lecteur y est sensible. » [26, p. 63].
Les ouvrages destinés aux adolescents permettent également de s’identifier au narrateur ou au personnage principal. Ce dernier est généralement un jeune confronté au quotidien de n’importe quel adolescent : conflit familial, importance accordée aux copains, amour, sexualité, auxquels la problématique de la mort ou du deuil vient s’ajouter. D’une manière générale, si le style reste littéraire, il n’en exprime pas moins la violence des sentiments de révolte ou de colère propres à cet âge.
Dans Sors de ta chambre [25], la mère de Clara, la narratrice, est décédée d’une maladie grave. Âgée de 16 ans, Clara reproche à son père d’avoir refait sa vie avec une nouvelle compagne et de vouloir vendre la maison de campagne familiale où demeurent encore des objets personnels ayant appartenu à sa mère. N’arrivant pas à communiquer verbalement son mal-être, elle décide de s’enfermer dans sa chambre et de ne plus en sortir. La colère de son père lorsqu’il découvre son petit ami dans sa chambre éveille en elle des sentiments communs à n’importe quelle autre adolescente : « Je voudrai lui rétorquer que je ne suis plus une petite fille. J’ai grandi, même s’il ne s’en est pas rendu compte, même s’il se fiche totalement de moi et de ce que je deviens. » [25, p. 83]. Le problème central pour ; Clara n’en demeure pas moins la vente de la maison de campagne qui représente pour elle une deuxième mort, symbolique cette fois, la mort du souvenir de sa mère.
2.2 Des mots et des histoires
2.2.1 Les mots pour dire la mort
Le choix des mots est très important. Alice Holleaux préconise de parler de la mort le plus simplement possible, avec un vocabulaire adapté à l’âge de l’enfant. « D’abord en essayant de savoir ce que l’enfant en a compris pour ne pas en parler « à côté », avec des mots de tous les jours, les plus simples possibles, les plus proches possible de la vérité [...]. »[21, p. 45].
Certains titres sont très explicites quant au contenu de l’ouvrage où le mot « mort » apparaît [3]. Ils peuvent aussi être suggestifs, Adieu, Monsieur Câlin, On me cache quelque chose, Au revoir papa, Sors de ta chambre, Où que tu sois, … et parfois ne rien dévoiler du contenu derrière un style poétique, La caresse du papillon, La petite fille et l’arbre aux corneilles… [3].
Le terme de mort apparaît dans la littérature de jeunesse, parfois même dès le titre [3]. Dans le langage courant des métaphores sont utilisées pour symboliser la mort : Il est parti en voyage, Il s’est endormi,... métaphores reprises dans les livres pour enfants [3].
Adieu, Monsieur Câlin [1] raconte l’histoire d’un cochon d’Inde, vieillissant et malade. Sa santé physique déclinant, il meurt. « Et soudain il est mort ». Le mot « mort » est utilisé et les rituels de deuil sont présents à travers les obsèques organisées par son jeune maître. Dans une dernière lettre d’adieu, ce dernier lui écrit « [...] Maintenant tu sais ce qui se passe quand on est mort. Peut-être la mort est-elle un long sommeil et alors il n’y a rien à craindre, peut-être un voyage vers ailleurs, vers la vie éternelle et le bonheur [...] » [1, n.p].
De même dans le livre Petite plume [23]. Cerise passe des week-ends merveilleux chez ses grands-parents, le Professeur Plume et son épouse Madeleine. Ils partagent avec elle leur passion pour les oiseaux. L’hiver arrive et Madeleine commence à se sentir de plus en plus mal, « Elle avait froid. Elle ne parlait plus. Elle ne sifflait plus. Elle dormait de plus en plus. Puis, elle ne vint même plus s’asseoir dans son fauteuil. » [n.p]. Plus loin, la mort de Madeleine est exprimée par cette simple phrase « Madeleine s’endormit pour toujours ».
Nicole Alby [6, p. 45] et Dana Castro [12, p. 39] déconseillent ce recours aux métaphores car l’enfant en s’identifiant au personnage peut craindre des situations similaires : ne plus s’endormir car cela peut être pour toujours…
« Ces « explications » peuvent accroître l’angoisse de l’enfant, surtout lorsqu’elles se substituent à un dialogue, lorsqu’elles n’autorisent pas les questions de l’enfant. » [4, p. 16].
Enfin tous les styles sont utilisés pour évoquer la mort et le deuil : classique, poétique [13], [17] et même humoristique. La couverture de La caresse du papillon [9] représente un personnage composé de morceaux de bois, de bouchons, de fils de fer. Le titre lui-même n’évoque pas particulièrement la mort. Une impression de légèreté se dégage du livre. Cette impression demeure à la lecture de la première phrase. « Un ; petit coup d’rouge pour se donner du courage ! Ah ! Ah ! La Mamama, elle aimait pas que j’me rince le gosier avant de travailler... ». L’histoire est celle d’un jeune garçon qui aide son grand père à jardiner tout en lui posant des questions sur sa grand-mère décédée. Les réponses fournies par le grand-père font preuve de beaucoup d’humour avec un vocabulaire des plus simples, plus proche du langage parlé qu’écrit. « Dis, Papapa, elle est où Mamama ? », « Ça petit … Y’en a qui disent qu’elle est sous terre, avec les verres et les asticots...Tu parles ! Elle avait tellement la frousse des bestioles ! D’autres pensent qu’elle est là-haut. Qu’elle vole avec les nuages...Avec ses 85 kilos !Ho !Ho !Ho ! ».
2.2.2 Les thèmes évoqués
Dire la vérité
Tous les auteurs s’accordent sur la nécessité de dire la vérité aux enfants, y compris aux enfants gravement malades [6, n.p] ; [7, p. 11] ; [11, p. 183-191] ; [12, p. 127-130].La littérature jeunesse reprend cette idée dans des livres qui constitueraient en réalité un bon outil pédagogique pour les adultes…
Dans l’album On me cache quelque chose [18], le ton est donné dès la couverture. Outre le titre explicite, l’illustration d’une petite fille tournant la tête et les yeux vers l’arrière, la mine renfrognée, la moue boudeuse et les mains derrière le dos exprime tout le ressenti de cette très jeune enfant. Suzie, surnommée « Petit Bout », a 5 ans. Autour d’elle tout le monde est triste sans que personne ne lui ait dit pourquoi. « Les grands font des secrets, des secrets interdits aux petits ». Aussi « petit Bout » qu’elle soit, Suzie a pourtant compris que sa mémé dont elle est très proche est gravement malade. « Mais, maintenant, ma mémé elle est souvent couchée », « Je me couche par terre. C’est pour voir comment ça fait quand on est mort. Je me dis qu’on est bien, comme ça. Comme pour faire la sieste. Je me dis qu’être mort, ça doit être comme dormir… » Dans ce récit raconté à la première personne, les couleurs vives des illustrations, la mise en forme du texte avec des phrases qui semblent s’envoler viennent renforcer l’idée que le plus difficile pour Suzie n’est pas la maladie ou la mort de sa grand-mère mais ce qu’on lui cache. Au revoir, papa [2] est l’histoire du cheminement de pensées d’un petit garçon dont le père est mort. « Les autres disent que mon papa est mort. Moi, je crois qu’il est au ciel. Maman aussi. […] Et s’il a su aller jusque là-haut, il pourra toujours revenir quand il en aura envie, non ?", « Papa n’est toujours pas rentré à la maison. J’espère qu’il est bien, là-haut, et qu’il n’a pas trop froid. Je pense à lui tous les jours. Et lui, est-ce qu’il pense à moi aussi ? Je l’attends. » Seul avec ses pensées et ses interrogations, le petit garçon s’enferme dans son chagrin et ne peut accepter Jean, l’amoureux de sa mère. « Je l’aime bien, mais en même temps je le déteste. C’est mon papa qui devrait être ici. Est-ce que j’ai le droit de bien aimer Jean ? Je ne veux pas oublier Papa. » Ambivalent envers cet homme qui vient emménager chez eux, le petit garçon se demande si sa mère a oublié son père. C’est en parlant avec elle et en se rendant tous deux au cimetière, accompagné ; s de Jean, que le petit garçon va pouvoir avancer et s’autoriser à accepter l’amoureux de sa mère.
* Les causes de la mort
La mort en littérature jeunesse est liée au vieillissement, à la maladie, aux accidents,... [3]. Elle peut être racontée de manière très explicite ou représentée de façon imagée. Dans Lundi [17], le temps qui passe apparaît sous la forme des quatre saisons. Quand vient l’hiver, Lundi le pingouin, personnage principal, disparaît sous la neige. Succède alors aux pages colorées du livre une page blanche où seule demeure une trace tactile, illustration en relief qui laisse deviner la présence de Lundi sous la grande étendue de neige. Le texte, très poétique, disparaît lui aussi peu à peu pour laisser place à l’image qui parle d’elle-même.
* Le deuil, l’absence, le manque
La littérature jeunesse évoque également le manque, l’absence de l’autre, autrement que par la mort physique. [17] ; [19] Où que tu sois [19], ouvrage destiné aux adolescents, traite de la disparition. Mélanie a 19 ans lorsqu’elle disparaît du jour au lendemain. Trois ans après cette disparition, sa sœur Sara âgée de 17 ans tient un journal dans lequel elle transcrit ses sentiments et ses réflexions liés à cet évènement. Ce journal est aussi le moyen pour elle de s’adresser à sa sœur et de lui faire part de la difficulté d’être « la sœur qui est restée ». Ici, pas de retrouvailles joyeuses ou de découverte de corps mort, le mystère reste entier quant à la disparition de Mélanie. Il est question ici du manque et de la souffrance face au vide laissé par sa sœur.
* Le souvenir
Autre thème fréquemment évoqué, celui du souvenir. [1] ; [23] ; [25] Très affectés par la mort de leur ami Richard Renard, Léopold Loutre, Tanguy Taupe et Lisa Lièvre s’enferment dans leur chagrin. Ils ressassent leurs souvenirs dans lesquels Richard Renard est idéalisé. « [...] Chaque fois que j’avais un souci, il me donnait un bon conseil », « Il était si intelligent... », « Il était si gentil et aimant... » L’arrivée d’Enora Ecureuil va les aider à sortir de cet état. En rappelant à ses amis que Richard Renard avait aussi des défauts - « Richard était un horrible cuisinier », « C’était aussi un horrible bricoleur »...-, Enora va réussir par le rire à leur faire dépasser cette image idéalisée et ainsi à sortir du deuil [24, n.p]. « Le besoin d’une figure de référence ou d’identification est si fort que les enfants de cet âge voueront parfois un culte au parent décédé, idéalisant et valorisant à l’extrême tout ce qui lui est rattaché, et dévalorisant le parent vivant. Ce comportement, qui n’est pas rare non plus à l’adolescence et peut se révéler pénible à supporter pour le parent vivant, se dissipera au fur et à mesure que l’enfant intégrera sa perte, c’est-à-dire lorsqu’il commencera à investir affectivement sur d’autres personnes que le parent décédé. » [11, p. 191] Recommencer à s’investir dans des activités, en souvenir de Richard Renard, permet à ses amis de recommencer à vivre.
Pour conclure…
Si la mort n’est pas un sujet dont on parle, elle inspire quoiqu’il en soit de nombreux auteurs en littérature jeunesse [3]. La fiction à elle seule aborde plusieurs thèm ; es tous en lien avec la mort : la maladie grave, le manque, le deuil,…Les moyens existent pour parler de la mort aux plus jeunes, n’hésitons donc pas à aller puiser dans cette manne les mots pour dire l’indicible.
Références bibliographiques
1. Adieu, Monsieur Câlin / NILSSON, Ulf ; TIDHOLM, Anna-Clara. - Paris : Oskar Jeunesse, 2007, [44 p.]
2. Au revoir, papa / JADOUL, Emile ; EECKHOUT Emmanuelle. - L’Ecole des Loisirs Pastel, 2006, 24 p. (Pastel)
3. Bibliographie sélective de littérature jeunesse à propos de la maladie grave, de la mort et du deuil / JOLIVET, Elisabeth. - www.croix-saint-simon.org/IMG/pdf/Littjeunessemortdeuiloct2008-2.pdf, mars 2009
4. Comment dire l’indicible / Guy HERVE . – TDC, 2002, 843, p.7-17
5. Evolution de l’idée de deuil chez l’enfant / Line PETIT. - in : Cahiers de la puéricultrice, dossier spécial « L’enfant face à la mort », 2002, 158, p.14-15
6. Fonction de l’idée de mort dans le développement de l’enfant / ALBY, Nicole . – Congrès de la Société d’études Thanatologiques de Suisse Romande. Martigny,1992, n.p.
7. L’enfant et la mort, ses conceptions de la mort / Michel HANUS. – IIIème Congrès de Vivre son deuil, « Les deuils dans l’enfance ». Lausanne, 1997, p. 5-12
8. L’enfant face à la mort / ROMANO, Hélène . – ETUDES SUR LA MORT, 2007, n°131, 95-114
9. La caresse du papillon / VOLTZ, Christian ; HESS, Jean-Louis.Rodez Editions du Rouergue, 2005, [40 p.]
10. La mise à distance de la mort et ses répercussions sur les interrelations familiales autour des malades / PILLOT, Janine . - JALMALV, Jusqu’à la mort accompagner la vie, 03/2002, 68, p.25-29
11. La mort : condition de la vie / GENDRON, Colette ; CARRIER, Micheline. Ste Foy. – Presses de l’université du Québec, 1997, 512 p.
12. La mort pour de faux et la mort pour de vrai / CASTRO, Dana. – Albin Michel, 2000. – 202 p. -(Questions de parents)
13. La petite fille et l’arbre aux corneilles / JALONEN, Riitta ; LOUHI, Kristiina.Paris Oskar Jeunesse, 2007, 45 p.
14. Le déni de la mort / BOULANGER, Jean-Charles . – JALMALV, Jusqu’à la mort accompagner la vie, 03/2002, 68, p.9-10
14. Le voile noir / DUPEREY, Annie.- Editions du Seuil, 1992, 235 p.
15. Les oubliés de l’histoire de la maladie : les frères et sœurs / HUMBERT, Nago. – Etudes sur la mort, 1999, n°115, p.13-15
16. Lundi / HERBAUTS, Anne. Paris Casterman, 2004, [40 p.]
17. On me cache quelque chose / FLORIAN, Mélanie. – Bruxelles : 2007, 26 p. – (Alice Jeunesse)
18. Où que tu sois / FRENCH, Jackie. – Flammarion : 2005, 273 p. (Tribal)
19. Parents : comment parler de la mort avec votre enfant ? / OPPENHEIM, Daniel. – De Boeck : 2007, 168 p. – (Parentalités)
20. Parler de la mort aux enfants / HOLLEAUX, Alice . – IIIème Congrès de Vivre son deuil, « Les deuils dans l’enfance ». Lausanne, 1997, p.43-47
21. Pas demain la veille / LEON, Christophe. Paris Editions Thierry Magnier, 2007, 112 p.
22. Petite plume / AERTSSEN, Kristien. – L’Ecole des loisirs/Pastel : 2007, 26 p.
23. Pour toujours et à jamais / DURANT, Alain. – Hachette : 2004, 24 p.
24. Sors de ta chambre / REYSSET, Karine. - L’Ecole des loisirs/Pastel : 2007, 102 p. (Medium)
25. ; Une lecture de la mort dans la littérature de jeunesse contemporaine : un mot pour l’absence / PORCAR, Marie-Hélène ; GLAUDES, Pierre (dir.).- Thèse de Littérature, Toulouse, 1997. - 407 p.
26. Une mort en quête d’identité / BADETS, Véronique. – Croire aujourd’hui, 03/2002, 1, p.6-8
27. Vers une nouvelle approche de la mort : évolution des comportements à l’aube du XXIème siècle / PFG, Pompes funèbres générales. Versailles, 1998
Février 2009
Régine de Carville,
Documentaliste,
Centre de ressources national soins palliatifs François-Xavier Bagnoud,
Il servira de base à la réflexion/action et à l’élaboration de repères pour la pratique des soignants de l’HAD Croix Saint-Simon Unité François-Xavier Bagnoud au moment du décès.
« Laver les défunts ne répond pas seulement aux exigences de l’hygiène et de la convenance ; cela revient, au regard de l’imaginaire, à éliminer la saleté de la mort. Les rituels religieux ont pris en compte cette symbolique de la purification et confèrent à la toilette funéraire une porte sacrée : elle conditionne le destin de l’âme du défunt »
Louis Vincent Thomas
Dans la littérature, peu de documents sont consacrés à la toilette mortuaire à domicile et à la place de la famille. Cela reflète la tendance actuelle où la majorité des personnes, en France, meurt à l’hôpital. En milieu hospitalier, la pratique de la toilette mortuaire fait souvent l’objet d’un protocole. Au domicile, des usages communs existent, cependant elle s’invente avec l’aide de tous les acteurs, famille, soignants et bénévoles.
Au domicile certaines questions prennent de l’importance : Qui est présent lors du décès ? Qui constate le décès ? Qui ferme les yeux du défunt ? La toilette mortuaire doit-elle être faite immédiatement ou attend-on ? Les proches peuvent-ils et/ou veulent-ils participer à ce soin ? Quels rituels doivent être respectés ? Et par qui ? Faut-il habiller le défunt avec des vêtements particuliers ? Qui les choisira ? Où le mort séjourne-t-il ? [MAUS-BIELDERS, 8]. Toutes ces questions doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie.
La toilette mortuaire au domicile n’est pas et ne devrait pas être une copie du soin qui se pratique à l’hôpital même si certains gestes restent les mêmes. [VITRY, 16]
I- Le patient
Traditionnellement, la toilette confère une apparence de dignité au défunt et le prépare à un passage vers un ailleurs dont les interprétations varient selon les cultures. Cette toilette est utile tant pour les morts que pour les vivants. La mort est un événement naturel qui conditionne l’entrée dans un nouveau statut. D’une manière générale, quelle que soit la culture ou la religion, la mort d’un homme atteint la communauté. Les rituels aident à se protéger contre la peur de la mort, et délimitent la frontière entre le monde des morts et celui des vivants.
A- Le sens d’un soin singulier
Durant la toilette, le soignant, en manipulant le corps, met à jour la compréhension qu’il avait de son patient, les gestes symboliques qu’il effectue respectent la singularité de cet être humain. C’est un investissement qui implique le soignant bien au-delà de son rôle professionnel. Au domicile, cela suppose une très bonne organisation car le soignant qui sera appelé (la nuit par exemple) n’a peut être jamais vu ce patient. La communication entre soignants et avec les proches semble donc indispensable.
La toilette mortuaire est un soin s’inscrivant la plupart du temps dans la continuité de la prise en charge d’un patient que l’on a accompagné. C’est un moment intense sur le plan émotionnel, c’est comme toucher concrètement la mort. Ce dernier soin signe le décès mais la personne est bien là, on la voit, on la touche, il s’inscrit dans la continuité de la relation physique. Ce soin permet de terminer une histoire, de rendre un dernier hommage à cette personne, c’est la dernière chose que le soignant peut encore faire pour ce malade.
Le fait de mourir à domicile suppose l’existence d’une solidarité sociale autour de la mort, comme cela se pratiquait autrefois, le soignant est entouré par les proches.
Le soin mortuaire place le soignant dans une nouvelle dimension, ni préventive, ni curative, il demande une connaissance profonde et globale du patient. Le soignant effectue des gestes symboliques pour lui et pour les proches qui doivent garantir la particularité de cet être humain. Le visage doit être reconnaissable et ressemblant. A ce moment il semble important que le soignant ait eu suffisamment de relation avec la personne de son vivant. Le temps de la toilette mortuaire semble être ce temps de prise de conscience où le soignant est en contact avec la mort, non plus sous forme symbolique, mais matérialisée ; cela peut aussi être un moment pour faire le bilan sur sa relation avec la personne.
La toilette est effectuée après la constatation du décès faite par un médecin (au domicile, la nuit, les médecins ne peuvent pas toujours se déplacer, il peut arriver que l’infirmière prenne cette initiative) sinon, elle n’est pas effectuée tout de suite ou ne doit pas l’être si le médecin considère que la mort n’est pas naturelle (homicide volontaire ou involontaire, suicide...).
En institution, la toilette est généralement faite par au minimum, deux personnes : une infirmière et une aide-soignante (au domicile, ce dispositif est rare, le plus souvent, l’infirmière présente se charge seule de ce dernier soin). Dans ce contexte, il est préférable que le soignant propose systématiquement aux proches de participer au soin et il n’est pas rare que les membres les plus proches du patient participent ou assistent à la toilette.
Il peut arriver que le patient émette des souhaits avant de mourir et demande à ce que son corps ne soit pas exhibé nu par exemple. Bien que le corps soit inanimé, il est encore le sien.
A ce stade, il semble important de s’intéresser plus spécialement à la toilette mortuaire, car ce travail se centre sur ce qui se déroule pendant cet acte.
B-Les étapes de la toilette
Il n’existe pas dans la littérature de techniques strictement applicables sur le terrain. Voici un récapitulatif de ce qui se pratique le plus souvent et qui pourrait servir d’appui pour l’élaboration d’une procédure commune.
Au domicile, le patient est généralement installé dans son lit. Le soignant utilise, en institution, des instruments stériles (tablier plastique, gants, bassine, gant de toilette, savon, serviette, coton, bandes....) ce qui n’est pas toujours le cas au domicile puisqu’il peut aussi utiliser les effets personnels du patient.
Tout d’abord, il est habituel de redonner une apparence agréable au corps du patient en réduisant la posture agonique et en repositionnant le corps.
Il apparaît que les orthèses et prothèses ainsi que tout le matériel invasif sont retirés, nettoyés ou jetés, les bijoux sont enlevés et pris en compte dans l’inventaire (ils peuvent être confiés directement à un proche). L’ablation du pacemaker est obligatoire et doit être faite par un médecin.
Concernant des actes très techniques, il est écrit que les orifices naturels sont généralement obstrués à l’aide de cotons cardés sous forme de mèche et profondément enfouis. Des pansements étanches sont posés en cas de présence de plaies.
Le corps est le plus souvent dévêtu mais cela peut varier selon les situations et les souhaits énoncés du patient (un patient peut ne jamais avoir été lavé de cette manière, il s’agit de respecter ses habitudes et de ne rien lui imposer qu’il n’aurait pas souhaité de son vivant).
La toilette est d’ordinaire effectuée en commençant par le haut du corps et se termine par les extrémités inférieures. Le visage est nettoyé, un collyre peut être injecté dans les yeux, les paupières sont maintenues closes à l’aide d’une très fine boulette de coton placée dessous et non avec un stéristrip comme cela se pratiquait. Les prothèses dentaires sont généralement laissées en place. La bouche peut être maintenue fermée à l’aide d’une mentonnière en attendant que se produise la raideur cadavérique et non avec une bande qui laisse des traces sur la peau. Cette technique qui est visuellement assez violente pour les proches, peut être également remplacée par une serviette roulée sous le menton du défunt.
Les cheveux sont coiffés selon les habitudes du patient (si celui-ci avait une raie, il est peut être important de respecter son sens) enfin, le visage est rasé et maquillé si souhaité ou possible selon les différents rites.
Le corps est ensuite habillé avec les vêtements proposés par les proches le plus souvent mais il existe de nombreuses variations culturelles et certaines possèdent un vêtement ou drap traditionnel de rigueur par exemple.
La posture du corps et la position des bras est adaptée à la demande de la famille selon ses rites et coutumes. Certains soignants proposent de présenter le corps avec la tête surélevée afin de ne pas déformer le visage.
Pour finir, il est important de baisser la température de la chambre et de faire en sorte que tout soit en ordre pour présenter le corps à la famille.
Il apparaît que l’approche du corps du bébé soit spécifique. Une majorité des parents souhaitent le toucher, le prendre dans leurs bras, participer à la dernière toilette (non dans les gestes techniques) et l’habiller afin de pouvoir s’occuper de lui une dernière fois. Pendant les soins, les soignants peuvent aider les parents à retrouver du lien avec l’enfant en les invitant à lui parler, lui dire au revoir, lui chanter un chanson, lui couper une mèche de cheveux et prendre une photo.....Cependant, très peu d’enfants meurent à domicile.
II. La place de la famille lors de la toilette mortuaire
A- Evolution de l’image du défunt
Dans la société traditionnelle existait « une éducation à la mort » : les enfants allaient aux veillées funèbres et aux enterrements. Le contact avec le mourant et le mort ne suscitait pas de répulsion. Les rites qui accompagnaient ce passage dans la mort avaient pour but de symboliser le nouveau statut du défunt et de permettre ainsi aux proches de commencer leur travail de deuil.
Auparavant, c’était la matrone qui avait la charge de faire la toilette du mort au domicile, premier des rituels. Maintenant c’est souvent à l’infirmière qu’incombe ce rôle mais à la différence de la matrone, l’infirmière est une professionnelle. Elle peut accomplir certains gestes mais doit laisser la famille s’exprimer à travers ses rites propres même s’ils lui paraissent étranges [LOUX , 7]. Il s’agit là d’un temps de partage entre les soignants et les proches.
En effet, dans notre société contemporaine, les personnes peuvent avoir vu plusieurs morts virtuelles à la télévision, au cinéma mais n’en avoir jamais fait l’expérience concrète surtout avec quelqu’un de proche [ABRY, 1]. Pour certains membres de la famille, c’est la première fois qu’ils voient un mort, la mort ayant cessé d’être un événement public [DECAILLET, 2]. Le tabou suppose qu’on ne s’y prépare plus et qu’on ne sait pas ce que voulait le défunt du fait qu’il est devenu extrêmement difficile de parler avec le malade de sa propre mort [SANZ-ORTIZ, VEGA-VILLEGAS, RIVERA, 11].
En général, lors du décès, une personne de la famille appelle l’infirmière pour qu’elle vienne confirmer la mort du proche (« pourriez-vous venir ? je crois qu’il est mort… »). Parfois, le soignant est présent lorsque le malade décède. L’annonce à la famille est toujours un moment difficile [ ERNOULT, WARREN, DEROUAL, LE COGUIC, 4].
Par sa présence, le soignant remet de l’ordre avec les gestes du quotidien, met le corps dans une position proche de celle que le patient avait de son vivant, rend le corps reconnaissable pour ses proches.
Il est important pour les proches de garder une image de la personne telle qu’elle était de son vivant [ERNOULT, WARREN, DEROUAL, LE COGUIC, 4] [DEROUAL, 15] [LAULAN, 6] [ROUSSEAU, 10] [Toilette mortuaire, 13] [DECAILLET, 2].
Il n’est pas nécessaire de se précipiter dans le faire. La famille a souvent besoin de temps avant que l’on procède à la toilette du défunt.
B- Implication de la famille dans ce dernier soin
Avant tout, lors de ce dernier soin, il s’agit de respecter la personne morte. La question primordiale sera de laisser une place à la famille dans cet acte qu’est la toilette mortuaire ; sans toutefois qu’elle se sente obligée à faire certains gestes. Il est important que la famille ait le choix. Il faut lui laisser le temps de ce choix. Certains proches peuvent vouloir être simplement présents lors cette dernière toilette ; d’autres voudront participer de manière plus active ; d’autres encore, préfèreront venir une fois le soin terminé ; d’autres, dans le respect de leurs convictions religieuses, souhaiteront que la toilette soit réalisée par une personne précise (dans ce cas le soignant n’intervient pas) [ABRY,1] [DEROUAL, 15] [ERNOULT, WARREN, DEROUAL, LE COGUIC, 4].
Participer à ce dernier soin peut être un moyen pour la famille de prendre conscience de la mort de son proche et de s’acquitter d’une certaine dette envers lui. En particulier, les enfants sont redevables de beaucoup de choses à leurs parents et faire leur dernière toilette peut constituer, dans certains cas, une forme de reconnaissance [MAUS-BIELDERS, 8].
Lors de la toilette, le respect des choix, cultures et croyances de la famille prend tout son sens.
Le rituel attaché à la toilette mortuaire varie selon les religions [Toilette mortuaire, 13]. Le défunt peut être installé dans une position particulière (bras, mains) [TERRAT, 12]. Chez les musulmans par exemple, la toilette peut être réalisée par un coreligionnaire ou un membre de la famille, des phrases rituelles sont prononcées. Chez les orthodoxes, il arrive que l’on pose un papier blanc sur le front du défunt à la fin de la toilette mortuaire [ROUSSEAU, 10].
Concernant les vêtements, soit le défunt est vêtu d’habits traditionnels (drap chez les juifs par exemple), soit il avait choisi une tenue de son vivant, soit les proches vont choisir des habits qu’ils jugent porteurs de sens. Ce choix des habits est un moment chargé d’émotions et de souvenirs. C’est également un temps d’échange entre les proches sur la personnalité du défunt (une jeune fille demande à ce qu’on mette à son père une chemise bleue qu’il aimait beaucoup. Une autre fille souhaite qu’on revête son père d’un pyjama, tenue dans laquelle elle l’a vu les derniers jours) [ERNOULT, WARREN, DEROUAL, LE COGUIC, 4] [HIRSCH, JOUSSET, 5] [MAUS-BIELDERS, 8]. C’est une manière d’accompagner le défunt, de le rendre beau, de lui rendre hommage, encore.
La famille peut aussi préférer, par pudeur et respect pour le mort, que la toilette soit réalisée par les personnes qui s’occupaient de lui de son vivant [MAUS-BIELDERS, 8] et connaissaient ses habitudes. Ainsi, ces personnes sauront quelle crème utiliser, quel parfum, quelle coiffure…Couper les ongles, faire un shampooing, remettre le dentier pour garder la forme du visage, les lunettes, l’appareil auditif,… Autant de gestes qui restaurent l’image du défunt et permettent aux proches de reconnaître la personne qu’ils ont connus. [ERNOULT, WARREN, DEROUAL, LE COGUIC, 4] [Toilette mortuaire, 13]
Ainsi, la toilette du défunt sert autant aux morts qu’aux vivants. Elle est une des premières étapes du processus de deuil [DEROUAL, 3] [ROUSSEAU, 10].
C- Soutien de la famille par les soignants
Au sujet des démarches après la mort, il s’agit d’attendre les demandes de la famille, en prenant soin de laisser la porte ouverte aux questions, de montrer que le soignant est prêt à y répondre [DEROUAL, 15].
Parfois, le malade peut avoir préparé l’après (testament, obsèques, notaire) sans en informer sa famille ce qui crée un choc. Certains ont tout organisé ensemble et ont déjà envisagé avec les pompes funèbres ce qu’ils désiraient. D’autres, au contraire, n’ont rien prévu et sont en plein désarroi. Les soignants peuvent alors laisser des informations utiles pour leur permettre de se tourner vers les professionnels adéquats [ERNOULT, WARREN, DEROUAL, LE COGUIC, 4].
Les soignants peuvent choisir d’assister aux funérailles des défunts. C’est l’occasion pour les familles et les professionnels de se séparer et de clore la relation. Pour l’entourage, cette présence du soignant lors des obsèques permet d’avoir un témoin du décès de leur proche. Cela constitue un lien important entre la famille et les soignants qui ont suivi leur parent. D’autres fois, les soignants ne peuvent pas ou ne désirent pas se rendre aux obsèques mais vont faire parvenir un bouquet ou une petite lettre pour marquer leur présence.
Après le décès, certaines familles ne souhaitent plus rencontrer l’équipe qui s’est occupée de leur proche, d’autres au contraire veulent absolument la revoir. Certains services ont pour habitude d’envoyer un courrier à l’entourage pour offrir la possibilité d’une rencontre avec les soignants et/ou les bénévoles qui avaient suivi le malade ou proposer des lieux d’accompagnement du deuil où les familles seront prises en charge par d’autres professionnels (ces adresses peuvent être aussi données directement à l’entourage par les soignants lorsque celui-ci en fait la demande). Cette lettre est souvent écrite soit dans un temps proche du décès (dans la semaine) ou à l’occasion d’une date anniversaire. Cela nécessite une organisation rigoureuse de la part de l’équipe de soins.
Lors de ces rencontres, les membres de la famille peuvent revenir sur un vécu commun avec les soignants, se rappeler des souvenirs, évoquer leur vécu durant la maladie.
Il est important pour les soignants de garder une juste distance en fonction de leur ressenti. Il n’est pas forcément évident de continuer à s’impliquer avec une famille dont le proche est décédé et en même temps s’engager auprès de nouvelles. « Chacun doit apprendre à défaire les liens » [DEROUAL, 3].
III. Le soignant
A- Terminer la relation.
Une enquête sur la toilette mortuaire à domicile [HIRSCH, JOUSSET, 5] révèle que ce qui est perçu comme positif ou satisfaisant, dans le vécu des soignants, concerne, notamment, la notion d’adieu. Pouvoir dire au revoir, se séparer de l’autre, revient à vivre ce soin comme un dernier hommage envers le patient qu’on a accompagné jusqu’à la fin. Le sondage relève l’importance pour les soignants de l’HAD interrogés d’avoir étés présents jusqu’au bout ; la toilette étant l’ultime étape d’une histoire commune. Il est très important aussi, pour eux, d’avoir pu aider et soutenir le projet du patient en lui permettant de mourir chez lui. Le soutien à la famille a, lui aussi, son importance : l’aider et la réconforter, renforcer les liens avec elle, pouvoir l’aider à travers la toilette et dans le début de son chemin de deuil. Pour finir, il semble essentiel pour les soignants de pouvoir donner du sens à la toilette mortuaire qui, en sa qualité de soin ultime, marque la continuité et la fin d’un projet de soin.
Au regard de ces remarques, on s’aperçoit que les soignants sont plus spécifiquement attentifs à ce que cette toilette mortuaire vient dire d’une relation patient/soignant. Ils sont tout aussi sensibles à ce qu’elle doit apporter au patient et à son entourage qu’à la signification qu’elle peut avoir pour eux-mêmes.
Ces actes effectués au niveau du corps de la personne décédée sont certes des soins à part entière, mais, tout en s’inscrivant dans la continuité de la prise en charge ; il s’agit de clore la relation soignant-soigné qui fait suite à un engagement et à un investissement personnels.
C’est finalement l’acte technique effectué pour certains dans le silence qui montre le lien entre le patient et le soignant. Au cours de cet ultime acte de soin, les soignants peuvent revenir sur ce qu’a été cette prise en charge, l’attention étant concentrée autour des gestes.
Certains soignants hospitaliers évoquent un dialogue intérieur qui, au fil du dernier soin, se met en place et leur permet de verbaliser ce qui n’a pas pu l’être du vivant du patient.
C’est donc le moment d’exprimer, par le geste et , pour certains, par la parole, leurs sentiments à l’égard du patient ; de prendre le temps de rendre un dernier hommage en s’accordant, parfois, un temps de recueillement auprès du défunt, seul ou avec la famille. Le moment aussi de réintroduire de la parole pour certains. On peut penser à ceux qui, pendant la toilette, parlent au défunt ou chantent (en pédiatrie).
On peut parler, en quelque sorte, d’une situation d’entre-deux ; entre le soin et l’adieu.
B- Corps réel et acte symbolique.
Ce dernier hommage rendu au patient, au travers de la toilette mortuaire, prend des allures de rituel profane. Prendre soin du corps du défunt, à travers un certain nombre de gestes et de pratiques, permet, en un certain sens, de passer au plan symbolique.
Symbolique de l’adieu formulé sur un mode opératoire... Manière aussi, de lutter contre cette survenue difficile de la mort.
Un soignant peut être confronté, malgré lui, à une mort qui vient contrecarrer sa mission première, sa vocation à soigner et à accompagner le patient de son vivant.
La toilette mortuaire est, en quelque sorte, une manière de remettre du sens sur ce qui peut apparaître comme un paradoxe.
Elle va permettre, enfin, pour beaucoup de soignants, de conserver l’image du corps et de lutter contre le hiatus entre vie et mort, faciliter le passage pour permettre à chacun -soignant et famille- d’enclencher le processus de deuil.
Elle est certainement la première étape de ce processus.
En conservant l’image du corps, en en prenant soin, on peut mettre des mots et laisser doucement advenir le souvenir.
C- Confrontation à sa propre finitude.
Lorsque les soignants reviennent sur ce qui peut être vécu difficilement lors de cette dernière toilette à domicile, la première chose évoquée est tout simplement relative au contact avec la mort. Ils parlent de leur propre malaise et de diverses choses telles que : l’absence du médecin, les douleurs du patient insuffisamment calmées avant la mort, le manque d’aide et de disponibilité pour effectuer le soin et pour soutenir la famille, le fait de devoir prendre des décisions rapides. Ce qui ressort, finalement, de ces différentes considérations quant aux difficultés rencontrées, c’est un sentiment de solitude face à cette mort à la faveur de laquelle émergent les différentes insatisfactions liées aux soins apportés au patient de son vivant.
A ce titre, une majorité (60%) des soignants (infirmiers et aides-soignants du Loir-et-Cher en secteur rural, semi-rural et urbain) de l’HAD interrogée déclare avoir eu besoin de parler des difficultés rencontrées dans ces situations. Ces échanges, lorsqu’ils existent, se font principalement avec les proches des soignants (conjoint, famille), avec les collègues ou les confrères, et surtout au sein de l’équipe [HIRSCH, JOUSSET, 5].
A ce titre, on ne saurait trop rappeler l’importance que revêtent les groupes de parole au sein desquels les soignants peuvent venir déposer les problèmes rencontrés sur le terrain.
En d’autres termes, il s’agit de ne pas rester seul avec cette mort. Il s’agit aussi de pouvoir évacuer l’angoisse générée par l’image de sa propre mort. « Pour chacun de ceux qu’il fascine, le cadavre est l’image de son destin » écrit Georges Bataille, résumant ainsi l’angoisse générée pour chacun d’entre nous par la violence de l’image du corps mort.
La toilette mortuaire est aussi une manière de se défendre de cette angoisse, une manière factuelle de se rassurer et se conforter dans l’idée que lors de leur mort, leur corps aussi sera respecté.
En prenant soin de ce corps, en lui conservant son allure et son visage de vivant, on conserve l’individu dans sa communauté. Il ne devient pas un cadavre en perte d’identité. Bien au contraire, il garde sa place au milieu des siens.
Le soignant, par ce geste de soin ultime, lui donne une place et permet à l’entourage de vivre les premiers temps de la perte et du vide que génère la mort de l’être cher.
Synthèse réalisée par Séverine Cottin, Lorraine Heymes, psychologues et Marina Rennesson, documentaliste, Centre de Ressources National François-Xavier Bagnoud , décembre 2005
BIBLIOGRAPHIE
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[2] DECAILLET François. Etre infirmier aux soins intensifs ou comment faire avec la mort ?. InfoKara, vol.18 n°4, avril 2003, pages 173-176
[3] DEROUAL Agnès. L’accompagnement du deuil par les soignants. Accompagner les personnes en deuil l’expérience du centre François-Xavier Bagnoud, ERES, collection Pratiques du Champ social, 2003, pages 39 – 44
[4] ERNOULT Annick, WARREN Lucy, DEROUAL Agnès, LE COGUIC Marie. Toilette mortuaire, colloque Soins palliatifs à domicile, 2000, 6 pages.
[5] HIRSCH Godefroy , JOUSSET Jacky. Toilette mortuaire à domicile. Actes du congrès, 2000, pages 241 –245
[6] LAULAN Claire. La toilette mortuaire : un soin particulier ? Médecine palliative, vol. 4 n°2, avril 2005, pages 70-72
[7] LOUX Françoise. Traditions et soins d’aujourd’hui : anthropologie du corps et des professions de santé. 2ème édition revue et corrigée, InterEditions, 1995
[8] MAUS-BIELDERS Katinka. Le chant du corps. Journal européen de soins palliatifs, vol. 2 n°1, date, pages 25-28
[9] RICHARD Marie-Sylvie. En milieu hospitalier, respecter et aider la famille du malade comme accompagnant naturel. JALMALV, n°76, mars 2004, pages 6 – 12
[10] ROUSSEAU Françoise. La toilette mortuaire à l’hôpital. InfoKara, n°59, mars 2000, pages 28 –36
[11] SANZ-ORTIZ Jaime, VEGA-VILLEGAS Ma Eugenia, RIVERA Fernando. Considération philosophique des attitudes envers la mort. Journal européen de soins palliatifs, vol.12 n°5, 2005, pages 215-217
[12] TERRAT Evelyne. La toilette mortuaire. L’aide-soignante, n°57, mai 2004, pages 25-26
[13] Toilette mortuaire. L’infirmière et les soins palliatifs : prendre soin éthique et pratiques, 3 édition, Masson, 2005, pages 161-164
[14] Toilette mortuaire de l’adulte dans l’unité de soins. L’infirmière magazine cahier II, n°170, avril 2002, page XIII
3. Les outils d’évaluation, la prise en charge, la prévention
1. Le stress, l’épuisement professionnel, le burn out
Une psychopathologie consécutive à une situation professionnelle est signalée dans la littérature dès 1936 chez Selye (1) et 1942 chez Cannon (2). Ils utilisent le mot "stress", terme anglais déjà usité au 14éme siècle qui signifie épreuve, affliction puis pression, contrainte.
Le stress est un syndrome général d’adaptation affectant les infirmières confrontées à la souffrance, à la maladie grave, à la mort qui les considèrent comme des agressions, des pressions et développent ce qu’on nomme le "stress des infirmières" (Pronost, 3- n°spécial 79, JALMALV ,4).
L’épuisement professionnel est massivement pris en compte dès les années 70 aux Etats-Unis, et dès 1959, en France, par Claude Veil (5), psychiatre, qui constate dans une consultation de psychiatrie du travail " des cas déconcertants qui n’entrent pas dans la nosographie classique ", et que face à ces cas "le concept d’épuisement se révèle un bon outil intellectuel". Ces états d’épuisement sont le plus souvent remarqués parmi les professionnels travaillant dans le cadre d’une relation à l’autre, ainsi parmi les soignants. En 1970, Herbert Freunberger (6), psychiatre anglais, introduit le notion de burn out en rapportant les difficultés rencontrées dans de nouvelles structures de prise en charge : les free clinics, où les intervenants en toxicomanie doivent montrer une extrême disponibilité, entraînant une pression plus grande. Freunberger constate que " ces gens sont parfois victimes d’incendie tout comme les immeubles ; sous l’effet de la tension produite par notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte."
Goldenberg (7) reprend cette image : " le burn out syndrom est l’idée que le soignant est usé jusqu’à la trame, véritablement consumé par son travail. Ce syndrome est une sorte de dépression nerveuse, qui trouve sa source dans le stress du travail mais s’alimente de la réactivation des problèmes personnels." Canoui (8) précise la métaphore : ce terme est emprunté à l’industrie aérospatiale : burn out désigne " la situation d’une fusée dont l’épuisement de carburant a pour résultante la surchauffe et le risque de bris de la machine". Le burn out professionnel toucherait plutôt des "individus-fusées" hyperactifs voire hypermaniaques, si rigoureux pour eux-mêmes et exigeants dans leur obligation de résultats qu’ils épuiseraient leur énergie jusqu’à exploser ("craquer") telles des machines. "L’épuisement professionnel est une maladie de l’âme en deuil de son idéal". Freunberger (6).
Si aux Etats-Unis, cet épuisement est d’abord regardé comme un phénomène socio-économique, la dimension psychologique induite est rapidement explorée. Aussi "le burn out apparaît comme un syndrome multi-factoriel et pluri-dimensionnel " qui, issu d’un dysfonctionnement d’une organisation du travail présente des signes cliniques.
La complexité du syndrome est soulignée par Canoui (8). Il constate que plusieurs "risques de confusion" entourent la notion de burn out et la menace de "faiblesse épistémologique". Canoui (8) identifie trois principaux risques épistémologiques : ; faire de l’épuisement professionnel un "fourre-tout commode dans lequel viendront prendre place toutes les revendications professionnelles ou corporatistes" ; ; "méconnaître les réelles pathologies psychiatriques [….] qui prendraient le masque d’un burn out ; ; "en faire une maladie professionnelle ouvrant droit à une reconnaissance sociale et des compensations financières".
Canoui ( 8 et 9) brosse les symptômes cliniques du burn out en précisant qu’ils ne sont pas des symptômes propres à cet état, qu’ils soient d’ordre somatiques : fatigue, céphalées, troubles du sommeil ; ou d’ordre comportementaux : irritabilité, méfiance, attitudes cyniques... Pour Canoui (8), "le syndrome d’épuisement professionnel des soignants (SEPS) est d’abord une pathologie de la relation " et il développe que "le syndrome d’épuisement professionnel pose le problème éthique de la relation d’aide.. Quelle distance établir pour apporter l’aide tout en étant respectueux de la personne et ne pas se consumer soi-même ?" Ainsi le syndrome d’épuisement professionnel des soignants apparaît à la frontière des champs psychopathologique, social et professionnel (Mauranges, 10), dans l’interaction de l’intime et du public, dans l’interstice d’une relation.
2. La spécificité du syndrome face à la mort
Lert (11) rappelle que le rapport des professionnels de santé à la fin de vie a fait l’objet de peu de "travaux sociologiques et qu’ils sont à la fois anciens et paradoxalement peu nombreux".
Vachon (12) constate que "le stress et le burn out existent en soins palliatifs mais qu’ils ne sont pas aussi prévalants que dans les autres spécialités. C’est sans doute parce qu’on les a mis rapidement en évidence et que des systèmes de soutien ont été incorporés aux programmes de soins palliatifs." Ainsi un décalage aurait eu lieu entre la prise en considération du stress des soignants face à la fin de vie et sa prise en compte immédiate dans les programmes de soins palliatifs.
Le regard sociologique sur la profession soignante confrontée à la fin de vie Anselm Strauss en 1965 (13), dans le cadre de la sociologie interactionniste de l’Université de Chicago, s’intéresse à la relation du malade en fin de vie au personnel hospitalier et à son impact sur les pratiques professionnelles.
Lert (11) rappelle que la notion de trajectoire, chez Strauss, "est plus large que celle de cours de la maladie... Elle permet d’intégrer le cours de la maladie, [mais aussi] les acteurs - patient, professionnels et proches - les organisations, les activités et surtout les articulations que constituent les relations, les interactions et les décisions". Strauss (13) identifie dans la trajectoire du mourir des contextes de conscience différents dont celles de : ; "conscience fermée" où le patient ne s’aperçoit pas de sa mort imminente même si tout le monde le sait ; ; "conscience présumée" : le patient soupçonne ce que les autres savent et donc s’efforce de confirmer ou d’écarter son soupçon ; ; "conscience ouverte" : le patient et l’équipe médicale savent la mort proche.
Ces contextes entraînent des comportements soignants différents et de nécessaires négociations entre les acteurs. Si Strauss n’induit pas de cette réflexion la notion de burn out, il introduit un environnement théorique pour penser la mort du côté des soignants, sur leurs représentations et sur l’impact de celles-ci dans la possible désorganisation qui peut être améliorée par la "négociation" dans la relation soignant-soigné.
Le regard psychosociologique et ergonomique de l’organisation du travail
Dans le cadre d’autres travaux autour de l’organisation du travail, un laboratoire de recherche a mené une étude sur "les soignants et la mort", remise en 1989, aux alentours de la publication de la circulaire Laroque, sur l’accompagnement des mourants (14) qui préconisait "que la mission des soignants est de mettre en œuvre tous les moyens existants pour soigner et accompagner leurs malades jusqu’à la fin de leur vie."
Pillot (15) constate que "les soignants sont en première ligne". Ces propos en appellent d’autres : " Des infirmières "brûlent" " (Jacquemin, Romiguière,16).
La recherche sur les soignants et la mort de Villatte, Logeay, Mabit, Pichenot (17) est issue d’une demande syndicale de formation à l’analyse de la charge psychique du personnel soignant confronté aux mourants. Les propositions de construction de formations s’appuient sur l’analyse des paroles de soignants recueillies par les chercheurs. Les soignants expriment "la souffrance qu’occasionne la survenue de la mort dans les services hospitaliers, souffrance qui renvoie à l’échec et à la culpabilité. Elle trouve son expression dans le langage, dans des voies de décharge physiques ou psychosensorielles, mais aussi dans des défenses telles les conduites d’évitement des mourants, qui sont aussi fâcheuses pour les mourants que pour les soignants eux-mêmes". Les positions de Strauss et Villatte n’énoncent pas explicitement le burn out car le burn out semble être "un terme créé par des soignants pour des soignants" (Canoui, 8).
Le regard des soignants.
Ainsi la littérature, en revanche, propose des études spécifiquement orientées sur l’épuisement de certaines catégories de soignants et dans certaines spécialités. Elles sont menées par des soignants.
Coulon, Filbet,(18) regardent le syndrome du burn out chez les médecins en soins palliatifs. Les auteurs distinguent les phénomènes d’épuisement des médecins en soins palliatifs et les médecins d’autres disciplines.
Par exemple, la première cause de décès, chez les médecins de moins de 4O ans , toutes disciplines confondues, est le suicide.
Dans le Bulletin de la Fédération JALMALV de 1988 (19), différentes professions témoignent de la particularité de leur souffrance : un médecin René Schaerer (19, p.20-21), un aide-soignant Benoît Deschamps (19, p.22-29), un agent de services hospitaliers, Patrick Rossi (19. 30-32). Plus le soignant est physiquement proche du malade - l’agent hospitalier fait le ménage, l’aide-soignant, la toilette - moins il se sent formé, décisionnaire, plus il exprime sa souffrance. Le médecin rapporte que, bien sûr, il se sent parfois en position d’échec mais qu’il demeure extrêmement gratifié par la relation privilégiée qu’il a avec le patient.
Canoui (8) précise que c’est "en abordant la souffrance de l’enfant atteint de maladie grave ou chronique et de sa famille en réanimation et en pédiatrie, qu’il a été amené à considérer celle des soignants". Duvert-Matsushita (20) insiste sur les facteurs de stress face à la charge mentale et physique que représente le contexte de l’enfant gravement malade. L’organisation du travail nécessaire pour le meilleur soin : 12 heures consécutives pour privilégier une meilleure planification des soins, travail sous table radiante qui entraîne une température ambiante très élevée, intensité sonore accrue puisque 2O types de sonneries existent pour différencier les nécessités d’interventions.
L’enquête de Pronost (21), réalisée dans le cadre de sa thèse de doctorat en psychologie, compare le burn out chez les infirmières en soins palliatifs et les infirmières en soins curatifs, puis celui des infirmières en soins palliatifs formées et celles non formées. Les résultats montrent que, bien que la mort des patients soient plus fréquentes, de fait, ainsi que leur dégradation physique, dans les services de soins palliatifs, elles entraînent des phénomènes moindres de burn out que chez les infirmières en soins curatifs. Le phénomène de coping - le faire-face - apparaît plus sur son versant négatif : stratégies défensives (recul, retrait,..) en soins curatifs et d’une façon plus positive en soins palliatifs. Le coping est un ensemble de stratégies d’adaptations individuelles ou collectives (Canoui, 8- Piquemal-Vieu, 22, Ethica clinica, 23).
Les stratégies d’adaptation collectives ont été développées par Dejours (26) dans une théorie de psychodynamique du travail qui regarde le rapport du professionnel et de son milieu de travail en vue d’améliorer cette relation. La notion de coping est richement illustrée dans la littérature(22-24-25)
Les deuils multiples sont générateurs de burn out (Etudes sur la mort, 27 . L’enquête menée par Goldenberg et Leboul (28) montrent que ce déni des morts répétées introduit un mécanisme de défense, le " désespoir thérapeutique", engendré par une absence de travail de deuil chez les soignants.) Ce "désespoir" produit chez 90% des sujets des troubles somatiques et psychologiques (Hurst, 29) Le témoignage et la fiction retraçant des parcours de professionnels soignants illustrent ce "désespoir" (Winckler, 30) voire les conduit à quitter le soin (Baranne, 31)
La mort à des âges spécifiques de la vie engendre un surcroît d’épuisement chez les soignants. En pédiatrie, ils sont confrontés à l’impensable de la mort d’un enfant (Bercovitz, 32- de Broca, 33, Larrat, 34). La prise en charge de la fin de vie d’une personne âgée peut entraîner un « burn out » allant jusqu’à la maltraitance ( Lefevre, 35) voire le passage à l’acte euthanasique (Malevre, 36)°
La perspective psychanalytique
Ruszniewski (37) exprime la souffrance des soignants plus en terme de "désarroi des soignants" et, face à celui-ci, décrit leurs réactions comme des mécanismes de défense qu’elle décline en mensonge, banalisation, esquive, fausse réassurance, rationalisation, dérision, évitement, fuite en avant, identification projective ; autant de manières de se protéger et d’échapper à la "conscience ouverte" que Strauss (13) avait exposé.
3. La mesure, la prise en charge, la prévention Quelques outils d’évaluation
Pour prendre en compte ce syndrome d’épuisement professionnel des soignants, des outils d’évaluation et de mesure spécifiques ont été créés. Notamment, Maslach et Jackson (38) ont conçu le MBI (Maslach Burnout Inventory) qui permet d’identifier et d’évaluer ce syndrome par trois critères :
; l’épuisement émotionnel ; ; la déshumanisation à l’autre ; ; la perte du sens de l’accomplissement de soi au travail.
L’échelle ETC (Echelle toulousaine de coping) a été proposée par le Laboratoire "Personnalisation et changements sociaux" (Pronost, 3). Elle est constituée de 34 items d’affirmations que l’infirmière s’attribuent à des degrés divers.
Le burn out measure (BM) décrit par Canoui (8) se compose de 21 échelles parmi lesquelles sont positivement connotées : "être heureux, optimiste, énergique et satisfait de sa journée" tandis que les 17 autres sont connotées négativement : "sentiment d’être pris au piège ou anxieux, fatigué et déprimé…" Les réponses s’échelonnent de 1 (jamais), à 7 (toujours).
Outil plus généraliste, le NTS, mesure du stress des infirmières, est utilisé par les sociologues de l’organisation du travail infirmier (Lert,40)
Les stratégies de prise en charge et de prévention du burn out face à la fin de vie des patients
Afin d’éviter l’apparition de l’épuisement et/ou de le minimiser, des ressources institutionnelles, professionnelles et personnelles sont recommandées. Grâce à ces ressources, à défaut d’un burn out zéro, un coping positif permet de mieux "faire face". Du fait de la spécificité des soins palliatifs où les soignants sont "naturellement confrontés à la mort, "le mouvement des soins palliatifs a beaucoup apporté à la réflexion sur la souffrance des patients" (SFAP, Collectif infirmier,45)
Des moyens de prévention
La sélection des soignants qui décident de travailler en soins palliatifs se fait d’abord par le soignant lui-même. Souvent il présente une forte motivation. Ce projet professionnel doit être mis en partenariat avec l’équipe et la structure accueillante. Ces préalables sont déjà des facteurs facilitant la diminution des risques d’un futur épuisement
Ces motivations pour choisir les soins palliatifs se traduisent i dans la littérature par la notion de hardiesse (Delmas, 41). Traduit de l’anglais « hardiness », cette « endurance » de certaines personnes se réfèrent à leurs capacités individuelles à faire face à des événements générateurs de stress ou à un environnement stressant (Maucourt, 42). Son environnement conceptuel la rapproche de notions telle que la résilience ou la cohérence (Mossard, 43).
A l’inverse, des travaux universitaires vont jusqu’à envisager un profil comportemental de personnalité de type A qui serait plus enclin à présenter le syndrome d’épuisement professionnel (Gallier Saint Sauveur, 44).
Les deuils répétés que les soignants subissent ont aussi à être pris en compte. S’ils ne sont pas "parlés", voire "ritualisés", ils sont sources de burn out. (SFAP, Collectif infirmier, 45). Un "rituel soignant" permet d’améliorer l’organisation du travail, de mieux continuer à soigner les malades toujours présents, d’anticiper les prochains deuils.
Lert (26) insiste sur la concertation qui doit permettre de rassembler les informations des divers membres de l’équipe pour éclairer les décisions et réévaluer les situations : les éléments écrits, les staffs, les transmissions, les pauses. Le moment de concertation qui semble être pour les soignants le plus important (SFAP, Collectif infirmier, 45) est la réunion pluridisciplinaire. Elle est à la fois un moment de soin puisque centré autour du patient mais aussi un moment de partage des compétences où le soignant met en commun ses savoirs, ses questions, ses résultats, ses inquiétudes.
La supervision peut être collective (ex analyses de pratiques, groupes de paroles,…) ou individuelle (psychologue, psychanalyste, infirmière formée,…) (SFAP, Collectif infirmier, 45). Définie comme une "démarche d’acquisition d’une vision globale d’une situation professionnelle" (Dufour, 46), elle permet de transformer une difficulté en un surcroît de compétences. (Rusniewski, 37) recommande de "redonner la parole" aux soignants. "Le groupe de parole est un espace qui fonctionne au sein d’un service hospitalier selon une logique non médicale... Il incite les soignants à quitter leur logique professionnelle, avec ses critères d’évaluation, sa hiérarchie et ses résultats.
La formation
La nécessité de formations initiales et continues, d’ailleurs obligatoires, (Décret 93-221 article 10 du 16 février 1993 en place de projets majeurs en particulier sur la prise en charge des malades) est affirmée par l’ensemble des auteurs (Mitaine,48) Le mouvement des soins palliatifs a permis une avancée dans la prise en compte et la prise en charge de l’épuisement professionnel des soignants face à la mort des malades. Néanmoins, les différents dispositifs nécessitent des mobilisations personnelles (cf. « hardiesse », 41), des compétences professionnelles et des volontés institutionnelles.
La démarche palliative
Elle consiste à « asseoir et développer les soins palliatifs dans tous les services et (à domicile) en facilitant la prise en charge des patients en fin de vie et de leurs proches par la mise en place d’une dynamique participative prenant en compte la difficulté des soignants » (Circulaire ministérielle, 49).
Cette démarche participative peut s’appliquer au sein « d’une unité de soins palliatifs, au domicile mais aussi dans le monde de la santé en général, dans le monde de l’entreprise, au monde politique ou associatif »(Colombat, 50). Elle est présentée comme une solution à la souffrance des soignants (Colombat, 51) puisqu’elle combine la formation, le projet d’équipe y compris avec les bénévoles, la création d’espaces de paroles et l’utilisation de ressources extérieures (EMSP, USP, experts en soins palliatifs, en douleur,…).
En guise de conclusion
Toute cette dynamique ayant pour objectifs d’améliorer la qualité de la vie au travail des soignants : de consolider la relation soignant-soigné, enfin d’offrir le soin le meilleur possible à celui qui va mourir. Et finalement, comme le rappelle, Emmanuel Hirsch (52), il est nécessaire plutôt que « de parler de distance ou de limites,…[de parler] …de répères : à quel type de valeurs individuelles et collectives, de principes renvoient le soins et l’accompagnement de fin de vie …. »
Dominique Serrÿn, Documentaliste, Centre de ressources national François-Xavier Bagnoud
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* 23. La souffrance des médecins et des soignants. – Ethica clinica, 2004, 35
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* 26. DEJOURS, C. - Travail ; usure mentale : de la psychopathologie à la psychodynamique du travail. Paris : Bayard, 1993
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* 30. WINCKLER, Martin - La maladie de Sachs. Paris : POL, 1998
* 31. BARANNE, Françoise - Le couloir : une infirmière au pays du sida. Folio actuel, 1994
* 32. BERKOVITZ, Alain (sous la dir.) – Autour de l’enfant en fin de vie. –Editions ENSP, 2004
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* 41. DELMAS, Philippe, DUQUETTE, André. – Hardiesse, stratégie de coping et qualité de vie au travail d’infirmières en réanimation. Recherche en soins infirmiers, 2000, 60
* 42. MAUCOURT, Fréderic, GATEPAILLE, Françoise,.-La hardiesse : un facteur influençant l’épanouissement des professionnels de santé exerçant en soins palliatifs. Angers, 2003. Diplôme de cadre de santé
* 43. MOSSARD, Maryse, L’HENAFF, Marie-Louise. – L’influence de la hardiesse, comme trait de personnalité, sur l’épanouissement des soignants Angers, 2004. Diplôme de cadre de santé
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* 47. RUSZNIEWSKI, Martine - Le groupe de parole à l’hôpital. Dunod, 1999
* 48. MITAINE, Laurence - Face à la fin de vie, le syndrome d’épuisement professionnel. La revue du praticien, médecine générale, 1998, 13, 428
* 49. Circulaire DHOS/02/DGS/2002 n°2002/98 du 19 février 2002 relative à l’organisation des soins palliatifs et l’accompagnement
* 50. COLOMBAT, Philippe.- Démarche palliative et démarche de société. – Calvaires, 2000, 12
* 51. COLOMBAT, Philippe.- Une solution à la souffrance des soignants face à la mort. – Hématologie, 2001, vol 7, 1
* 52. Soin, accompagnement, deuil – Passage [journal d’information du groupe OGF], 2005, 17
Les changements sociologiques majeurs tels que, l’urbanisation, la recomposition et l’éclatement géographique des familles [1]*, le triomphe de l’individualisme et du matérialisme [2] mais aussi le fait que la société soit plus technique, hygiéniste, moins religieuse [3] et qu’elle ne croit plus à l’échange symbolique avec ses morts [4], font que les rites sociaux traditionnels ont tendance à diminuer voire disparaître [2].
Mais si l’on cherche, comme en France, à dédramatiser la mort, à en faire une affaire privée et à personnaliser le deuil [5] il n’y a pas pour autant de nouveaux rites mais des rites modifiés et de nouvelles pratiques [6].
Or, ces pratiques, générées notamment par la crémation des défunts, qui évoluent vers un "petit sacré personnel", et ses drames que l’on consommerait en solitaire, peuvent entraîner des deuils pathologiques, car lorsque les rites ne fonctionnent pas les morts reviennent tourmenter les vivants [5].
1 - LES RITES FUNERAIRES
1.1 - Qu’est-ce qu’un rite ?
"Un rite, c’est un ensemble d’actes et de signes matériels à haute teneur symbolique, marquant à la fois l’expérience d’un changement perçu comme mystérieux, sinon menaçant pour l’existence et appelant le dépassement". Luce des AULNIERS (Directrice de la Revue Frontières) [7].
Les rites révélateurs des valeurs et croyances essentielles d’un groupe social ou culturel, médiatisent au niveau de l’individu et de son groupe d’appartenance, les différents événements de la vie [8]. Pour cela, fonctionnant tous sur le même principe, ils assurent trois fonctions, celle d’indiquer que l’on quitte un groupe pour un autre, de marquer ce temps de passage et de permettre de canaliser, voire masquer ses émotions, [6].
S’articulant entre le collectif et l’individuel, les rites peuvent donc se concevoir comme donnant un sens collectif aux événements individuels [9].
1.2 - Les rites funéraires et leurs fonctions
Les rites funéraires, parade à l’angoisse et à l’isolement [10] sont une production collective qui amène l’individu à partager une même conception de la mort [11]. ils permettent de contrôler les forces qui menacent une collectivité [7].
* Pour les références citées veuillez vous reporter à la bibliographie
Ils possèdent une dimension symbolique, générée par une culture capable de s’approprier la mort, de l’intégrer à la vie sociale et personnelle, et une dimension initiatique pour celui qui les vit.
Ils ont une fonction thérapeutique et éducative : thérapeutique car en soulignant la réalité de la disparition, ils empêchent de nier la mort et aident même à la penser [11] et en permettant la dramatisation, ponctuelle, des sentiments individuels, ils évitent pour l’individu et la société tout débordement ultérieur. Educative car ils inculquent des valeurs à la société [7].
Ils donnent un rôle à chacun [11], et font agir, d’abord pour retenir puis pour autoriser la coupure avec le corps, devenu autre, et permettre ainsi au souvenir d’exister.
Avec eux, il s’agira alors autant de régler le devenir du mort et de permettre son souvenir que de maîtriser symboliquement les effets angoissants et destructeurs de la perte et de la mort [7].
Enfin, ; ils proposent une signification religieuse à la mort elle-même comme passage à l’au-delà [11].
2 - TOUR D’HORIZON DES PRATIQUES DANS LE MONDE OCCIDENTAL
2.1 - L’Amérique du Nord
2.1.1 - Le CANADA
La variation de la législation et l’importance du nombre d’ethnies différentes font qu’au CANADA, les rites sont très variés, ce qui oblige les sociétés de pompes funèbres à se spécialiser.
Le taux moyen d’incinération est de 30% mais il varie suivant l’origine ethnique et socioprofessionnelle. Elle est plus faiblement utilisée chez les agriculteurs et les structures traditionnelles, que chez les classes défavorisées du fait du coût d’une concession perpétuelle (obligatoire) et du moindre coût d’une urne par rapport au prix d’un cercueil. L’argument économique fait que les musulmans y recourent malgré l’interdiction religieuse [12].
2.1.2 - Les ETATS-UNIS
Les Américains sont majoritairement protestants mais l’existence de nombreuses religions font qu’il n’y a pas de rite imposé et que chacun peut suivre ses rites d’origine. 2,100 millions d’américains meurent chaque année et le coût moyen d’un service funèbre est compris entre 5000 et 7000 dollars. Il comprend l’ensemble des services, l’embaumement et l’intervention esthétique, le local et les services pour la veillée, qui dure trois à quatre jours et ne se pratique quasiment plus au domicile.
La crémation (7,5 fois moins chère que l’inhumation [13]), concerne 16% des américains mais devrait atteindre 25% dans les années à venir, et les cendres peuvent être enterrées n’importe où.
Le paiement et l’organisation anticipée des obsèques sont très souvent pratiqués. Les Américains qui se font majoritairement inhumer dans des cercueils métalliques plutôt qu’en bois, disposent de cimetière d’église ou commerciaux (plus de 1000) dont la réglementation se décide à un niveau local uniquement [12].
2.2 - L’Europe occidentale
En Europe, l’influence religieuse, l’implantation ou non de crématorium et le développement de nouveaux rites funéraires font que la pratique de la crémation varie énormément d’un pays à l’autre [14].
Globalement, s’oppose une Europe du Nord et de l’Est à forte influence protestante (où le taux d’incinération dépasse les 50%, les églises protestantes calvinistes et luthériennes l’ayant autorisé depuis 1898), à une Europe du Sud (ITALIE, ESPAGNE, PORTUGAL) à forte tradition catholique, (où le taux d’incinération ne dépasse pas 5%) [3].
Dans les pays où la crémation est la plus forte, les crématoriums sont mieux pensés, ils peuvent être luxueux et proposer de nombreux services (accueil, restauration), [14], et les pratiques sont opposées aux nôtres : les cendres sont remises après un délai réglementaire pour être inhumées le plus souvent et il existe une cérémonie annuelle et interculturelle du souvenir dans les cimetières [2].
2.2.1 - Les pays crématistes
Le DANEMARK avec un taux d’incinération de 72% (en 2000 [3] dont 95% pour sa capitale), arrive en tête des pays d’Europe, suivi de la Grande-Bretagne (70%), la SUEDE (69%) et de la SUISSE (65%) [9].
Pour ces pays des variations existent au niveau des cérémonies et du devenir des cendres.
§ Au DANEMARK
Les cérémonies sont ; simplifiées à l’extrême et inexistantes dans 20% des cas. Le corps est alors transporté et immédiatement incinéré au crématorium et les cendres sont dispersées, tout cela en présence ou non de la famille [12].
§ En GRANDE-BRETAGNE
Les cendres sont majoritairement dispersées dans un jardin des souvenirs mais elles peuvent être placées dans une case de columbarium ou inhumées sous une plaque tombale et les familles demandent souvent un mémorial matérialisé par un registre signé par les personnes présentes aux funérailles, un rosier planté au crématorium ou une plaque scellée dans un mur affecté au souvenir des disparus. La collation offerte après les cérémonies est bien rare sauf au nord de l’ANGLETERRE [12]. § En SUEDE
Les cérémonies, qui sont organisées par les entrepreneurs de pompes funèbres sont quasiment toutes identiques. Leur particularité est la persistance des repas d’enterrements regroupant parents et entourage, et le fait que les cendres soient toujours enterrées [12]. § En SUISSE
L’enterrement peut avoir lieu dans la commune de son choix. Son coût peut être minime, suivant la prise en charge du canton, chacun appliquant son propre règlement [12]. 2.2.2 - Les pays ayant un taux moyen de crémation
§ En ALLEMAGNE
Le taux de crémation est de 42% [3], les cendres sont dispersées ou scellées dans un mur du cimetière mais jamais remises à la famille.
La veillée a été abandonnée et les communes en raison de l’urbanisation et de l’abandon des rites religieux, gèrent maintenant le cimetière urbain et les charges funéraires [12].
§ En NORVEGE
En matière de taux de crémation, la NORVEGE présente une grande disparité. Le taux moyen est de 31% [3], mais atteint 50% dans les grandes villes et est nul dans certaines régions.
Les rites funéraires sont traditionnels, la veillée se fait à la maison funéraire et la cérémonie religieuse, qui consiste en une messe, peut se réduire à des prières au cimetière où a lieu l’inhumation du corps ou des cendres [12].
§ En FINLANDE
Les Finlandais à 90% protestants luthériens, ne recourent que dans 26% des cas à l’incinération. Les cimetières appartiennent à des entreprises commerciales et dans les petites localités, aux paroisses [12].
2.2.3 - Les pays sous influence catholique § En AUTRICHE
Pays catholique à 80%, les funérailles y sont traditionnelles et les cérémonies importantes (fleurs, tentures). Il y a peu d’incinération (18% [3]), et les cimetières sont communaux [12].
§ En ESPAGNE
Pays latin, catholique. Les inhumations traditionnelles dans les tombes ou nichos (niches surélevées), prévalent. Le taux d’incinération n’étant que de 5%. Les concessions se limitent à 20, 10 ans dans les grandes villes et les ornements sont assez nombreux [12].
§ En ITALIE
Les rites funéraires sont très proches de ceux pratiqués en FRANCE ou en ESPAGNE, mais le goût pour le funéraire pompeux fait qu’ils peuvent prendre un air ostentatoire et que l’art funéraire s’y épanouit (monument, marbre) [12].
§ En IRLANDE
Les enterrements sont des événements sociaux importants, très suivis, dont le déroulement effectué sous le contrôle de maîtres de cérémonie, se fait selon un protocole établi. Traditionnellement, l ; a veillée du mort se fait chez lui, même si les partisans de la modernisation des rites prônent l’utilisation du "funeral home". Ensuite, la veille au soir, le corps est transporté à l’église à l’aide d’un corbillard ou d’un portage à bras (dans les campagnes).
L’incinération ne concerne que 5% de la population et elle se déroule dans un local séparé et éloigné de la maison funéraire. L’urne est ensuite scellée dans un columbarium ou enterrée sans fleur, sous un plot de pierres avec le nom et la date de mort du défunt, dans le jardin du souvenir [12].
2.3 - La FRANCE
2.3.1 - Les rites d’hier
Il y a cinquante ans seulement, la "coutume" voulait qu’en cas de décès, toute la maison du mort, qui avait reçu les derniers sacrements, prenne le deuil. Les visites pouvaient ensuite commencer, une veillée de trois jours s’organisait et les faire-part de décès étaient envoyés.
Le jour de l’enterrement, des tentures noires et l’initiale du défunt couvraient la porte de la maison. Le corbillard était tiré par des chevaux et le cercueil porté par des proches ou des personnes désignées. La cérémonie se déroulait à l’église puis, à la fin de la messe, le cortège se rendait au cimetière où après la descente du cercueil, la famille recevait les condoléances. Au retour à la maison, les proches rassemblés prenaient part à un repas des funérailles [11].
2.3.2 - Leur évolution
Les rites religieux des funérailles, jusqu’au Concile Vatican II, (1962 - 1965), étaient codifiés, établis. Leur assouplissement débouchera dans les années quatre-vingts à l’organisation de cérémonies pour les non pratiquants, trop brèves, bâclées [15]. Puis, grâce à l’aménagement de propositions rituelles tenant compte de la singularité de chaque décès [16], il y aura organisation de cérémonies authentiques et faites "sur mesure" [15].
Aujourd’hui en FRANCE, la religion garde un rôle de médiateur rituel, 80% des obsèques sont religieuses pour moins de 10% de pratiquants. L’église catholique est d’ailleurs attachée à la présence du corps à l’église symbolisant la présence du défunt au ciel [17].
Cependant, si l’on reste attaché à la ritualisation des funérailles et au besoin de cérémonie [17], il n’en reste pas moins que l’organisation des obsèques par des professionnels et la mise à l’écart de lieux de mort (cimetières) affaiblissent les manifestations du deuil [18].
2.3.3 - Les pratiques d’aujourd’hui 2.3.3.1 - Une segmentation rural-urbain
En milieu urbain, le sentiment de standardisation des rites funéraires, l’anonymat de l’environnement (prêtre, personnel de pompes funèbres) font que la cérémonie est perçue comme un rituel de convention.
Or, une cérémonie est jugée réussie si elle est belle et chaleureuse, autrement dit, si les gens se l’approprient, la personnalisent en introduisant des pratiques spécifiques
tels que, la lecture de textes, des chants ou de la musique appréciés par le défunt, le choix des fleurs et le fait de faire porter le cercueil par l’entourage.
Personnalisé, le rite perd son caractère ostentatoire et devient un élément capable de satisfaire les attentes intimes des proches.
En milieu rural, les cérémonies sont majoritairement traditionnelles, déjà ; "appropriées" car elles se déroulent dans un cadre familier : l’église, le cimetière du village. Le rituel varie peu [19].
2.3.3.2 - La crémation en France
En l’espace de vingt ans, le taux de crémation a été multiplié par vingt pour atteindre 20,2% en 2002 [3], avec un taux plus élevé dans les régions protestantes et les zones urbaines [1].
Ce choix n’a cessé de progresser, en 1994, 32% des français préféraient être incinérés, 37% en 1996 [2], et 40% en 2003.
Il touche maintenant les différentes strates de la société, autant la ville que la campagne et majoritairement les 25-49 ans et les catégories sociales supérieures et intermédiaires [20].
L’augmentation de cette pratique a été favorisée par la levée de l’interdiction par le Concile Vatican II et l’augmentation du nombre de crématoriums (9 en 1979 [14], 131 en 2001, même si certaines communes en sont encore dépourvues (comme en CORSE et dans le GERS) [21].
3 - Les nouvelles pratiques
3.1 Les tendances actuelles 3.1.1 La déritualisation
Avant la mort était visible, maintenant on meurt dans les hôpitaux loin des regards et les pratiques rituelles s’affadissent, on travaille dés le lendemain d’un enterrement, il n’y a plus de repas des funérailles, on ne porte plus le deuil [4]. Les cérémonies se simplifient, les cortèges et les processions aux cimetières disparaissent [1]. D’autres pratiques s’amenuisent, les condoléances à la famille à la sortie de la messe, l’envoi de faire-part remplacé par les avis de décès dans la presse [10].
La mort est devenue une injustice dont on a honte et que l’on tait pour rendre moins inacceptable [4].
3.1.2 La personnalisation des rituels
Les nouvelles tendances rituelles européennes marquent l’individualisme, la dimension tribale de la société et vont vers une privatisation du rite funéraire où la famille, les mourants même, structurent le rite [22].
Cette nouvelle ritualité est marquée par de nouveaux rapports de l’individu avec son groupe et du groupe à la société et insiste sur la valeur relationnelle et la capacité du rite à maintenir le mort parmi les vivants. Cette volonté de retenir le défunt se traduit
par la diminution des messes de commémoration et par l’augmentation de la thanatopraxie et de l’exposition du corps qui devient sacré. L’instauration d’un rituel parallèle au "cérémonial-cadre" fait que les participants deviennent acteurs ; lecture de texte profane, musique préférée du défunt…[23].
3.1.3. Les raisons de ces nouvelles tendances
Les raisons de ces changements au niveau de la pratique rituelle s’expliquent de différentes façons.
D’abord par le déni de la mort, (qui s’observe dans les sociétés occidentales depuis la fin de la seconde guerre mondiale [18]), c’est-à-dire le refus d’en considérer la réalité, dont les raisons se nomment individualisme, quête du confort et refus du tragique [7].
Par la chute de la religiosité traditionnelle qui peut sociologiquement s’expliquer pour la religion catholique par la diminution à la fois des structures sociales traditionnelles et par conséquent de leur croyance notamment en l’immortalité de l’âme, et psychologiquement par la non adhésion à l’interprétation religieuse de la mort c ; omme sacrifice d’un bouc émissaire [22].
Elle s’explique également par la vie moderne dont l’urbanisation, qui a pour conséquence l’intensification des sphères individuelles [1] et dont la complexité tend à l’uniformisation et au rejet de toute conduite perturbante comme le cortège [7]. Mais aussi l’inadaptation des logements (exiguïté, immeuble collectif) qui ne permettent plus de conserver le corps au domicile [23]. La disparition des solidarités [23]. Egalement le fait que l’on meurt loin de chez soi, (70 % des décès ont lieu dans des établissements
de soin),
Au niveau des familles leur recomposition et leur éclatement géographique se traduit par le besoin d’une prise en charge globale des obsèques d’où l’augmentation des contrats de prévoyance [1].
La logique de la société de consommation qui en professionnalisant la mort a pu la banaliser et en confisquer le mystère source d’angoisse et d’émerveillement [7].
Cette intervention des professionnelles, notamment les sociétés de pompes funèbres, soumis à la logique de marché, a également eu des conséquences. Car, en cherchant à rationaliser leurs interventions, (moins de transport et de personnel), notamment en favorisant le recours à un lieu unique avec "les centres funéraires" ils ont induit des contraintes temporelles [1]. Or, la vitesse induit une réduction des rites qui eux requièrent modulations et temps.
Le refus populaire dans les années soixante à l’égard de l’étalage des hiérarchies sociales, qui en simplifiant le rite en a également évacué les composantes cérémonial et donc le sacré [7].
3.2 La crémation 3.2.1. Les raisons de ce choix
Différents sondages et enquêtes montrent que les choix de cette pratique sont de divers ordres.
Il s’agit d’abord de faciliter la vie de ceux qui restent [14], les cases de columbarium ne nécessitant pas d’entretien par exemple [3].
Les raisons philosophiques : derrière ce terme peuvent se cacher différentes interprétations. Rejet de la tradition sociale ou familiale, anticonformisme. Idée de liberté avec la possibilité de disperser les cendres. [19]
Volonté de dépouillement, de renoncement. Ou bien choix qui exprime des peurs secrètes (de la putréfaction, la peur d’être enterré vivant…) [2].
Les raisons écologiques : éviter la pollution, répondre à la surpopulation des cimetières [14]. Mais aussi volonté de se débarrasser des morts ressentis comme potentiellement dangereux ou source de nuisance [2].
Les raisons économiques : un coût inférieur de 30 % par rapport à l’inhumation [3]. L’impossibilité d’acquérir des concessions à perpétuité dans les grandes villes ou encore le rejet d’une marchandisation de la mort, et la volonté de faire des économies [19].
Mais ce choix traduit aussi le rejet des cimetières traditionnels, véritables "parcs mortuaires" [3]. La tendance hygiéniste de la société, qui voit dans la pureté supposée du feu un moyen de s’opposer à la décomposition angoissante du corps [19].
La volonté chez certaines personnes âgées de ne pas gêner ou le manque de confiance dans l’affection que leur portent leurs descendants et donc dans leur capacité à entretenir le souvenir [2] et à prendre soin de la sépulture [14].
Aussi, l ; ’individualisme, l’augmentation des contrats de prévoyance, qui donnent la possibilité de maîtriser sa vie de bout en bout. L’absence d’attache qui peut expliquer une forte tradition crématiste dans les villes portuaires (30 % à Nantes en 2001) [14].
Enfin, si la terre est un vecteur de transmission et si l’enterrement marque non seulement l’attachement à la terre mais aussi à l’autre par delà les générations, avoir recours à la crémation traduit peut être la crise de la transmission entre générations [24].
3.2.2 La cérémonie
L’incinération, qui marque la séparation définitive avec le défunt [3] et souffre encore d’un déficit de ritualisation est souvent mal vécue par les familles pour qui la transformation du cercueil en une urne remise immédiatement est un choc émotionnel [17].
La mise à la flamme est jugée éprouvante et quand elle est différée cela rajoute une épreuve supplémentaire. La présence de commerciaux (personnel des pompes funèbres) au moment de la cérémonie est également mal ressentie [19].
Les professionnels ont cherché à humaniser cette technique, même si cela est encore peu appliqué, en déconseillent à la famille d’assister à la partie technique, en préconisant des cérémonies courtes et en offrant de conserver l’urne pendant quelques semaines le temps de réfléchir à sa destination [17].
Ces professionnels, dont le rôle et l’écoute et l’accompagnement des familles, cherchent aussi à améliorer l’accueil au sein des crématoriums en en soignant
l’esthétique ou en proposant par exemple la mise à disposition de matériel audiovisuel afin de personnaliser la cérémonie [21].
Les cérémonies au crématorium peuvent être religieuses, organisées avec des laïques, la présence d’un prêtre n’y étant pas prévu ou civile avec un maître de cérémonie (professionnel du funéraire). Dans les deux cas il sera possible de les personnaliser en permettant la prise de parole de proches pour la lecture de textes ou de discours rendant hommage aux défunt, le choix de musique, etc…[14].
3.2.3 La destination des cendres
L’urne peut être enterrée dans une sépulture cinéraire (3 % des cas en 1999), dans une tombe, une cavurne [5] ou un caveau familial. Placée dans un columbarium (4 % des cas ), scellée sur une tombe ou encore son contenu peut être dispersé (25 % des cas) [14].
La dispersion peut se faire en pleine nature (mer, montagne), dans un lieu significatif pour la famille ou dans un jardin du souvenir mais pas sur la voie publique [21].
Ainsi, la destination des cendres remises à la famille n’est pas imposée par le droit français, l’un des plus libéral d’Europe en la matière, car elles ne sont pas considérées comme des restes mortels [21]. D’ailleurs dans 68 % des cas leur destination n’est pas connue [14].
Cependant, comme les communes n’ont aucune obligation quant à la mise en place d’équipements cinéraires (columbariums, jardins du souvenir), moins de 10 % des cinquante mille cimetières français en sont équipés et lorsque c’est le cas, ils sont rapidement saturés [21]. Les familles se retrouvent alors dans l’obligation de conserver l’urne ou de disperser les cendres. L’une [14] et l’autre de ces solutions étant interdite par l’église cat ; holique [19], elles ne savent plus quoi faire de leurs morts [14].
L’enterrement de l’urne, solution coûteuse et paradoxale, est néanmoins la plus satisfaisante car elle donne un lieu de recueillement. La dispersion elle, en empêchant le marquage physique, rend difficile la commémoration du défunt [19]. A terme, avec la possible disparition du lieu de dispersion par exemple, cela peut poser des problèmes aux endeuillés [21].
Dans certains cas les cendres sont "partagées" entre les différents membres de la famille. Permise par la loi, à partir du moment ou les personnes concernées l’autorisent [21], cette pratique n’est pas sans poser de problème lorsqu’il y a désaccord sur la destination des cendres [25].
3.3 Les pratiques "originales"
La diminution de la religion et la personnalisation des funérailles dans les sociétés nord-américaines, mais aussi l’anticipation de l’âge d’or de la mort, qui va correspondre
à la disparition progressive dans les années à venir, des baby-boomers (2,5 millions de mort aujourd’hui aux Etats-Unis 4 millions dans 30 ans) font que l’industrie funéraire doit se réinventer [26].
Ainsi, il est maintenant possible de faire des funérailles une véritable fête avec exposition du corps dans un "fun-érarium", entouré d’objet illustrant un aspect de la vie
du disparu (canne à pêche, barbecue) [13], ou dans un gymnase ou encore près d’un étang [26]. De présenter des films retraçant la vie du disparu [13] et de retransmettre la cérémonie en directe sur Internet [26].
En France, on fait aussi preuve d’originalité avec l’utilisation de musique disco à l’église, des 2CV en guise de corbillards [25]. Le deuil porté en blanc, la médaille magique
(placée autour du cou du défunt puis remise ensuite à la famille après l’incinération pour apporter "émotion, réconfort, présence") [5]. Enfin les stèles et urnes qui se déclinent maintenant selon la passion du disparu : moto, pétanque, voile, et même broderie [25].
Le devenir des cendres : les cendres peuvent être dispersées en mer par avion [26] ou montgolfière [25], coulées dans du béton puis déposées sur des barrières de corail [13] ou envoyées dans l’espace.
En effet, une société texane, Célestis, (qui a pour filiale française la société l’Autre-Rive), propose depuis 1997 de transformer l’espace en cimetière en y envoyant les cendres des défunts depuis une base militaire située en Californie. Pour 6100 € la capsule contenant les cendres est mise en orbite autour de la terre. Pour 14 200 € elle tournera autour de la lune ou errera sans fin dans l’espace profond [27].
Leur diamantisation : une société américaine, Life Gem, propose pour 2 299 $ et en six semaines de transformer un cadavre en diamant bleu. Un processus chimique complexe nécessitant plusieurs étapes et le savoir-faire de deux entreprises, l’une en Pennsylvanie l’autre en Russie, permet en effet de transformer le carbone du corps d’abord en graphite puis en un diamant qu’un quart de carat. Un seul corps permettant de réaliser une centaine de diamant le reste des cendres est conservé dans une banque et mis à la disposition de la famille pour d’éventuelles nouvelles demandes [28].
4 - Les conséquences de ces nouv ; elles ritualités
Les rites traditionnels, en perdant leur ancrage dans le système symbolique, ont perdu leur pouvoir de donner du sens aux passages [9], ils se sont amenuisés, n’étant plus dotés de fonctions consolatrices [29].
4.1 La personnalisation des rituels
Le développement de la personnalisation des obsèques, l’augmentation des rituels intimes n’impliquant que la famille font qu’il y a captation de la mort dans la sphère
intime au détriment du collectif [3], cela fait que les individus ne sont plus inscrits dans la lignée humaine comme le leur permettaient les rituels collectifs [4].
Maintenant, seule la mort virtuelle aide à structurer les jeunes ce qui est préjudiciable [18].
Or, respecter ces rituels de transition facilite le travail de deuil [4] qui sera rendu plus difficile lorsque les endeuillés y sont confrontés seuls, et que les rites sont individuels [9]. En effet, le deuil se compliquerait dans 17 % des cas et serait pathologique dans 5 % de fait de sa non prise en charge collective [4].
Ainsi, il importe que l’endeuillé puisse partager avec d’autres, puisse évoquer le disparu au risque, en ne s’affrontant qu’à lui-même, de basculer dans une mort psychique [7].
4.2 Ritualité et crémation Avant, les obsèques permettaient l’accompagnement du défunt dans un endroit réservé aux morts, les cimetières [3] où la terre, qui avant une fonction d’accueil, accompagnait la décomposition et préparait à la séparation. Sa violence était invisible [24]. Maintenant la crémation en court-circuitant le temps de la décomposition du corps, abrège le travail de deuil et le complique, car le deuil a besoin de beaucoup de temps dont la durée ne peut être normalisée [6]. 4.2.1 L’absence de traces La dispersion des cendres, qui marque une attitude privée envers la mémoire [22] et les cimetières domestiques (urne au domicile) font que le territoire des morts n’est plus social mais privé [19]. Il n’y a plus de trace socialisée à l’image de la diamantisation des cendres qui ne permet pas de conserver un lieu public pour rendre hommage au défunt de façon collective ou individuelle [30]. De plus, les cendres peuvent être volées, le défunt "portatif" en sautoir, la peluche cinéraire, les cendres transportées dans le coffre de la voiture, peuvent entraîner des réactions pathogènes car les morts et les vivants se confondent et le souvenir qui soulage le vide de l’absence ne peut s’installer [31 Cela prive également la société d’un dispositif monumental et public d’archivage [31] et fait disparaître la trace des anciens mais aussi de nos racines. Or, le deuil a besoin de traces [2]. A l’exemple de la Belgique où des plaquettes portant le nom du défunt sont placées autour de la pelouse de dispersion. Ce qui prouve qu’il n’y a pas volonté de mettre en œuvre la disparition totale des défunts et que les cendres sont toujours pourvues d’humanité [32] En France, les gens compensent l’absence de traces en marquant le lieu de dispersion des cendres, avec des fleurs ou tout autre objet (cailloux, branches..) et créent ainsi des cimetières "lilliputiens" [31]. Ou encore aux Etats-Unis, avec le "Names Project" (ou patchwork des noms) où, pour combler l’absence d ; e rites accompagnant l’incinération des victimes du SIDA, on réalise des panneaux de tissu censés représenter, évoquer l’identité de ces morts. En Allemagne, il s’agira d’une installation de deux cent cinquante pavés gravés du nom de ces victimes et placés dans un endroit public [33].
Ces pratiques sont symboliques de la volonté, non seulement d’avoir un lieu de mémoire mais aussi de resocialiser ces morts [31]. Enfin, les nouveaux rituels, en refusant d’intégrer le monde de la mort, font que les morts viennent frayer avec les vivants sous forme de fantômes, de rêves et selon les vicissitudes du travail du deuil [32]
4.3. Quelques propositions
* Resocialiser le deuil et apprivoiser la mort en marquant les fêtes d’anniversaire des disparitions, en affichant les avis de décès dans les maisons de retraite, en parlant de la mort en famille [4]. En se rendant aux funérailles, premier geste qui permet de ritualiser la séparation et de penser à sa propre mort [34].
* Réintroduire la société et créer de nouveaux rituels pour diminuer la violence de la crémation [3]. Pour cela, ritualiser les adieux, éloigner les participants du moment de l’incinération et profiter de ce moment pour permettre leur rencontre et l’échange. Remettre les cendres à la famille après un délai suffisant et les encourager à les déposer dans un endroit du souvenir plutôt que de les disperser.
* En cas de dispersion, conseiller une cérémonie familiale et enfin encourager les échanges familiaux concernant les décisions funéraires [2].
* Pour les cérémonies au cimetière faire jeter une fleur plutôt que de descendre le cercueil sans un mot [34].
* Commémorer les morts, les honorer, car c’est un moyen de domestiquer la mémoire individuelle et collective mais aussi de les remettre à leur place Pour cela, construire des cités des morts à côté de celles des vivants pour leur signifier qu’ils ne font plus partie de la société mais qu’ils sont gardés sous haute surveillance [32].
* Accompagner, informer, renforcer les valeurs morales, de solidarité, pour éviter la promotion exclusive ou la sous-estimation du corporel et pour que le corps retrouve sa place [2].
Conclusion
La modernité occidentale a contribué à transformer les attitudes par rapport à la mort. De la mort apprivoisée d’époques plus traditionnelles, nous sommes passés, au cours du siècle dernier, à la mort niée.
Selon Louis-Vincent THOMAS les caractéristiques des rites de mort sont la simplification, la disparition (le cadavre est évacué) et la privatisation mais aussi la technicisation, les morts étant placés dans des mains étrangères et professionnelles [33].
D’un rituel collectif défini, régi par le " faire plutôt que dire", ou tout s’organisait autour du cadavre et où le cimetière, sanctuaire des morts, aidait à donner un statut aux défunts, on est passé à des cérémonies personnalisées ou "sur-mesure" où l’on cherche plutôt "à dire qu’à faire" [35].
Cependant de nouvelles tendances semblent émerger. La demande ou construction de locaux ou d’espaces non ou pluridisciplinaires pour célébrer les rites funèbres [22]. Et la volonté pour un tiers des français, dont les jeunes, de retrouver les rites qui concernent ; le savoir-faire et la mobilisation du cercle familial, comme l’envoi de faire-part de décès, la cérémonie religieuse et le repas de famille [20].
De plus, si elle admet les attitudes naturelles de renoncement, de lâcher-prise, qui ont des valeurs temporelles et spirituelles incomparables, l’humanité réapprendra l’intérêt des rites de passage et de leur diversité incomparable [29].
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SYNTHESE REALISEE EN 2004 PAR VALERIE DUPONT DANS LE CADRE DE LA FORMATION INTD-CNAM
Technique d’anesthésie, la sédation consiste à provoquer, de façon transitoire et possiblement réversible, une altération de la vigilance. Son application aux soins palliatifs soulève de nombreux questionnements pratiques et éthiques.
Nous avons souhaité revenir sur les grandes étapes de la réflexion au sujet de la sédation à travers la littérature médicale.
La sédation : un tabou ?
En France, l’organisation dans les années 80, du mouvement des soins palliatifs, est le résultat d’un double élan. D’une part, la volonté de proposer une nouvelle approche permettant une meilleure prise en charge des patients en fin de vie et d’autre part, la réaction aux propositions extrêmes de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et à l’usage des "cocktails lytiques"(1).
L’approche palliative propose une amélioration de la "qualité" de la fin de vie des malades atteints d’une pathologie incurable. Cette proposition repose, selon la définition des soins palliatifs, sur le contrôle optimal des symptômes et le maintien d’une vie relationnelle signifiante.
Le débat autour de la sédation s’est donc d’emblée inscrit autour de deux objections : un paradoxe fondamental (altérer la vigilance, donc la relation, devient le moyen du soulagement) et un risque de confusion avec l’euthanasie.
Les débuts d’un débat
Dans la littérature, la référence à la sédation apparaît sans qu’une définition très précise soit proposée. La fréquence du recours à cette technique (de 10 à 52 % des cas)2 ;4), la liste des symptômes ou des situations relevant d’une sédation font l’objet d’études et de débats(5 ;9).
Peu d’articles se penchent de façon précise sur le versant technique de la sédation. Pourtant, il est notable que dans cette même période, le midazolam, apparaît puis est diffusé aux soins palliatifs. Il offre à la sédation en soins palliatifs un "support" technique apparemment sûr et maniable, au point parfois de faire passer au second plan la nécessaire réflexion sur le choix des drogues utilisées et leur mode d’administration.
En France, Marie-Sylvie Richard(10 ;11) et Benoît Burucoa(12 ;13) rapportent les expériences de patients qui restent écrasés par des souffrances physiques ou psychiques, et pour lesquels la sédation ("sommeil pharmacologiquement induit" pour l’une, "mini-anesthésie" pour l’autre) est proposée.
Le champ du débat éthique est posé d’emblée ; les contradictions, risques de dérive et de confusion pointés. (11)
A mesure que les publications se multiplient, la réflexion continue de s’affiner.
Selon les situations rencontrées, il est bien mis en évidence la nécessité de s’appuyer sur des modèles d’analyse distincts.
Progressivement, un consensus se dégage autour des indications concernant les situations d’urgence ou de détresse "terminales" (hémorragie, détresse respiratoire…).
A l’inverse, la sédation proposée pour des situations, caractérisées principalement par la référence aux souffrances dites morales, fait l’objet de controverses.
La réflexion éthique autour de ces notions de souffrance peut apporter une clarification pour ces indications de la sédation (20 ;22).
Pour Jean Claude Fondras, le débat sur la sédation illustre les contradictions entre éthique utilitariste et éthique déontologique. Il appartient aux soignants d’éclairer leur positionnement afin de proposer une prise en charge cohérente(23).
Des concepts-clé
A partir de 1991, le terme de sédation terminale, issu de l’anglais(24), est fréquemment utilisé, malgré la confusion possible : est-ce une sédation réalisée chez un patient en phase terminale ou une sédation qui "termine" la vie du patient ?
En 1994, Cherny et Portenoy introduisent la notion qui fera long feu : celle de symptôme réfractaire (refractory symptom). L’usage actuel de ce terme, devenu assez courant en soins palliatifs, est souvent restrictif par apport à la complexité de la définition initiale : "le caractère réfractaire peut être attribué à un symptôme lorsque celui-ci ne peut être soulagé de façon adéquate malgré la recherche obstinée d’un traitement ayant une bonne tolérance, c’est à dire qui respecte l’état de vigilance. Pour les patients atteints d’un cancer en phase avancée, affirmer le caractère réfractaire d’un symptôme a de profondes implications. Cela suggère que la souffrance ne pourra être soulagée par les mesures habituelles. Affirmer qu’un symptôme est réfractaire implique que le clinicien soit convaincu que de nouvelles interventions (invasives ou non invasives)
1) sont incapables d’apporter un soulagement adéquat
2) sont associées à une morbidité aigue ou chronique excessive ou inacceptable 3) qu’il est très improbable que ces interventions permettent la survenue d’ un soulagement dans un délai de temps raisonnable."
Sédation et euthanasie
En 1996, la polémique avec l’euthanasie est relancée par un article qui qualifie la sédation d’euthanasie lente ("slow euthanasia")(25). Il ne s’agit donc pas de considérer le risque de survenue d’un décès au cours d’une sédation comme l’intrication de l’évolution de la maladie sous-jacente et d’éventuels effets indésirables des médicaments comme le font certaines études(26), mais de proposer la sédation comme forme "socialement acceptable" d’euthanasie.
Les tentatives de clarifications se font nombreuses (27 ;28). Pour éviter les confusions, Susan Chater propose d’abandonner le terme de sédation terminale, "ambigu", au profit de celui de "sédation pour détresse intraitable"(29). Il est difficile dans ce contexte de poursuivre sereinement la réflexion sur le recours à la sédation dans le cas de "souffrances existentielles"." (30)
Le recours à la règle éthique du double effet(31) devient central dans les discussions, principalement dans la littérature anglo-saxone. Cette règle postule que lorsqu’une action entraîne à la fois un effet désirable et un effet indésirable, il reste éthiquement justifié d’agir, si on le fait dans la seule intention d’obtenir l’effet désirable.
Certains semblent considérer que l’application scrupuleuse de la règle met fin au débat(32), d’autres critiquent le rôle prépondérant de l’intentionnalité(33 ;34). Quill en particulier discute la sédation dans un modèle de pensée utilitariste où le défi est de trouver la moins mauvaise proposition permettant de soulager le patient qui souffre. Il semble dès lors considérer le recours à la sédation, l’augmentation des doses d’antalgiques morphiniques, le suicide assisté, l’abstention thérapeutique ou l’arrêt volontaire de l’alimentation et de l’hydratation comme éthiquement équivalents(35).
Il semble donc que le débat sur la sédation se resserre autour de son usage pour "détresse", sans que ce terme soit défini de façon précise. La complexité des réalités ainsi englobées ne permet pas d’échapper aux polémiques.
Sur le terrain des pratiques, le recours à la sédation semble fréquent, sans que la prise en compte des stratégies décisionnelles soit optimale(36).
Vers un consensus ?
En France, la SFAP et en Europe, l’EAPC travaillent à l’élaboration de recommandations de bonnes pratiques concernant l’usage de la sédation.
La SFAP publie en juin 2009 les recommandations "La sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations spécifiques et complexes."
L’EAPC reprend le terme de sédation palliative ("palliative sedation")(37) afin de caractériser une pratique et un modèle de réflexion propre aux situations palliatives et lever l’ambiguïté véhiculée par le terme de sédation terminale.
La SFAP, au-delà de l’élaboration de recommandations(38) propose d’évaluer le niveau de sédation à l’aide d’échelles adaptées. La littérature fait en effet rarement référence à la profondeur de la sédation(18 ;39).
Or les discussions qui conduisent à la prescription d’une sédation légère, n’altérant pas, ou peu, la communication du patient, seront différente de celles nécessaires à la décision d’une sédation profonde.
Cet axe de recherche semble prometteur pour l’élaboration d’études comparatives.
Les débats sur l’utilisation de la sédation en soins palliatifs alimentent depuis une dizaine d’année la réflexion des équipes impliquées dans la prise en charge des patients en fin de vie. La persistance, malgré des soins attentifs, de situations de souffrances complexes(40) posent la question des limites du champ d’intervention des soins palliatifs davantage que celle des rapports entre sédation et euthanasie ou suicide assisté. Prendre en charge, intervenir, auprès de patients en fin de vie, c’est prendre la responsabilité d’affecter le moment de la mort de l’autre(41).
Seul le plus grand discernement dans la visée éthique propre aux soins palliatifs peut éclairer nos décisions.
Sylvain Pourchet, Praticien hospitalier,
USP, Hôpital Paul Brousse, 2004
Références bibliographiques
Pour accéder aux recommandations de la SFAP concernant la sédation : se rapporter au site de la SFAP
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De nuit et quelque soit le lieu, les effectifs infirmiers, aides soignants et médecins sont au minimum. Environ, un infirmier pour une trentaine de patients maximum, aidé par un, voire deux aides soignants, si le nombre de changes le nécessite et un médecin pour toute la spécialité de l’institution, y compris les urgences. Il faut également souligner l’absence des administratifs (uniquement d’astreinte téléphonique) et leur méconnaissance du travail la nuit.
Silence et solitude sont très difficiles à supporter pour les malades suivis en soins palliatifs (et pour certains soignants), quand on constate que les patients gardent leur TV allumée en permanence en fond sonore toute la nuit : c’est la vie qui continue et entre dans la chambre, souvent avec une porte laissée entrebâillée lorsque la personne est seule, non accompagnée.
Oser entrer en contact, dans tous les sens du terme, pénétrer dans la chambre n’est pas une démarche toujours facile à faire pour les soignants en poste de nuit. Beaucoup voudraient faire, être, mais n’osent pas, par crainte de ne pas savoir. A qui déléguer quand on est seul sur l’unité en tant qu’infirmier ? La relation à établir peut être une vraie épreuve pour certains soignants, car le non savoir, l’imagination, les tabous de la mort nous assaillent souvent. Par manque de structures spécifiques, les unités accueillent de plus en plus de malades en fin de vie. L’équipe doit donc s’occuper de 2 personnes en soins palliatifs, quelques fois beaucoup plus. La notion de soins palliatifs conserve quelques fois une connotation morbide avec son cortège de peur..
A la faveur des accords Aubry, des créations de nouvelles fonctions ont pu être réalisées dans les hôpitaux dont celui d’infirmière diplômée d’Etat de renfort, dite IDE de renfort en vue notamment de rechercher une meilleure qualité du service de nuit. Ce poste transversal, par définition, permet : - d’accélérer les décisions - de prendre en charge des douleurs et des problèmes propres à la nuit - de rassurer et soutenir d’autres soignants de nuit.
2. Impact de la nuit sur les symptômes et leurs traitements
2.1 Le sommeil
Véritable source et ressource pour engranger de l’énergie, le temps du sommeil est à respecter d’autant plus chez les personnes qui ont tant de soucis, de peurs dans leur tête. La tombée de la nuit est bien souvent facteur de détresse pour les malades en fin de vie. La peur de la solitude, de mourir seul est vecteur d’angoisse. Cet endormissement difficile entraînera un retard de l’arrivée du sommeil, ou un premier sommeil très court suivi d’une phase de réveil durable. De nuit, nous nous trouvons devant des patients ne pouvant trouver du repos. Si une prescription médicale n’est pas faite, nous pouvons proposer divers toucher- massages doux des pieds, du dos, des mains ; une discussion orientée par le malade peut favoriser l’endormissement. Le temps passé peut être un véritable somnifère, un tranquillisant pour certains. Les patients semblent pouvoir passer une bonne nuit. Certains prennent le temps d’exprimer leurs angoisses, de parler de ce qui les préoccupe ; ils gardent ainsi une présence humaine à leur côté au moment de la tombée de la nuit et savent que nous pouvons repasser chaque fois que nécessaire. Cela peut évidemment se faire même si une prescription est faite. Il faudrait pouvoir transmettre aux collègues du soir de ne pas donner le somnifère si celui-ci est prescrit afin de le proposer au moment du tour vers 22- 23 heures. Lorsque l’hypnotique est donné en même temps que le reste du traitement vers 18- 19 heures, son absorption précoce lui retire son effet recherché ; le malade s’endort vers 20h et nous le réveillons vers 22h pour l’installer pour la nuit. Le bénéfice du médicament est nul. Nous proposons également, lorsque cela est possible, une tisane lors de notre passage. Je me déplace avec un petit sac qui contient quelques sachets d’arômes différents.
2.2 L’aggravation
Tout malade suivi en soin palliatif peut avoir un de ses symptômes qui s’aggrave en cours de nuit. Certaines maladies ont des évolutions plus ou moins prévisibles. Toute la qualité sera dans l’anticipation. Cela sous entend que l’équipe a prévu l’hypothèse et fait confiance à l’équipe qui suit, qu’elle soit médicale ou infirmière. Le fait que l’on ne doive pas s’acharner, qu’il n’y ait pas de réanimation systématique doit être écrit en toute lettre dans le dossier infirmier et/ou le dossier médical. La prescription du médecin de garde ne connaissant pas toujours le malade gagnera en qualité. Le confort et la prise en charge de la douleur seront les points forts des soins apportés au malade.
2.3 La douleur
Des traitements antalgiques peuvent être réévalués la nuit. Il arrive de rencontrer du personnel soignant réveillant le malade au cours de son sommeil pour évaluer la douleur. Cela partait d’un désir de bien faire, mais cela montre un manque d’information et de formation sur la prise en charge de la douleur. Pour la nuit, les interdoses d’antalgiques avec laps de temps minimum, doses maximum à donner sont des renseignements importants pour une meilleure prise en charge par l’équipe de nuit qui ne reste pas sans réponse, juste à évaluer, constater sans pouvoir agir et surtout laisser le malade porter sa souffrance dans un lieu de soin. Le personnel est sensible à la prévention et pourra proposer une nuit à venir beaucoup plus adéquate pour le malade. Si une PCA est en place, il est nécessaire d’être sûr que le personnel présent connaisse le matériel, son fonctionnement, la surveillance des signes de surdosage. Cela demande des formations avec manipulation qui peuvent être répétées pour rafraîchir les mémoires. Ce procédé est souvent apprécié par le malade et les soignants, si le principe est bien intégré et si le soignant peut gérer la machine et le réapprovisionnement de l’antalgique sans avoir à demander de l’aide. Un principe mal intégré peut faire craindre que le malade n’ait pas son traitement antalgique en temps et en heure. Suivant la pathologie d’origine, le personnel soignant est quelque fois effaré de voir l’absence de prescription d’antalgique ou une suppression complète et totale pour diverses raisons. Exemple : suppression de tout morphinique pour surdosage, cela voulait dire que le malade avait besoin d’un traitement, mais aucune prescription d’antalgique pour remplacer. Cela arrive en fin de soirée : le malade a la nuit à passer (12 heures minimum) sans soulagement proposé ou en début de week end, les personnes référentes des soins palliatifs ne seront là que dans 48h au mieux. Le malade a largement le temps de souffrir ou tester les bonnes volontés de chacun. Le malade qui reçoit souvent ses doses journalières complètes d’antalgiques entre 8h et 20h ne peut plus être calmé dans le courant de la nuit, ou au risque d’entraîner un surdosage. Que reste t-il pour le soulager en pleine nuit, sans l’intoxiquer ? Un équilibre de son traitement sur 24 heures sera pour lui un bien être et une qualité de prise en charge.
2.3 Confusion- Agitation
Ces symptômes sont parfois traités avec une SAP d’Hypnovel. La mise en route dans la journée permet d’être plus assuré de la prescription. Lorsque la décision de mise en route est prise la nuit par du personnel désireux de bien faire mais ne connaissant pas toujours ni les doses en usage, ni la surveillance des effets secondaires, des difficultés peuvent apparaître. Cela demande encore une fois une information et une formation du personnel en place. Cela évite de voir des malades en fin de vie attachés aux 4 membres, le personnel en sous effectif ne sachant pas comment recadrer le patient. Cela ne veut pas dire qu’il faille sédater tous les patients en fin de vie, mais ce symptôme serait dépisté plus facilement et transmis à l’équipe qui pourrait mieux en rechercher une cause.
2.4 Hydratation
Lorsque l’hydratation normale n’est plus possible, il nous faudrait prévoir de disposer d’eau gélifiée en quantité suffisante dans le service. Cela pourrait faire reculer la pose d’une hydratation parentérale ou d’une sonde naso-gastrique toujours traumatisante pour le malade et source de questionnement pour les soignants. Si la perfusion intra veineuse est devenue impossible, il faudrait pouvoir éventuellement adapter une sous cutanée si la prescription anticipée est faite. Tout cela semble évident lorsque l’on avance vers le même objectif, mais la nuit est un vrai puzzle de compétences pluridisciplinaires. Le personnel ne s’autorise pas toujours certaines "libertés" d’actions en faveur du patient. Cela évitera au soignant de s’acharner sur le patient pour lui trouver une veine. Le personnel de nuit est parfois décontenancé devant un malade en fin de vie qui "s’obstine" à arracher sa perfusion ou sa sonde d’alimentation naso-gastrique. Certains s’autorisent à attendre le lendemain que cela soit discuté avec l’équipe médicale référente et peut être supprimé selon les cas, mais d’autres iront jusqu’à la contention pour réaliser leur travail prescrit.
2.5 Respiration
Les décompensations respiratoires sont des accès craints par le personnel de nuit. Non seulement le malade suffoque mais ce manque d’air peut sembler communicatif pour le personnel pas toujours aussi disponible qu’il le souhaiterait. L’interne de garde peut ne pas être au courant de dossier et commencer une batterie d’examen, style gaz du sang, bilans de toutes sortes, radios…. Là encore une équipe préparée et guidée par des prescriptions anticipées sera plus présente au chevet du malade pour l’aider à supporter cette épreuve. Dans notre hôpital, la venue de l’EMASP dans la journée permet de discuter sur la recherche de bénéfice d’aspirations qui peuvent êtres nombreuses en fin de vie. Mais la transmission de cette démarche n’est pas toujours faite par nos collègues du soir.
2.6 Traitement
Nous avons besoin de recadrer le traitement au fur et à mesure de l’évolution. Ce besoin, n’est pas toujours intégré par l’équipe de nuit dans les objectifs recherchés, et le manque de transmissions avec les équipes de jour ne facilitent pas la réalisation de cet objectif. Un malade diabétique insulino-dépendant pourra se trouver en hypoglycémie sévère durant la nuit pour avoir reçu malgré tout son injection sous cutanée d’insuline. Si son dégoût alimentaire se répète, pourquoi ne pas penser à supprimer l’insuline sous cutanée et à surveiller ponctuellement la glycémie ? Que penser des dextro programmés toutes les 4 heures, traitement traumatisant pour le malade. La stimulation des récepteurs de la douleur jusqu’au bout ne relève t’elle pas de l’acharnement thérapeutique ? Chimiothérapies curatives, examens longs et fatigants, régimes restrictifs, restriction hydrique, jeûne. Comment expliquer à nos collègues ce "refus de soins" légalisés pour le malade, et inversement qu’une chimio peut avoir un effet antalgique, qu’une transfusion n’est pas du gâchis dans ce contexte, mais offrir un ultime moment de plaisir familial ou convivial à quelqu’un qui n’en a plus la force. Moments partagés, temps d’échange, quelle valeur ont-ils quand on pense que ce sont sans doute les derniers ?
2.7 Confort
De nombreux malades en fin de vie ne se mobilisent plus comme ils le souhaiteraient. Le personnel en sous effectif peut entraîner des douleurs iatrogènes sans le vouloir. Ce temps passé auprès du malade peut être employé à proposer et faire des soins de bouche. Pouvoir conduire la personne encore valide aux toilettes à son rythme, sans la presser car la charge de travail est importante lui permet de conserver son autonomie et sa mobilité le plus longtemps possible. Elle ne sera pas pressée de regagner son lit et gardera auprès d’elle dans la chambre le soignant au cas où il y aurait un problème. Il n’y a pas de sonnette dans les toilettes. Le temps du bassin sera repoussé au maximum, et les couches également. La recherche de confort pourra se faire au travers de massages longs et doux.
2.8 Relationnel
La solitude, le vagabondage des pensées pas toujours optimistes font que le patient est en attente d’une écoute vraie et continue. Encore une fois, les soignants n’ont pas toujours le temps pour s’asseoir et parler, surtout en début de nuit où tout est à organiser pour que ces 10 heures se déroulent le mieux possible... Le personnel en poste ne peut pas toujours offrir ce soin malgré leur envie. Le personnel de nuit est fortement demandeur de prescriptions anticipées pour le traitement antalgique, pour les décompensations respiratoires, cela évite ainsi de faire appel à des médecins pas toujours au fait du traitement en cours, de la pathologie et du devenir de la personne. Le traitement reste dans la continuité, en sachant que les soignants appelleront toujours s’il y a problème. Les prescriptions anticipées claires et précises encadrent le soignant et le guident dans sa recherche de meilleure prise en charge. Cela permet aussi de ne pas surdoser dangereusement le malade. Les éventualités étant notées, le personnel infirmier est en confiance et n’a qu’à suivre l’arbre de décision.
3. Spécificités du travail de nuit face à la famille dans le cas de la survenue d’une aggravation ou d’un décès
Nous sommes appelés aussi parfois la nuit pour prendre en charge un décès. Prévenir la famille, l’accueillir et s’occuper de la toilette mortuaire. Ce temps particulier est très fort en émotion et toutes ne se sentent pas capables de vivre ce moment. Notre présence permet de rester un grand moment pour être avec la famille et lui donner le temps de s’exprimer. Une discussion autour d’une boisson chaude peut aussi être envisagée tout simplement dans l’office, à l’étage. Avec la nuit, les personnes qui accompagnent semblent craindre beaucoup plus l’éloignement, même temporaire. Nos feuilles administratives comportent un emplacement pour le génogramme et les personnes à prévenir éventuellement par téléphone. Il arrive qu’aucun renseignement ne soit rempli, qu’aucun numéro de téléphone ne soit consigné aussi nous ne pouvons appeler personne s’il y a une aggravation. Parfois les accompagnants peuvent ne vouloir se déplacer que le lendemain. Ces informations portées sur le dossier faciliteraient l’accompagnement et éviteraient des jugements intempestifs inutiles, permettraient également de préparer la famille à cette éventualité lorsque cela a été abordé dans la journée et non de la mettre devant le fait accompli. Connaître la marche à suivre facilitera l’échange téléphonique. Cette épreuve est très difficile la nuit pour le soignant qui réveille la famille et ne sait pas toujours si elle est préparée ou non à cette éventualité suivant l’âge du conjoint, son état psychologique. L’accueil de ces familles réveillées en pleine nuit se fera avec beaucoup de soin, d’attention. Si elles le souhaitent, nous leur offrons une boisson (froide ou chaude selon nos richesses du moment) et surtout un temps d’écoute active qui ne les laisse jamais indifférents. L’hôpital garde une part humaine d’accueil, d’hospitalité. Le début du chemin du deuil peut parfois commencer à ce moment là. Parfois, nous ne voyons jamais les familles, ce qui est source de questionnement, et quelque fois de jugements portés par certains d’entre nous. -Quelle place faisons-nous aux familles accompagnantes dans l’unité ? -Si la demande du malade et de sa famille est d’être ensemble, arrivons nous à respecter ce vœu ? -Savons-nous nous retirer doucement pour laisser la première place aux familles même non soignante ? (lit, visite à toute heure, accompagnement, repas pour le tiers, rencontre avec l’équipe soignante…) -Quelle liberté leur laissons-nous ? (cuisine, réfrigérateur, cafetière eau fraîche, linge….) -Est-ce un accueil avec un grand A ? Accepté, Adopté, Adapté. -Combien de temps dans la nuit, peut-on consacrer à la famille en plus du malade pour la relation d’aide ? -Quelle est la réaction des soignants quand l’accompagnant dort à "poing fermé", ou qu’il ne reste pas dormir ce soir là alors que le service a mis tout en oeuvre pour l’installer à côté du malade ? L’information du personnel, la préparation peut les aider à accepter toutes ces situations sans jugement. -Les incluons-nous dans les soins pour travailler en partenariat et leur permettre si c’est leur souhait de participer activement à l’accompagnement en respectant leurs limites ? Dans un souci de sécurité, l’établissement est fermé aux véhicules le soir. Les visiteurs doivent laisser leur numéro d’immatriculation, le service dans lequel ils se rendent. Ce principe est tout à fait normal et se comprend parfaitement. Certaines familles accompagnantes n’osent revenir le soir après avoir pris un temps de liberté pour eux, prenant cette surveillance pour une interdiction. Nous essayons de les mettre à l’aise, de leur expliquer le bien fondé du principe ; mais pour certains, ce contrôle se surajoute au quotidien si difficile à vivre
4. Relations avec les autres équipes
Tout dernièrement, une infirmière de pédiatrie s’est excusée de laisser le "sale boulot" à l’infirmière de renfort, c’est à dire de prendre en charge le décès du bébé en présence de la maman. Le temps passé en compagnonnage permet d’apprivoiser le malade et le moment où celui ci nous quittera pour un autre ailleurs. Les barrières des tabous tombent peu à peu, les soignants se permettent des gestes, des paroles infiniment authentiques, ils osent être eux mêmes. L’angoisse qu’ils portent en eux d’avoir à accompagner une personne en fin de vie se transforme progressivement en décodage des besoins et la volonté d’aller au bout des soins avec elle. L’équipe de nuit exprime un manque : trop peu de réunions pluridisciplinaires après un accompagnement difficile pour tous. Les personnes de nuit restent avec leurs souffrances et leurs angoisses, leurs non dits. D’autant plus si le service est le théâtre de nombreux décès. Les soignants de nuit finissent par être "saturés" et peuvent recourir aux mécanismes de défense telles la fuite, la banalisation, par insuffisance de reconnaissance et pour se préserver. L’accompagnement perd alors peu à peu de son sens.
Les liens avec l’EMASP Une boîte aux lettres installée à la porte du bureau de l’EMASP tient lieu de relais- communication. Les horaires ne sont pas les mêmes et les temps de rencontre communes. Cette transmission comporte le nom des personnes vues par l’équipe, leur service, leur numéro de chambre ainsi que les problèmes posés dans la journée et les changements de traitements à évaluer. Le cahier comportant ces renseignements confidentiels reste sous clé en permanence. Toute l’équipe y note les malades à voir, le médecin écrit également sur ce document, d’autant plus s’il est seul présent sur l’institution ce jour là. Le malade voit une continuité dans sa prise en charge, il semble moins perdu et peut se référer à ses rencontres dans la journée avec l’EMASP. La famille accompagnante y est bien sûr incluse. Les souffrances et demandes de la nuit peuvent être transmises à l’EMASP. Le médecin référent et l’ infirmière ont déjà donné des cours le soir, avant notre prise de travail de nuit pour former le personnel sur la douleur, les soins palliatifs, les soins d’hygiène (soins de bouche) et les problèmes qui en découlent. Il s’agit d’une reconnaissance de leur travail et de leur existence (pour les 2 entités). Les équipes de nuit se déplacent avant leur horaire de travail pour participer au cours et en ressortent très dynamisées. Tous ne viennent pas mais attendent des transmissions faites par les personnes présentes. En fin de service, l’infirmière note ses interventions sur le cahier de transmissions resté dans la boîte aux lettres de l’EMASP afin que dès l’arrivée de l’équipe de soins palliatifs le matin, les problèmes posés soient tout de suite pris en compte.
5. Conclusion
Personnel de nuit, nous avons besoin de toute la confiance de l’équipe pluridisciplinaire (transmissions, prescriptions anticipées…) afin de travailler en continuité auprès du patient et conserver l’objectif du projet de soin. Notre mission sera ainsi remplie et tous, de jour comme de nuit nous aurons participé à l’accomplir. Les relations avec les soignants de nuit entraîne l’envie d’acquérir quelques clés pour proposer une écoute et une aide aux malades et à leur famille dans le désarroi et ne pas fuir la proximité de la mort. Savoir communiquer de manière vraie et empathique est une demande qui revient souvent de la part de nos collègues. Que dire au malade qui arrive au bout de sa vie, aux personnes endeuillées ? Comment rester soi et vraie ? Comment ne pas faire de peine et dire des banalités… ? Les échos reçus ne semblent pas porter trop de sons négatifs, et notre fonction de communication est largement utilisée. Malades, familles, soignants et institution semblent satisfaits. Nos hôpitaux en crise ont beaucoup moins de personnel, de lits et les malades hospitalisés ont besoin de beaucoup de soins importants. Cet état de fait est général. Soins palliatifs et nuit ne sont pas des termes opposables mais peuvent cohabiter avec beaucoup de volonté et de compétence. Un vrai travail d’araignée se fait chaque jour pour mieux tisser des liens entre chacun dans un souci de qualité et une recherche d’amélioration quotidienne. Le malade reste au centre de nos préoccupations et conserve ainsi son pouvoir de décision. Le monde de la nuit n’est pas le siège de rêves extravagants, mais source de vie profonde et réelle. Cela grâce à chaque personne acteur responsable dans l’entreprise qui œuvre en silence pour le bien être du malade. Le travail de nuit ne mériterait-il pas d’être plus valorisé lorsque l’on constate actuellement que les postes d’infirmière diplômée d’état de renfort ne sont pas pérennes ainsi que ceux des psychologues animant les groupes de parole des équipes de nuit ?
Références bibliographiques :
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BEAL, Philippe - Le rôle de l’aide soignant et la place de l’humour en services de soins palliatifs.- DU Clermont Ferrand, 1999
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LEBON, Isabelle. - Journal de bord d’une infirmière de nuit. - L’Humanité, 4 février 2000
MARTIN DELAPIERRE, Chantal - La place de l’infirmière de nuit dans l’équipe soignante Objectifs soins, 1994, 21, 52-57
PERRAUT SOLIVERES, Anne - Infirmières, le savoir de la nuit. -Paris : PUF ; Le Monde, 2001
RIVALEAU, Chantal. - La législation du travail de nuit. Site internet : www.cadresante.com
et a contraint une société à comprendre à nouveau que la mort se situe dans la vie, qu’elle n’est pas qu’un destin individuel mais la dimension qui marque l’existence humaine et qui provoque une culture à fonder l’humanité de cette existence. La mort n’est pas seulement l’épuisement d’un capital biologique mais bien ce qui introduit dans la vie les caractéristiques majeures d’une société humaine. Elle introduit la temporalité, la durée, la mémoire et l’oubli. C’est aussi bien le récit qu’une société se fait d’elle-même qui se trouve alors en jeu."
En essayant de maîtriser la mort, de l’occulter, voire de la couper de sa dimension sociale, la société d’aujourd’hui a provoqué une marginalisation des personnes en deuil. Elles ne se trouvent plus sur le même registre relationnel et finissent par se couper des autres. On entend fréquemment les personnes engagées dans l’accompagnement du deuil parler de « restauration du lien social ». Que recouvre cette expression et quelle réalité représente-t-elle dans la traversée du deuil ? D’après le dictionnaire, le lien est « ce qui relie, ce qui unit ». Quant au mot social, outre la définition « relatif au rapport entre les personnes et au groupe », on retrouve des définitions plus anciennes : « favorable à la vie en commun » (1530) et « agréable aux autres » (1557). Chaque individu s’enracine dans un réseau relationnel familial, amical, professionnel et social en général qui le met en relation et le relie à d’autres personnes. Il en a besoin pour se construire, s’épanouir et trouver pleinement sa dimension humaine. S’il est vrai que nous nous définissons en tant qu’homme (ou femme) principalement par rapport aux autres, l’endeuillé devient très vite un « indéfinissable », car la mort et les souffrances qu’elle engendre le coupe graduellement des autres membres de la société avec lesquels il est en relation ou tente de l’être : les plus proches tout d’abord, parents, conjoint et enfants, puis les collègues de travail, les amis et enfin tout son entourage. Il peut aussi devenir un a-social, tant ce qu’il vit est désagréable aux autres, qui le fuient ou adoptent des comportements inadéquats. Il est en effet évident que le fait de parler de la mort n’est ni agréable ni favorable à la vie en commun. Cela semble au contraire faire peur, provoquer silence et fuite et représenter un obstacle majeur à la relation.
Autrefois la mort et le temps du deuil faisaient partie de la vie. Au même titre que tout événement important de vie tels que naissance, mariage ou anniversaires familiaux, ils rassemblaient, réunissaient et donnaient naissance à des liens particuliers dans lesquels s’exprimait une solidarité de la société. Aujourd’hui par contre, il apparaît clairement qu’ils peuvent séparer. Ils ne réunissent plus ou ne relient plus de manière naturelle, ceux et celles qui les traversent aux autres membres de la société. Les personnes en deuil qui viennent chercher de l’aide auprès d’une association disent souvent leur difficulté à communiquer avec leur entourage, proche ou lointain, à parler de leur souffrance et à obtenir l’aide dont elles ont besoin, c’est-à-dire en premier lieu : une écoute, une compréhension et une acceptation bienveillante de ce qu’elles vivent. Or la société d’aujourd’hui ne sait plus accepter le temps de la traversée du deuil et le temps de la difficulté d’être qui lui sont associés. Elle demande aux endeuillés d’aller mieux, vite et bien, de ne pas parler de ce qui les fait souffrir et de ne pas devenir un poids pour leur entourage.
« Oublies ta fille ! Tourne la page ! Ne te complais pas dans tout cela » tel est le conseil donné par ses collègues de travail à une maman, trois mois après la mort de sa fille unique.
" On a enterré mon fils sous des tonnes de marbre. On l’ensevelit aujourd’hui sous des tonnes de silence et on le tue une deuxième fois" dit une mère un an après la mort de son fils.
Faute de bénéficier des attitudes adéquates, les personnes en deuil s’isolent petit à petit et s’enferment dans la conviction que personne ne peut comprendre ce qu’elles éprouvent. La solitude, la marginalisation et le sentiment d’incompréhension deviennent alors leur quotidien pesant et étouffant.
"Quand je regarde en arrière, un seul mot me vient à l’esprit : SOLITUDE. Quelle que fût l’activité, quelque fût le nombre de gens autour de nous, ce fut une époque solitaire et vide. Tout notre sens de la vie fut perturbé. J’aime à penser que nous avons bien fait de cacher nos sentiments. En surface nous nous conduisions normalement, mais, juste en dessous de cette surface, nous éprouvions des sentiments trop forts ou alors comme un énorme vide. Le fait même de mentionner les bons moments passés avec notre bébé pouvait conduire la conversation à un arrêt fort gênant". Carolyn [2].
La mort et la souffrance qu’elle engendre chez ceux qu’elle frappe et leur entourage ont relégué le deuil dans des peurs et un "non-dit" qui ajoutent encore à la douleur morale de la personne en deuil. Ces peurs et les clichés qui circulent sur la façon d’aider les personnes en deuil (en ne leur parlant pas de leur deuil ou en les distrayant à tout prix pour les empêcher de penser, en leur enjoignant de tourner la page trois mois après le décès etc.…), sont des freins à une aide naturelle et efficace de l’entourage social. Il se décharge de cet accompagnement, pourtant nécessaire, sur les professionnels concernés : médecin, psychiatre, psychologue ou psychothérapeute, ministre du culte et associations. S’il est vrai que la souffrance du deuil peut rendre indispensable, à certains moments, l’intervention de professionnels de la santé ou de l’écoute, il n’en demeure pas moins vrai que 60% des personnes en deuil font leur travail de deuil avec le seul soutien de leur entourage social : famille, voisins, amis, collègues et aides proposées au sein des associations de bénévoles [3]. Face à ce constat de rupture sociale et au fait que seuls ceux et celles qui vivent ou ont vécu le même type d’événements trouvent grâce aux yeux des personnes en deuil, certaines initiatives ont vu le jour, d’abord dans les pays anglo-saxons, puis en France, depuis une dizaine d’années. Elles étaient animées par la conviction que la réintégration du deuil dans la vie sociale participait, de façon significative, au chemin du retour vers la vie et à la traversée du deuil. Parmi elles, les groupes d’entraide, initiés soit par des associations soit par des institutions de soins palliatifs.
1) Le groupe d’entraide.
Il existe depuis une vingtaine d’années au Canada et dans les pays anglo-saxons. « Un groupe d’entraide rassemble des personnes traversant les mêmes difficultés pertes ou séparations (la mort d’un proche, le chômage, le divorce, la maladie…) qui désirent en parler et croient en la complicité et la confiance générée par le fait de vivre une expérience similaire ainsi qu’en l’aide mutuelle qu’elles peuvent s’apporter dans la reconstruction de leur vie."[4] Ensemble, les participants à ces groupes évoquent leur souffrance, réapprennent à parler naturellement de la personne décédée et échangent sur leurs façons de gérer le traumatisme. Au départ, ces groupes étaient animés uniquement par des personnes en deuil bénévoles. En les développant en France, il nous a semblé intéressant d’en adapter les modalités d’animation. La co-animation psychologue/ endeuillé est apparue comme une bonne façon de faciliter le transfert des membres du groupe tout en sécurisant leurs échanges. La présence de la personne en deuil donne le sentiment d’être compris et permet de construire sur la confiance ainsi générée naturellement, répondant au sentiment d’incompréhension des endeuillés et à leur désir de rencontrer des pairs. ("Personne ne peut me comprendre !" « Je veux rencontrer des gens qui vivent ce que je suis en train de vivre »). Celle du psychologue rassure sur la normalité du vécu du deuil et de son évolution.
Nous avons, pour le moment, adopté le modèle des groupes fermés, réunissant les mêmes personnes pendant toute la durée des rencontres limitées à un nombre prévu au départ, sans exclure toutefois la possibilité ultérieure d’offrir des groupes ouverts, qui intègrent régulièrement des nouvelles personnes. Le cadre du groupe fermé est le suivant :
Proposé au cours des trois premières années du deuil. Huit à 10 personnes en deuil Douze rencontres de 2H30 Une rencontre une fois par mois. Gratuité du service offert. Co-animation par deux animateurs : psychologue ou personne formée à l’accompagnement du deuil / personne en deuil ou représentant de la société civile. ( par exemple l’assistante sociale). Supervision mensuelle des co-animateurs.
2) Fonction et effets des groupes d’entraide. A) La fonction sociale.
"L’enjeu social du groupe d’entraide est évident. Ses principaux objectifs sont de rompre l’isolement social, de lutter contre le silence qu’engendre la solitude et de permettre une première restauration du lien social qui peut aider à la reconstruction de soi »[5]. L’irruption de la mort dans une vie surprend toujours et elle peut plonger les personnes qu’elle frappe dans un sentiment de passivité. L’événement est subi plus qu’agi. Le fait de s’inscrire dans un groupe d’entraide et de prendre la parole devant ce groupe permet à la personne en deuil de se situer à nouveau en acteur, actrice de son histoire . Cette fonction sociale du groupe s’articule autour de deux pôles : les similitudes et les différences. a) Les similitudes.( ou le « même », le pair). « Les groupes d’entraide répondent au besoin très souvent exprimé par les personnes en deuil de rencontrer des personnes ayant vécu la même expérience afin de trouver un écho à leur souffrance. Ils offrent un espace de rencontres régulières et de dialogue qui permet et facilite l’expression, l’identification et la mise en mots de ce qui est vécu et ressenti : émotions, difficultés relationnelles, souffrances, questions." [6] Le moyen privilégie utilisé pour favoriser ces ressemblances, ces identifications ou ces échos et créer par-là la cohésion du groupe, est de proposer aux participants de faire le récit de la mort de la personne décédée. « Racontez-nous…Qu’est-ce qui s’est passé ? ». Cela va permettre à chaque participant de confronter ses difficultés avec celles des autres, d’évoquer les bons et les mauvais moments vécus avec la personne décédée. Chacun sait qu’il bénéficie d’une écoute bienveillante de la part des animateurs mais aussi des autres membres du groupe : il est frappant de constater que le fait d’entendre d’autres dire ce que l’on avait du mal à énoncer soi-même ou de s’identifier ponctuellement aux différents aspects du vécu du deuil exprimés par chaque membre du groupe permet de mettre ses propres mots sur les situations évoquées et de découvrir ce qui se passe en soi et autour de soi. L’écoute mutuelle est très autocentrée au cours des premières rencontres, chacun cherchant d’abord à se retrouver et se situer par rapport à la parole des uns et des autres. C’est l’écho fait par ces paroles au cœur de leur propre vie qui les amène à s’exprimer. Au Canada, on désigne ce phénomène du nom d’"écho-résonnance ». L’expérience a montré qu’il était bénéfique, pour certains deuils très spécifiques, de regrouper des personnes vivant le même deuil afin de faciliter leur compréhension mutuelle. C’est ainsi que nous proposons des groupes aux parents ayant perdu un bébé en cours de grossesse ou à la naissance, aux parents ayant perdu un enfant, quelle que soit la cause du décès de ce dernier, aux adolescents en deuil qui n’ont pas de lieu pour évoquer la mort d’un proche. La similitude des problématiques rencontrées permet une grande authenticité et une profondeur des échanges dès les premières rencontres. Elle autorise également à dire ce que l’on n’oserait pas dire à l’extérieur du groupe. (« Heureusement que c’est cet enfant-là qui est mort. L’autre, je ne l’aurais pas supporté », « j’’aurais préféré que ce soit son frère qui meurt », « la mort de mon enfant est une punition pour l’avortement pratiqué sur l’enfant précédent », « je n’ai plus aucune relation sexuelle avec mon conjoint »).
b) Les différences. ( « l’autre »)
Ce grand besoin de rencontrer et retrouver régulièrement des personnes qui ont vécu et vivent la même chose pourrait mener à un enfermement dans un cocon protecteur. Au sein même des similitudes il nous semble que les différences deviennent facteurs d’ouverture. Par exemple, nous avons remarqué que la présence de différentes causes de décès (accident, maladie, suicide) ou de pertes différentes (un parent, un frère ou une sœur, un compagnon ou une compagne, un conjoint) induisait une dynamique particulière. Entendre les difficultés liées à ces différents décès conduit la personne en deuil a repérer elle-même les points " positifs" du deuil qui l’a frappé. Les victimes d’accident se sentiront incapables d’assister à la lente dégradation de la maladie et estimeront avoir eu de la chance que leur proche ne souffre pas. Par contre ceux dont le proche a été longtemps malade diront leur joie d’avoir pu l’entourer jusqu’au dernier souffle, d’avoir "tout fait", ce qui peut contribuer à soulager leur sentiment de culpabilité. La cohésion du groupe se joue alors, non autour de la cause du décès ou du rôle social de la personne décédée, mais autour de l’absence et des difficultés qu’elle engendre. Au fil des rencontres les personnes en deuil, encouragées par les animateurs, se découvrent capables de s’écouter, de s’ouvrir à d’autres souffrances. Puis, avec le temps, ils parviennent graduellement à une écoute attentive du vécu de l’autre, même s’il est très différent du leur. La prise de conscience des différences aide à sortir du repli sur soi pour entrer dans une démarche d’ouverture et de dialogue.
c) Au-delà des similitudes et des différences.
Par delà les similitudes et les différences, petit à petit, les membres du groupe se mettent en chemin et prennent conscience que le deuil est un "processus" que le groupe peut aider à élaborer, si l’on se sent trop seul pour s’y lancer. Le temps joue un rôle important dans ce processus puisque ce cycle de rencontres sur une année, 12 mois et quatre saisons, un cycle de vie, souligne l’importance de la durée.
d) Une aide à la reprise de la vie sociale
Il est certain que la complicité créée par la similitude des expériences fait souvent naître une amitié qui se révèle être un véritable soutien dans la traversée du deuil : ce sont « les amitiés du deuil » selon le mot d’une participante. Elle permet aussi de pouvoir envisager les relations avec d’autres grâce à celles que l’on arrive à tisser avec des gens que l’on ne connaissait pas du tout avant le début du groupe : Après un deuil, le retour à la vie sociale ne peut s’opérer brusquement. Le groupe d’entraide est un lieu où la personne en deuil se sent à nouveau en lien avec la société puisqu’elle appartient à un cercle reconnu qui symbolise l’environnement social. « Vous ne pouvez pas savoir le bien que cela me fait d’entrer dans la dynamique des liens qui se tissent », dit une maman en deuil à la fin d’une rencontre. Le groupe représente un « sas social » dans lequel la personne en deuil s’exerce à la relation avec des pairs, dans le but de pouvoir parvenir à communiquer à nouveau avec des personnes différentes d’elle, c’est-à-dire qui n’ont pas subi récemment la perte d’un proche ». [7] Le groupe devient un soutien, un appui utilisé par la personne en deuil pour s’autoriser à vivre ce qu’elle doit vivre ; particulièrement au moment des dates anniversaires. Il permet de surmonter le sentiment de solitude et d’incompréhension qui empêche tout mouvement de reconstruction. Il devient aussi un lieu où on a le droit de parler de la personne décédée, ce que l’entourage n’autorise plus au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la date du décès. Le groupe devient alors souvent le seul lieu de mémoire de la personne décédée. Forts de ce soutien actif, certaines personnes apprennent à prendre soin d’elles et reprennent une activité sportive, s’inscrivent à une thalassothérapie, partent en vacances, d’autres retrouvent la créativité qu’elles avaient perdue sur le plan de l’écriture, artistique ou professionnel. D’autres découvrent une qualité de relation meilleure avec leur conjoint et/ou leurs autres enfants et s’autorisent à dire leurs besoins et à "changer de style". …Tous et toutes dans tous les cas, redécouvrent qu’ils font partie de microcosmes sociaux différents et essaient de retrouver le chemin de la relation malgré leur souffrance et leurs difficultés. Enfin, en découvrant au sein du groupe qu’ils peuvent aider les autres autant que se laisser aider par eux, les personnes en deuil font l’expérience valorisante d’une utilité sociale retrouvée. « Le groupe permet aussi de découvrir que l’on peut être aidé par les autres mais aussi que l’on peut les aider, ce qui est une expérience très valorisante ». [8]
La fonction thérapeutique. Si le but premier du groupe d’entraide n’est pas de faire un travail psychologique, il s’avère que le fait de libérer les émotions, de les nommer et parfois de les analyser ensemble, le fait aussi d’être témoin de cette démarche chez les autres membres du groupe produit un effet thérapeutique. Effet thérapeutique qui s’étend à l’entourage de la personne en deuil. Les personnes en deuil apprennent ensemble à mieux se connaître, à connaître les mécanismes du travail de deuil et en apprivoisent petit à petit les difficultés. En se découvrant « normales » car vivant toutes des émotions semblables, elles réintègrent un groupe social : celui des personnes en deuil. Enfin, en apprenant à en parler, à exprimer leurs besoins à ceux et celles qui les entourent, elles reprennent les rênes de leur vie et sont capables de tisser des relations autour de ce qui est le centre de leur vie à ce moment de deuil .
Par ailleurs, prenant en compte que « le deuil réveille souvent des souffrances personnelles antérieures, des conflits non résolus et réactive des deuils ou des pertes », les groupes peuvent devenir des relais vers les psychiatres ou psychologues pour un travail psychologique jamais entrepris. « Lors de leur mise au jour dans le groupe les animateurs soulignent que ces questions ne peuvent être prises en charge dans ces groupes qui ne sont pas des groupes de thérapie ; ils signalent l’importance de pouvoir les travailler en dehors du groupe » et encourage concrètement les participants à consulter en les orientant vers des personnes compétentes si nécessaire.[9]
L’intérêt de ce soutien social réside dans sa complémentarité avec le soutien professionnel. Il n’est pas antinomique de se lancer dans une psychothérapie et de faire partie d’un groupe d’entraide. Bien au contraire, il semble que ces deux actions se conjuguent et se renforcent mutuellement. Cela nous amène parfois à mettre un suivi psychologique comme condition de l’entrée dans un groupe. Il est également clair que le fait d’apprivoiser la parole au sein d’un groupe et de découvrir qu’elle n’est pas dangereuse mais au contraire aidante, permet à certaines personnes de désirer faire une psychothérapie à l’issue du groupe. Elles ont alors repéré clairement les difficultés qu’elles désirent résoudre et ne consultent plus seulement pour un mal-être diffus suite à la mort d’un proche mais avec des objectifs clairement identifiés.
C) La fonction symbolique.
L’appartenance à un groupe social s’exprime par des symboles : l’habillement, la nourriture, les signes distinctifs…Le groupe d’entraide aussi. Nous savons que la possibilité d’accéder au symbolique favorise la résolution du deuil. Le groupe d’entraide a une fonction symbolique particulière. Tout d’abord, le simple fait de s’y inscrire oblige la personne à reconnaître son identité d’endeuillée. Elle prend acte du changement survenu dans sa vie en effectuant une démarche inhabituelle. Symboliquement, elle intègre un nouveau groupe social reconnu comme tel : celui des personnes en deuil. . Le pot partagé au début et à la fin de la réunion est le signe de cette intégration.
Ensuite, le récit tout comme l’évaluation du chemin effectué dans le groupe utilisent le registre symbolique pour soutenir et faciliter l’expression : photos, objets et textes concrétisent l’expression des membres du groupe. Le fait que les rencontres se déroulent sur une année, symbolise également un cycle de vie : quatre saisons au cours desquelles se succèdent les fêtes et dates anniversaires qui rythment la vie. Enfin, en parallèle avec l’entrée dans le groupe, la fin du groupe est un temps symboliquement important qui peut réactiver la douleur du deuil. Elle se prépare d’ailleurs activement par les animateurs car elle est vécue comme une autre séparation, un autre « deuil ». Elle signe le temps où la personne en deuil va couper avec le cocon sécurisant du groupe pour tester ses capacités à continuer la route seule. Elle peut d’autant mieux s’engager sur ce chemin qu’elle a laissé, au sein du groupe et dans sa vie, une trace de la personne décédée.
D) Un enjeu de santé publique.
Nous faisons l’hypothèse que le fait de pouvoir " faire sauter le bouchon" en sécurité, favorise un travail d’élaboration de la souffrance qui sort de l’état brut du début du deuil et ne s’y enkyste pas. On a parlé de prévention « quaternaire ».La prévention quaternaire caractérisant « toute action menée pour identifier un patient ou une population à risque de surmédicalisation, le protéger d’interventions médicales invasives, et lui proposer des procédures de soins éthiquement et médicalement acceptables »[10]. Prenant alors le mot soin dans son acception globale qui comporte l’accompagnement, toute proposition de soutien dans la période du deuil peut aider la personne en deuil à ne pas surmédicaliser son chagrin. L’effet préventif reste à prouver au sein d’une étude démarrée au Centre François Xavier Bagnoud, où il semble apparaitre que, à sa modeste façon, le groupe d’entraide joue, de fait, un rôle de prévention des deuils compliqués. En effet, sans pouvoir encore appuyer cette constatation sur des statistiques pour le moment, nous avons constaté un réel réinvestissement de la vie professionnelle et familiale et amicale pour nombre de personnes en deuil qui l’expriment ainsi dans les évaluations de fin de groupe. Un père résumait ainsi la façon dont le groupe l’avait aidé à reprendre goût dans son travail professionnel et à la vie : « De filet pour empêcher la chute, le groupe est devenu, au fil des rencontres, jardin où je me rendais avec envie »[11]. Ces retrouvailles avec le désir sont certainement importantes dans tout travail de deuil et en signent un début de résolution.
Le groupe d’entraide joue donc, de façon ponctuelle, un rôle important dans la traversée du deuil et, même s’il ne convient pas à toutes les personnes en deuil, il mérite cependant d’être inscrit dans la palette des aides proposées aux personnes en deuil car il leur permet de renouer avec une vie sociale adaptée à leurs difficultés du moment. J’ai plaisir à constater puisque je l’ai expérimenté, que ce résultat peut se décliner selon différentes formules : soit dans le cadre d’un travail associatif et bénévole, soit dans celui d’une collaboration entre professionnels et bénévoles. La formule de base nous semble avoir fait ses preuves !
2) Le suivi de deuil à domicile. [12]
Quand la personne en deuil ne peut plus ou ne veut plus se déplacer, la solitude du deuil peut devenir extrême. Elle est alors condamnée à un face-à-face avec ses souvenirs, ses regrets et ses sentiments de colère ou de culpabilité qui peut vite devenir insupportable. C’est ce qui nous a amenés à concevoir, en partenariat avec la Maison Médicale Jeanne Garnier, un service de visites au domicile de personnes en deuil par des bénévoles formés. Un visiteur bénévole se rend au domicile une fois par semaine au début de l’accompagnement puis une fois tous les 15 jours, pour proposer une écoute chaleureuse et une aide concrète. En effet, alors que les bénévoles s’attendaient essentiellement à parler de la personne décédée avec la personne en deuil, ils ont découvert que l’aide passait d’abord par des services concrets de la vie quotidienne comme une aide pour les papiers et les démarches administratives suite au décès, un accompagnement au cimetière, des sorties au café du coin ou au cinéma, des rangements parfois pour ne pas manipuler les souvenirs seul(e). Puis, une fois la confiance gagnée, une aide au travail de deuil se fait grâce à l’écoute d’une souffrance que l’entourage proche se refuse parfois à entendre, l’autorisation donnée d’exprimer la douleur et la culpabilité en faisant le récit de la mort et exprimant les "si j’avais", et les "j’aurais dû". Grâce aussi à la possibilité offerte de revivre ce qui a été traversé, les bons moments comme les moments difficiles. Les éléments sensibles tels que les meubles, les photos, les objets, les tableaux ou les bijoux jouent un rôle non négligeable dans l’évocation de la personne décédée et des souvenirs qui lui sont associés. La mort d’un proche est une expérience que l’endeuillé ne choisit pas et dans laquelle il a l’impression de ne plus être maître de sa vie. Le domicile représente alors une grande richesse car il permet que ce soit la personne qui fait la demande du service qui garde l’initiative de la rencontre. En accueillant chez elle le bénévole accompagnant, la personne en deuil conserve ainsi le "pouvoir" ou les rênes de la situation ; elle garde un rôle actif. Il permet par ailleurs un "pèlerinage" sur les lieux mêmes de la mémoire qui ne serait pas possible à l’extérieur. Le cadre de vie fournit naturellement des illustrations et des sources de renseignements par rapport à la souffrance du deuil. ; Les difficultés rencontrées :
Certaines font partie des difficultés rencontrées dans tout suivi de deuil :
- Difficultés liées au temps : donner du temps à la personne, gérer le temps passé avec elle (certaines confidences sont recueillies sur le pas de la porte en fin de visite). - Importance de suivre le rythme de la personne et ne pas la devancer, d’accepter les oscillations entre les périodes de tristesse et celles de mieux-être.
" Les premiers temps il m’était difficile de recevoir cette douleur, cette culpabilité exprimée, les images, celles de la mort en particulier, que j’ai entendues tant de fois que j’avais l’impression d’avoir été présente au moment de cette mort. Au début, j’ai laissé couler tout cela, plus les larmes… J’ai souvent entendu, et je l’entends encore : A qui pourrais-je dire tout cela ?" Ou " Je ne pleure jamais devant les autres. Là se laisser aller, c’est permis". Le sentiment de culpabilité est très fort : " J’aurais dû, si j’avais fait, dit etc.…".
Au bout de quelques mois, on a l’impression d’un mieux, mais il y a des retours à la case départ. Puis la façon de parler du disparu évolue et on retrouve l’enfance, la jeunesse, les souvenirs heureux. - Capacités de l’accompagnant à identifier les souffrances liées au deuil pour lequel on a été appelé et celles qui faisaient partie intégrante de la vie de la personne en deuil avant l’irruption de la mort dans sa vie. - Certaines situations nécessitent une compétence technique réelle. Les bénévoles ont peur de ne pas être à la hauteur et apprécient une formation théorique et technique qui puisse soutenir ou éclairer leurs accompagnements.
D’autres, cependant, peuvent être liées aux caractéristiques du domicile :
Des questions pratiques toutes simples se posent : codes d’accès inconnus la première fois, ascenseurs existants ou non (le 6° étage sans ascenseur n’est pas accessible à tous les bénévoles !), animaux plus ou moins dangereux, impact de la tenue vestimentaire à adopter. - Il n’est pas anodin de pénétrer au domicile et cela est plus ou moins difficile selon les personnes. Cela nécessite que la confiance se soit établie entre le bénévole et la personne accompagnée pour qu’il n’y ait pas de sentiment d’indiscrétion voire de voyeurisme. - L’intimité du domicile peut favoriser un sentiment d’intrusion de la part des deux personnes en présence :
" J’étais convaincu de l’intérêt de ce type d’accompagnement pour l’avoir fait auprès d’amis, mais là, j’ai eu au départ, même si les personnes avaient demandé à être accompagnées, l’impression d’entrer par effraction au domicile d’abord, puis au plus intime de l’autre, dans sa souffrance". Le bénévole peut être tenté de livrer trop d’informations sur sa vie personnelle. Il sera encore plus attentif au cadre, afin de ne pas déborder sur sa vie familiale et personnelle. - Le cadre de vie permet à des deuils anciens de refaire surface car il parle de l’histoire de la personne et de sa vie relationnelle. L’intimité du domicile peut représenter un obstacle à la relation au début des rencontres car la personne en deuil se méfie ou a des craintes à l’idée de recevoir quelqu’un chez elle. Nous avons touché la différence entre les Anglo-saxons, pour qui cela ne semble pas poser de problèmes, car ce mode d’accompagnement est très développé dans ces pays, et la mentalité française, plus soucieuse de préserver l’intimité. Les bénévoles n’hésitent pas, dans ce cas, à aller à l’extérieur (promenades, cafés etc.…). ; Utilité du suivi de deuil à domicile
L’utilité du suivi de deuil bénévole à domicile est évidente dans les cas d’impossibilité physique ou psychique des personnes à se déplacer. Il est, selon les mots des bénévoles, " une école de vie qui demande beaucoup de modestie et qui permet à la meilleure part de chacun, accompagné et accompagnant, de se révéler. Nous recevons autant que nous donnons. Il nous semble que cela peut être aidant d’avoir acquis une expérience de la vie, sans doute d’avoir aussi vécu nous-mêmes des deuils". Le domicile est un lieu qui parle de l’histoire, de la culture et des aspirations spirituelles de la personne en deuil et peut ainsi faciliter l’entrée en relation et l’approche des grandes questions soulevées par la mort de la personne aimée. Les bénévoles ont découvert, au travers des personnes accompagnées, l’ambivalence et la complexité des endeuillés. Ils ont aussi touché du doigt qu’un partage profond des sentiments était possible. " J’ai redécouvert combien nous "inter-sommes", c’est-à-dire combien la dimension de notre existence par rapport aux autres est importante, et combien l’amour/compassion, même quasi-muet, peut apporter du confort aux autres". A l’instar des animateurs de groupes d’entraide, qu’ils soient professionnels ou bénévoles, ils découvrent l’importance de l’existence de "lieux-relais" ou de "sas entre l’avant et l’après", qui permettent à la personne en deuil de s’exercer à la relation entre pairs avant de pouvoir affronter à nouveau la relation avec des personnes qui n’ont pas vécu un deuil récemment. ; Apports du bénévolat
Au cœur de ces deux expériences d’accompagnement du deuil on découvre l’apport du bénévolat et l’intérêt d’une action concertée de professionnels et de bénévoles autour du même projet. Les groupes d’entraide ont été co-animés, dès leur lancement en France par des bénévoles. Dans le cadre du Centre François-Xavier Bagnoud, ils sont soit co-animés par deux professionnels de notre équipe, soit co-animés par un professionnel et un bénévole. Le bénévolat témoigne du souci de la société pour ses membres en souffrance et rejoint les personnes en deuil en leur prouvant leur intégration. Cela facilite la relation car les choses s’expriment de façon naturelle, dans le cadre d’une relation de la vie quotidienne. Les bénévoles relaient l’aide apportée par la société auparavant par les voisins, amis et entourage qui devient quasi inexistantes dans les villes d’aujourd’hui (problématique exacerbée dans les grandes villes et à Paris en particulier). Ils disposent d’une grande souplesse au niveau du temps qu’ils consacrent à la personne en deuil. Le temps des professionnels est souvent plus compté. Par leur gratuité, ces services sont accessibles à tous, quel que soit leur statut social et leurs ressources financières. Le bénévole n’est pas tenu à une "obligation de résultat" comme le professionnel. Il n’a pas à répondre à toutes les questions, mais sa présence témoigne de la solidarité sociale. Il trouve sa satisfaction dans le sentiment d’être utile, de contribuer, même modestement, au fonctionnement voire à l’amélioration de la vie sociale. ; Conclusion
Pour conclure, je voudrais évoquer cette anecdote contée par Paolo Coehlo : " L’auteur Léo Buscaglia fut un jour invité dans une école à faire partie du jury d’un concours dont le thème était " l’enfant qui se soucie le plus des autres". Le vainqueur fut un enfant dont le voisin, un homme âgé de plus de quatre-vingts ans, était veuf depuis peu. Lorsqu’il remarqua le vieillard en larmes dans son jardin, le gamin accourut auprès de lui, s’assit sur ses genoux et demeura là très longtemps. Lorsqu’il rentra chez lui, sa mère lui demanda ce qu’il avait dit au pauvre homme. "Rien, répondit l’enfant. Il avait perdu sa femme et il avait beaucoup de peine. Je suis seulement allé l’aider à pleurer."[13]
Au risque de paraître simpliste, cette histoire rappelle que la personne en deuil doit pouvoir accéder à un simple soutien pour son deuil, immédiatement après le décès de son proche. Patrick Baudry situe l’accompagnement dans cette perspective sociale lorsqu’il écrit que malgré les réticences de certains qui " traduisent les réflexions que des personnes impliquées dans des mouvements associatifs produisent en terme de "dévouement" et de "générosité", c’est-à-dire comme si aucune société ne se profilait derrière la volonté d’accompagnement ou comme si le bénévolat n’était que la volonté de bien faire, sans société qu’une action viendrait impliquer[14] , il semble bien que la mort retrouve au-delà de son caractère individuel, sa dimension sociale en étant " un tourment qui nous relie aux autres".
Aujourd’hui, le désir de ne plus vivre ce tourment seul(e) se fait jour de manière de plus en plus nette.
Comme Simone de Beauvoir le constatait déjà dans « Tout compte fait » [15] : « Toute douleur déchire, mais ce qui la rend intolérable, c’est que celui qui la subit se sent séparé du monde ; partagée, elle cesse au moins d’être un exil. Ce n’est pas par délectation morose, par exhibitionnisme, par provocation, que souvent les écrivains relatent des expériences affreuses ou désolantes : par le truchement des mots, ils les universalisent et ils permettent aux lecteurs de connaître, au fond de leurs malheurs individuels, les consolations de la fraternité. C’est à mon avis une des tâches essentielles de la littérature et ce qui la rend irremplaçable : surmonter cette solitude qui nous est commune à tous et qui cependant nous rend étrangers les uns aux autres » L’objectif qu’elle attribue à l’écrivain rejoint celui que poursuivent tous ceux et celles qui, par le biais de l’animation de groupes d’entraide ou par l’appartenance à une équipe de bénévoles de suivi de deuil à domicile, aident les personnes en deuil à mettre des mots sur ce qu’elles vivent pour sortir du déni de notre société et rejoindre la communauté des humains au travers de leur expérience. Ces deux activités me semblent avoir un rôle préventif par rapport à une complication éventuelle du deuil. Le fait de pouvoir " faire sauter le bouchon" en sécurité (selon le mot d’un bénévole), favorise un travail d’élaboration de la souffrance qui sort de l’état brut du début du deuil et ne s’y enkyste pas. On a parlé de "prévention quaternaire". L’effet préventif reste à prouver par une étude scientifique circonstanciée, mais il apparaît souvent clairement dans les évaluations remises par les bénéficiaires au terme des groupes d’entraide ou des visites de soutien de deuil à domicile.
Grâce au groupe d’entraide et à des projets comme celui du soutien de deuil à domicile, le deuil redeviendrait-il "agréable aux autres" et "favorable à la vie en commun" conformément aux anciennes définitions du mot "social" mentionnées au début de ce chapitre ? Il me semble qu’au sein de ces deux activités, nous pouvons répondre positivement à cette question. Il est agréable de constater, dans tous les cas, que ce résultat est le fruit d’une collaboration entre professionnels et bénévoles.
Annick ERNOULT, formatrice Centre François-Xavier Bagnoud
Chapitre du livre : Accompagner des personnes en deuil : l’expérience du Centre François-Xavier Bagnoud. Erès, 2003. Pratiques du champ social
BAUDRY, Patrick. - La mort a-t-elle changé ?. JALMALV, 1997, 46
ERNOULT-DELCOURT, Annick. - Apprivoiser l’absence : adieu, mon enfant. Fayard, 2000
Congrès de Genève, 1999
ERNOULT, Annick, DAVOUS, Dominique. Animer un groupe d’entraide pour personnes en deuil. L’Harmattan, 2001
Ibid, p.94
Ibid, p.94
Ibid., p.94-95
Ibid, p.94
Ibid, p.95
JAMOULLE, M., HUMBERT, J., BRULET, J.F. Traitement de l’information médicale par la classification internationale des soins primaires(CISP-2). Bruxelles : Case édition
Ibd., p95-96
Action menée depuis 1998 avec la Maison médicale Jeanne Garnier
COEHLO, Paulo. Celui qui se souciait plus. In : Histoires d’enfance. Laffont, SOL EN SI
BAUDRY, Patrick. Ibid., p.10
BEAUVOIR, Simone de. Tout compte fait. Gallimard, 1972
VIOLENCE ; SOIN ; ETHIQUE ; RELATION PERSONNEL SOIGNANT PATIENT ; EPUISEMENT PROFESSIONNEL ; PATIENT ; ACCOMPAGNEMENT ; FIN VIE ; MALADIE GRAVE Cela peut être surprenant ou même choquant mais la violence est souvent évoquée dans le domaine de la santé, que ce soit la violence subie ou ressentie par le malade lui-même au cours du soin ou lors de certains examens, la violence vécue par les familles, mais aussi la violence des relations entre les malades et leur entourage ou entre les patients et les soignants.
La littérature sur le sujet tend à se développer et il peut être souligné avec J-M Longneaux [1] qui signe l’éditorial du n° 26 d’Ethica Clinica qu’il n’est pas de secteur du soin qui soit épargné. Ce numéro, consacré à " La violence au cœur des soins ", prend d’ailleurs le temps d’explorer différents lieux d’expression de cette violence : la fin de vie, les institutions de personnes âgées, la psychiatrie mais aussi les services d’urgence " porte d’entrée de la violence à l’hôpital". Le temps du constat est donc particulièrement important et absolument nécessaire mais, comme le souligne aussitôt ce même éditorial, il ne doit pas inviter au défaitisme ; des pistes seront évoquées pour aller vers " une moindre violence ".
La plupart des auteurs disent combien il est difficile de définir la violence mais aussi combien il est difficile de la reconnaître et de la nommer, d’autant plus dans le cadre de la santé. La " multidisciplinarité " des signataires des articles est, du reste, très évocatrice de ce fait : psychologues, professionnels de santé ou bénévoles d’accompagnement, philosophes ou sociologues, tout le monde apporte son regard et sa contribution et c’est " tant mieux " !
1. Tentative de définition du mot "violence"
Les auteurs étudiant la violence dans le domaine du soin se trouvent régulièrement confrontés à la difficulté d’en donner une définition. Ainsi Patrick Baudry [2] pourra aller jusqu’à dire : " Il n’y a pas de définition satisfaisante que l’on puisse produire de la violence… Définir la violence est donc inutile, douteux mais aussi monstrueux… "
Cependant, malgré la difficulté, une réflexion sur la notion de violence permet d’en pressentir toute la complexité. Deux ouvrages généraux [3 ; 4 ] pourront, si ce n’est nous donner une définition de la violence, tout du moins nous aider à mieux en cerner le concept.
Ces précautions étant prises, osons revenir tout de même sur une définition extraite d’un dictionnaire contemporain, Le Robert par exemple :
Le dictionnaire Le Robert édition 1998, donne, pour violence, les définitions suivantes :
Faire violence à quelqu’un : agir sur quelqu’un ou le faire agir contre sa volonté, en employant la force ou l’intimidation.
La violence : force brutale pour soumettre quelqu’un. Une violence : acte violent. (Il a subi des violences).
Disposition naturelle à l’expression brutale des sentiments (parler avec violence). Force brutale d’une chose ou d’un phénomène (la violence de la tempête). Caractère de ce qui produit des effets brutaux (la violence de ses migraines). "
Dans son livre " la violence ", Yves Michaud [3] parle ainsi de la richesse de la langue française et après un essai de définition du mot, fait une étude historique et descriptive de l’usage qui est fait de cette violence. Il s’intéresse ensuite aux bases anthropologiques, sociologiques et philosophiques du concept de violence, concept dont il ne manquera pas de souligner l’extrême relativité : " La violence, ce sont non seulement des faits, mais tout autant nos manières de les appréhender, de les juger, de les voir (et de ne pas les voir). (…) La relativité et l’indéfinissabilité du concept de violence ne sont pas accidentelles mais inhérentes à une notion qui polarise la diversité conflictuelle des évaluations sociales. Il faut souligner de nouveau avec insistance qu’au sein d’une même société politique, les mêmes faits ne sont pas appréhendés ni jugés selon les mêmes critères. L’usage d’un concept comme celui de violence suppose la référence à des normes qui peuvent n’être pas partagées par tous". Ce même auteur fait ensuite un détour par l’étymologie pour nous montrer que " violence " vient du mot latin violentia qui signifie violence, caractère violent ou farouche, force ; le verbe violare en est voisin, ces deux termes étant apparentés au mot latin vis. Ce dernier mot signifie force, puissance, violence, mais aussi, dans un sens plus profond " la ressource d’un corps pour exercer sa force, et donc la puissance, la valeur, la force vitale ". Selon Yves Michaud, toujours, vis correspond au grec bia qui veut dire " la force vitale, la force du corps, la vigueur et, en conséquence, l’emploi de la force, la violence ". " Au cœur de la notion de violence, il y a ainsi l’idée d’une force, d’une puissance naturelle dont l’exercice contre quelque chose ou contre quelqu’un fait le caractère violent ".
Il est important ensuite d’évoquer l’approche juridique qui utilise le droit pour apporter une précision : " (l’approche juridique) considère la violence comme une atteinte à la norme de l’intégrité de la personne humaine et, quand la norme évolue, l’évaluation juridique change (...) Se dégagent ainsi deux composantes de la notion de violence : un élément de force physique identifiable à ses effets et un autre, plus immatériel, d’atteinte à un ordre normatif, un élément de transgression ". Comme atteinte physique, la violence peut paraître facile à identifier à condition, toutefois, de tenir compte du facteur aggravant d’une plus grande vulnérabilité de la victime. En revanche la violence, en tant qu’elle est transgression ou violation de normes, est beaucoup plus difficile à cerner, d’autant que le risque est grand de l’étalonner par rapport à des critères personnels, ce qui rend illusoire toute tentative d’une définition objective. Par ailleurs la violence peut être issue d’un "chaos" au sens où ce dernier reflète une désorganisation dans le temps ou dans l’espace. Pour Y. Michaud, imprévisibilité, chaos et violence ont partie liée. Pour ce même auteur, " la question à l’arrière-plan est celle des contours exacts de la personne ". Et il conclut : " la violence est définie et appréhendée en fonction de valeurs qui constituent le sacré du groupe qui en parle ".
Hélène Frappat [4], à l’aide de nombreux textes choisis et présentés, illustre de façon particulièrement riche les nombreuses facettes du concept de violence et explore également des notions limitrophes telles que puissance et pouvoir. Elle note, elle aussi, les limites d’une définition : " On voit à quel point la définition de la violence comporte des enjeux problématiques, dont témoignent aussi bien les confusions du langage philosophique que les approximations du langage courant. "
Y. Michaud [3] constate que ces tentatives de définitions correspondent à " deux orientations sémantiques principales : d’un côté, le terme "violence" désigne des faits et des actions, tout ce que nous avons l’habitude d’appeler des violences ; d’un autre côté, il désigne une manière d’être de la force, du sentiment ou d’un élément naturel, qu’il s’agisse d’une passion ou de la nature ".
Nous nous proposons de poursuivre cette revue sélective de la littérature en nous guidant sur ces deux orientations : Les violences physiques entre les personnes ou au cours des soins s’apparentant à la violence " des faits et des actions " ; La violence en tant que " manière d’être " de la médecine et du soin. 2. Violence des faits
2.1. Violences entre des personnes ; violences physiques
Le " temps du constat " doit débuter, si ce n’est par un inventaire détaillé, tout du moins par une évocation des violences subies. C’est ce à quoi s’attachent certains auteurs en explorant différents domaines du soin. On peut ainsi retrouver plusieurs illustrations cliniques de violences dans le numéro d’Ethica Clinica [1] précédemment cité. Si certaines descriptions de maltraitance sont particulièrement violentes, elles appellent en contrepoint des propositions concrètes de prévention. Denise Badeau [5] fait le choix de laisser parler la personne âgée maltraitée. Il s’ensuit une longue liste d’interpellations sur le mode du tutoiement : " Tu me fais mal quand tu te moques de mes pertes de mémoire, etc… " Ces articles, dont la lecture est parfois difficile à soutenir, font "toucher du doigt" la tragique réalité de la maltraitance. Et ce n’est que secondairement que pourront être évoqués les mécanismes conduisant à ces enchaînements de violence. A partir de l’expérience de terrain d’une équipe de soins, Brigitte Van Bunnen [1] nous décrit très clairement comment l’interaction entre le soigné et le soignant peut être source de violence. Les soignants sont fréquemment exposés à l’agressivité des malades et " se sentir violenté comme soignant risque d’être la porte ouverte à faire violence au soigné. Or, il y a possibilité pour le soignant d’aggraver la violence ou de la diminuer ".
Inversement, tout geste soignant, même habité de la meilleure intention peut se révéler extrêmement violent. " L’excès de gentillesse, de prévenance, peut devenir violence. L’acharnement palliatif peut aussi être violent ". On peut également se reporter à la réflexion de ce patient qui hurle " ce qui est insupportable ici, Docteur, c’est l’éthique des petits plaisirs [6] ".
2.2. Violence du soin ; violence thérapeutique
Nous avons vu toute la difficulté qu’il y a à vouloir définir la violence. Qu’en est-il de la violence dans le domaine particulier qui nous occupe, celui du soin ? Guy Lebeer [7] propose des critères :
Les critères qui font appartenir ou non un acte médical à l’ordre de la violence seraient donc au nombre de trois, critères indissociablement liés : les effets de cet acte sur la prolongation de la vie, ses conséquences au plan de la qualité de cette vie prolongée, son potentiel propre de souffrances.
Si l’on prenait cette éthique au pied de la lettre, toute décision médicale devrait résulter d’une balance à effectuer entre survie, qualité de vie et souffrance induite. Pour René Schaerer [8], cette violence culmine dans l’acharnement thérapeutique, ce qui désigne " tout ce qui est ressenti comme violence inutile faite au malade pour combattre une maladie incurable ". Il souligne la violence de cette expression que l’étymologie permet d’apparenter à la vie sauvage en faisant référence au repas des fauves à la curée. Mais il souligne surtout que la société doit prendre conscience " qu’en demandant toujours plus à la médecine, on expose les malades à l’accumulation de tous les moyens possibles, qu’il s’agisse d’investigations ou de traitements ". Il constate,par ailleurs, que l’acharnement thérapeutique constitue un vrai défi pour les soignants. Au-delà de l’application des principes de proportion et de futilité, ce risque impose " une vigilance quotidienne à éviter les investigations et les traitements disproportionnés ou inutiles, particulièrement chez les malades en fin de vie ". Sans oublier pour autant combien il peut être difficile pour une équipe de voir la maladie emporter un patient avec lequel se sont créés des liens et une histoire parfois depuis plusieurs années. La tentation peut être grande de vouloir " faire encore quelque chose " . Et il souligne aussitôt comment à " c’est intolérable " peut répondre la tentation " il faut faire quelque chose " et la proposition de mettre fin à la vie du malade. Violence extrême de l’euthanasie que l’auteur aborde dans ce texte.
G. Lebeer [7] décrit les résultats cliniques d’une médecine oncologique dans des termes que l’on pourrait apparenter au " chaos " et conclue que " cette violence thérapeutique est consubstantielle de ce type de médecine, elle fait partie intégrante de la pratique cancérologique, de son sens commun clinique ". Cette violence est-elle interrogée pour autant ? " la violence comprise dans la décision médicale courante, celle qui est guidée par un souci de guérison, n’est pas interrogée comme telle ; elle représente une composante de la décision (…) Elle n’est pas considérée de l’ordre de l’interrogation éthique, elle est affaire de choix scientifique, (…) Ce n’est donc pas que la violence thérapeutique n’est pas interrogée, c’est qu’elle ne l’est pas sur un mode éthique… " En fait le statut éthique, et donc le questionnement éthique, ne sera reconnu que pour des violences situées à la marge de cette médecine carcinologique, en toute fin de vie par exemple. Pour ce qui se passe avant la réaction du malade sera mise au compte de son déni ou de sa non compliance . En fait on " psychologise " facilement tout ce qui face au malade, nous interdit un face à face.
3. La violence comme " manière d’être "
3.1. La médecine est-elle violente ?
La constatation de violences au cours des soins autorise à se poser la question de la violence de la médecine. Laurent Ravez [9] le constate : " Si l’on s’attache à l’aspect "atteinte physique" de la violence, il est incontestable que la médecine est bel et bien violente. Mais cette violence est non seulement acceptée socialement mais également légitimée par la loi…" Effectivement l’atteinte au corps telle que la réalise l’acte médical est non seulement légitime mais son absence, dans certaines situations liées à la maladie, serait une faute professionnelle de la part des soignants. Toutefois la médecine actuelle est souvent accusée d’une violence plus insidieuse liée à la place que le système de santé assigne au malade. Ainsi, la médecine contemporaine réduirait le patient à un objet de soins, signant ainsi l’oubli du sujet humain pourtant au centre de l’acte médical. Comment comprendre cette " objectivation " du patient " ? Cette violence ci est-elle légitime ? Pour tenter de répondre à cette question, L. Ravez [9] reprend l’évolution historique de la médecine et souligne que pour Charles Lichtenthaeler [10], la révolution conduisant à la médecine moderne s’est produite au 19e siècle sous l’impulsion de François Magendie et Claude Bernard : " Le trait marquant de cette révolution réside dans la volonté de faire de la médecine une véritable science positive au même titre que la physique et la chimie ". Pour ce faire la médecine doit " apprendre à appliquer aussi à l’organisme humain les lois qui font autorité dans le monde de l’inanimé ". Dès lors la médecine ne se contente plus d’observer, elle se doit d’agir ; d’une médecine hippocratique " expectante " elle devient médecine expérimentale "agissante ". Ainsi la démarche expérimentale fait-elle entrer le discours et la méthode objectivants des sciences dans le champ de la médecine. Pour reprendre L. Ravez [9] : " Le sujet est progressivement évacué au profit d’une mécanique corporelle objectivée ; par souci d’efficacité, le proprement humain est méthodologiquement réduit au strictement organique… La violence propre à la médecine est donc moins à chercher dans l’objectivation du vivant humain que dans l’oubli de cette réduction méthodologique ".
3.2. Une incontournable violence ?
Comme le souligne Patrick Baudry [11], la tendance actuelle de la société serait d’aller vers plus d’acceptation de la mort, " mais à la condition qu’elle ne perturbe pas… L’idéal vers quoi le système tend peut-être, c’est celui d’une mort pacifiée et individualisée ". Et l’on voit aussitôt ressurgir le fantasme de " la bonne mort ", relayé par les médias ou les proches de malades. " On dit maintenant que pour bien mourir il faut que le malade regarde sa mort en face et s’y prépare lucidement ", affirme une famille…Ce qui permet à J. Pillot [12] qui rapporte cette anecdote parmi d’autres et propose une réflexion sur " l’idéal de la bonne mort ", de titrer son article " O mort douce, quelle violence insidieuse exerce-t-on en ton nom ! ". S’agit-t’il d’une gestion pacifiée de la mort ou d’une tentative de contrôle ou de suppression du malade ? mourant ? Pour P. Baudry [11], il s’agit du même déni de la mort : déni qui se heurte au malade lui-même qui fait de sa mort en train de se faire une provocation . Pour ce même auteur apparaît ainsi une incontournable violence : " A cette logique, à cette forme de contrôle de la vie jusqu’à son terme, s’oppose toutefois ce fait banal, irréductible, de la violence de toute mort, de la violence de celui qui meurt. "
On le voit bien, si une certaine part de la violence liée à la maladie paraît incontournable, une autre violence, due au mode de prise en charge du mourant, peut se révéler être incontournable elle aussi.
3.3. Une violence symbolique
Indépendamment du fait qu’une certaine violence paraît être incontournable, toute violence doit-elle être nécessairement combattue ? Faut-il instaurer " la tolérance zéro " de la violence ? Une certaine forme de violence peut-elle être constructive ? A l’aide d’un cas clinique issu de la psychiatrie, Jean-François Malherbe [13] nous montre comment, en édictant des limites, une loi et des sanctions auxquelles elle se tient, une équipe peut sortir " de la réciprocité de la violence mimétique ". Cette règle du jeu est violente tout comme est violent l’apprentissage de la langue maternelle pour l’enfant, apprentissage qui débouchera sur une humanisation par la convivialité du langage acquis. Ainsi l’auteur identifie une forme de violence qui socialise et harmonise. Après un éclairage étymologique, il nomme cette violence : " violence symbolique ". " J’appellerai donc " diabolique " une violence qui sépare en déchirant, et " symbolique " une violence qui assemble en vue de l’harmonie. Je qualifierai aussi l’éthique, par analogie étymologique, de travail "métabolique" consistant à transformer de la violence diabolique en violence symbolique " . Certaines situations de soins palliatifs s’apparentent probablement à cette observation . Et nous percevons ici comment la réflexion éthique est un chemin vers une moindre violence [13]
4. Vers une moindre violence : parole et relation de soin ?
La plupart des auteurs, tout en dressant le constat de cette violence qui existe au cœur du soin, ne s’y résignent pas et cherchent d’emblée des pistes pour que soignants et soignés puissent aller vers une moindre violence. Comme le souligne l’éditorial d’Ethica Clinica [1], une piste récurrente est "la parole". Les professionnels de santé doivent pouvoir oser parler de leurs émotions notamment, pour que " la violence subie ne se transforme pas en violence agie ". A partir de son expérience, Catherine Diricq [14] justifie l’existence des groupes de parole et en décrit le fonctionnement : " L’hôpital est un lieu de non-tranquillité. (…) Si la violence est de structure, si elle est constitutive de l’être humain, la question n’est pas de l’éradiquer. Mais la violence est dangereuse quand elle aboutit à la destruction de l’autre ou de soi. Alors il est nécessaire de la symboliser, de comprendre, de retrouver des repères, des distances en l’autre et moi. "
Si entre les soignants il est important qu’il y ait une " parole échangée ", il est tout aussi nécessaire qu’une telle parole existe, ou du moins soit suscitée, entre malades et soignants et entre familles et soignants. Il s’agit là de la place tenue par le dialogue. Mais au delà de la parole il s’agit de la " relation de soin " qui par ce qu’elle impose au soignant et par le questionnement éthique qu’elle induit semble proposer des chemins vers une moindre violence.
Au terme de ce parcours il nous faut, tout à la fois, constater que la violence est là au cœur du soin, et ne pas nous laisser dérouter par le défaitisme. Résolument nous pouvons chercher des chemins de moindre violence sans tomber toutefois dans le piège des idéologies et en sachant qu’il restera probablement toujours une part incontournable de violence [6].
Jean-François RICHARD, Médecin,
Centre François-Xavier Bagnoud
Références bibliographiques
1. Ethica Clinica, 2002, 26
2. BAUDRY, Patrick. - Violence, soins et tiers social. JALMALV, 1996, 46
3. MICHAUD, Yves. - La violence. 1999. Que sais-je ?
4. FRAPPAT, Hélène. - La violence. 2002. GF Flammarion
5. BADEAU, Denise. Aïe, tu me fais mal ! Frontières, 2003, 15, 3
6. RICHARD, Jean-François. - Un regard sur la violence au cours de la relation de soins aux patients en fin de vie. 2002. Mémoire DIU. Lille.
7. LEBEER, Guy. - La violence thérapeutique. In : Sciences sociales et santé, 1997, 15, 2
8. SCHAERER, René. - La liberté du patient confrontée à la décision médicale. JALMALV, 1996, 46
9. RAVEZ, Laurent. - La médecine contemporaine est-elle violente ? Ethica clinica, 2002, 26
10. LICHTENTHAELER, Charles.- Histoire de la médecine. Fayard, 1978
11. BAUDRY, Patrick. - Une incontournable violence. In : La mort à vivre. Autrement,
12. PILLOT, Jeanine. - O mort douce, quelle violence exerce-t-on en ton nom ! JALMALV, 1996, 46
13. MALHERBE, Jean-François. -La question de la violence en éthique clinique. Ethica clinica, 2002, 26
14. DIRICQ, Catherine. - Violence à l’hôpital. Hôpital silence.. hôpital violence ? Frontières, 2003, 15, 3
"Oser toucher et se laisser toucher, c’est peut-être s’autoriser du bout des doigts à s’enrichir et à apprendre de nos expériences réciproques, développer notre authenticité et ainsi, à aider l’autre à trouver la sienne".
Evelyne Malaquin-Pavan (8)
LA PEAU ET LE TOUCHER
La peau est notre enveloppe corporelle. Elle a un aspect, un grain, une épaisseur, une douceur ou une rugosité qui lui sont propres. Moyen d’échange entre l’intérieur et l’extérieur de notre corps, elle a un rôle primordial de réceptivité et de protection contre les agressions extérieures. Clerget (1) la considère comme " une membrane de soutènement et de protection ; une enveloppe et une frontière "soulignant qu’ " une réaction épidermique est une réponse vive et immédiate, de surface apparemment, mais elle n’en traduit pas moins une détermination préconsciente ou une position inconsciente du sujet ". Il invite ainsi à considérer la peau comme " miroir et résumé de l’organisme ". Reprenant les propos de F. Dagognet, il considère le cerveau et la peau comme " deux êtres de surface " : la peau étant un " cerveau périphérique " et le cortex, l’écorce du cerveau. La peau est alors " une fonction d’interposition entre le sensible et le sens ".
Bonaventure (2) signale que le toucher est le premier sens qui se développe chez l’homo sapiens. Elle donne plusieurs définitions du toucher : d’abord physiologique " un des cinq sens, correspondant à la sensibilité cutanée… ", puis étymologique" entrer en contact avec, être proche de" faisant intervenir simultanément sensation et sentiment. Elle reprend les propos d’A. Montagu : " Bien que le toucher ne soit pas en soi une émotion, ses éléments sensoriels induisent des changements d’ordre nerveux, glandulaire, musculaire et mental, qui l’apparentent à une émotion ". Autton (3) évoque les contacts physiques comme " un moyen de communiquer des plus élémentaires et, de toutes les sensations, ce sont celles que l’on ressent personnellement le plus ". Lorsque l’on parle de toucher, émergent rapidement les notions de proximité, d’intimité, et logiquement, par extension de confiance, voire de sécurité.
LE TOUCHER ET LES TECHNIQUES MEDICO-SOIGNANTES
Pour Autton (3)," La maladie devient un événement traumatique ... entraînant angoisse, insécurité et perte du respect de soi,… situation de stress intense impliquant un sentiment d’isolement et de menace… " . Le patient se retrouve fragilisé par son statut de malade, confronté à un environnement qui lui est totalement étranger, dépendant des examens, du diagnostic, des soignants, et en grande demande de relation, de contact, d’écoute et de compréhension.
Pourtant face à cette fragilisation, " le développement de l’imagerie médicale,…, en rendant visible ce qui se dérobait au savoir et au regard,…, témoigne d’une mutation particulièrement marquante dans notre manière de concevoir le rapport au corps ". Vinit (4) avance la notion de " transparence du corps " et, par là-même, d’intrusion franche de la technique à l’égard du patient. Autton (3) reprend l’idée que " les techniques médicales et chirurgicales de plus en plus perfectionnées et la dépendance du patient en des appareillages mettent en évidence l’importance des rapports humains et les conflits psychologiques contre lesquels personnel et patient doivent parfois lutter ". En regard de l’évolution des techniques médicales, les pratiques soignantes ont elles aussi évoluées vers " des soins complexes de plus en plus précis et techniques,…, parfois au détriment de l’écoute du patient,…, des soins parfois assez compliqués qui découpent le corps en organes et en fonctions " Rioult (5). La situation médicale a ceci de particulier qu’elle vient bousculer la distance en vigueur dans les interactions interpersonnelles et la façon dont nous préservons habituellement notre enveloppe personnelle.
Au-delà du côté technique proprement dit, les soins infirmiers amènent à une relation très particulière au corps de l’autre. Fabrégas (6) souligne, en effet, que " dans les soins infirmiers, l’intimité avec le patient est incontournable et paradoxale. … entre attirance et dégoût, compassion et rejet, attention et indifférence, bien souvent et inconsciemment redoutée par tous ceux qui se consacrent aux corps malades ". Martin-Braud (7) évoque les blocages et les appréhensions qui paralysent. Le toucher ne peut éviter d’évoquer la sexualité, de la place qu’elle prend dans notre rapport à l’autre, des tabous qu’elle génère et de la "possibilité que nous avons d’envisager, dans notre culture occidentale, un contact physique sans implicite sexuel… " Vinit (4). Concernant les effets du toucher, Vinit (4) rapporte que " placé du côté de l’impensable ou marqué du signe du soupçon, il porte souvent le risque d’une confusion des identités, d’une emprise possible sur l’autre ou d’une effusion affective impossible à gérer ". Tous les auteurs évoque la notion de refuge derrière des soins techniques purs et durs (technicité-rempart pour Vinit (4)), amenant " au contact avec le corps de l’autre derrière la barrière de blouses, des masques, des gants " comme le constate Dien (7), ne laissant que peu de place à la relation. Car celle -ci peut amener à la mise en confiance, voire à la confidence. Comment, alors, gérer les émotions ? Comment répondre aux questions ? Dien (7) pose aussi cette question " Jusqu’où pouvons-nous, devons-nous aller ? " et avance : " nous, soignants, recevons le corps de l’autre avec nos angoisses, nos transferts et nous devons les aider, les toucher, les " nurser " alors que nous sommes confrontés à nos propres sentiments de pitié, de compassion, d’empathie, de sympathie, de dégoût, d’amour… sentiments mêlés, parfois contradictoires, souvent difficiles à contrôler… ".
UNE PRATIQUE DE SOIN : LE TOUCHER
" Parce que les moindres de mes gestes techniques s’accomplissent par un contact de mes mains avec le corps malade " Martin-Braud (7). Malaquin-Pavan (8) émet l’hypothèse que " de nombreux soignants ont l’intuition que certains gestes peuvent calmer, mais peu d’entre eux osent les poser comme de " vrais " gestes professionnels ". En tout état de cause, " le toucher fait entrer le soignant dans l’intimité du soigné. Pour être accepté et acceptable, cette intimité doit être protégée par une éthique humaniste. Il faut reconnaître et protéger l’autre en respectant ses limites, en évitant de l’envahir, et en le rendant actif dans le sens de son autonomie,…, en favorisant son bien-être et non en l’enfermant dans une relation de dépendance " Rioult (5). " Entre envie et appréhension, ces moments peuvent être un vrai temps privilégié de partage. Mais pour que ce soit plaisir, et plaisir partagé, il faut que le soignant soit disponible, qu’il soit persuadé de l’importance de ses gestes, qu’il prenne le temps nécessaire pour le faire et qu’il ait envie de le faire, car ces soins n’ont aucun support technique ; pour les soignants, ce sont des " soins nus " où leur personnalité est mise à jour et pour le soigné, c’est la dignité même qui est prise ou non en considération " Dien (7).
Pour que le toucher ait cette dimension de pratique de soin, plusieurs critères s’avèrent nécessaires :
l’intention : " avoir envie ". Comme Rioult (5) le rappelle, " l’intentionnalité à l’œuvre dans un soin concerne un toucher ponctuel, limité dans le temps et l’espace, qu’une qualité de contact prolonge tout autant qu’il la précède, le geste prenant appui sur une " atmosphère relationnelle ". Vinit (4) confirme qu’"un toucher intentionnel, qui saisit que la moindre demande peut être le vecteur d’une relation humaine, est alors facteur important de qualité de vie pour les patients, une occasion d’atténuer la fragilisation induite par la maladie et de manifester concrètement le souci actuel d’éthique ". la disponibilité : la présence. Rioult (5) insiste sur le geste de l’infirmière qui doit être "habité, ...sinon le receveur le perçoit comme mécanique et sans grand intérêt " la réciprocité : donner et recevoir, toucher et être touché. Rioult (5), encore, considère l’infirmière comme habituée plus à donner et à prendre en charge l’autre que de recevoir. Le patient à qui l’on donne (du temps, de l’écoute, de l’attention, du bien-être) va se sentir suffisamment en confiance pour exprimer ses sentiments face à ce qu’il vit. Vinit (4) souligne " la douceur d’une toilette, le plaisir de soins cosmétiques ou même l’attention présente au cœur de l’acte clinique, si leur exécution confirme et reconnaît le patient comme être de relation et de langage, ... ils peuvent éveiller les confidences, le besoin d’un dialogue ou les souvenirs engourdis au creux de la peau ". Clerget (1) aborde l’aspect psychanalytique du toucher, la notion d’abandonner et de laisser aller. "S’abandonner, c’est adopter l’Autre, c’est prendre le risque d’être adopté, celui aussi de s’adopter. S’adopter, c’est s’abandonner à l’Autre, s’accueillir soi-même, ce qui n’est pas possible sans l’Autre ". le savoir-être et le savoir-faire. Si c’est dans le regard du soignant que le malade appréhende bien souvent sa déchéance physique, Dien (7) précise que c’est aussi dans ce regard "qu’il cherche la confirmation de ce qu’il sent, de ce qu’il sait ainsi que le réconfort et le courage de continuer ". E.Malaquin-Pavan (9) insiste, elle aussi, sur ce travail sur le regard. mais aussi sur ce que le toucher peut représenter pour soi, pour l’autre. Elle insiste sur la "juste distance" afin d’être à l’écoute et d’adapter son geste et sa présence, dans le respect le plus total de son intimité. Aiguesparses (10), l’intégration des familles par l’équipe soignante procède d’une participation active : il faut ETRE auprès des proches pour les aider à ETRE auprès du patient ". ses propres ressources nécessaires. Car comme le remarque Rioult (5)" tous ces soins de proximité et de contact demandent à l’infirmière de disposer d’un capital suffisant de bien-être et de stabilité ainsi que d’avoir la connaissance des mécanismes de défense en jeu dans la relation " soignant-soigné ". Il s’agit encore de cette "bonne distance .... non pas géographique mais psychologique " Dien (8), afin de n’exercer aucun pouvoir sur " SON " malade, qui appartient d’aucune façon au soignant.
Malaquin-Pavan (9) synthétise les multiples apports du toucher pour le soignant : "le toucher lui permet de prendre conscience de sa potentialité de communication, il induit un travail de connaissance de soi, autorise à reconnaître l’espace de liberté nécessaire à chacun pour évoluer sereinement, à connaître et à respecter les différences, à redécouvrir une certaine disponibilité, une réelle chaleur humaine empathique... différente de l’affectif". Enfin, pour Vinit (4) " le toucher en milieu de soin met en jeu un savoir-être couplé d’un savoir-faire, s’adressant à la fois à un corps de peau et à un corps de lien, introduisant celui qui le reçoit comme celui qui le donne dans une réciprocité proprement humaine ".
Plusieurs des auteurs cités sont des acteurs des soins palliatifs. Sans limiter la pratique du toucher et ses bénéfices (pour les patients, leur entourage et les soignants) strictement aux soins palliatifs, cette pratique y est plus courante, avec une attention particulière. L’objectif des soins est modifié, ils ne sont plus dans une démarche curative. Le confort, le bien-être, la qualité de vie sont des notions récurrentes dans ce domaine. Malaquin-Pavan (9) s’interroge sur la capacité du soignant à être simplement présent dans un accompagnement de fin de vie, sans se retrancher systématiquement derrière derrière un acte de soin. Le besoin de sécurité et de protection entraîne, pour Autton (3)"un état de régression émotionnelle où l’on saisit toutes les occasions de prendre une main ou un bras, en s’accrochant avec la même ténacité qu’un enfant qui a peur..." Les auteurs insistent sur le manque de formation au-delà des peurs engendrées par la proximité des corps et le franchissement de la barrière de l’intimité. Les formations au toucher-massage sont un des moyens d’aborder différemment le patient, de découvrir et de pratiquer une autre dimension du soin car comme le souligne Rioult (5) : " le soignant n’ose pas, il manque de confiance en soi ". Il semble important de réinvestir le rôle propre de l’infirmière une " démarche de soins, porteuse de sens " décrite par Rioult (5) et bien évidemment une prise en charge du malade dans sa globalité (" son corps, sa maladie, ses habitudes, ses sentiments, ses valeurs, ses croyances et son entourage " Dien (7)).
CONCLUSION
Fabergas (6) distingue le corps du malade " objet de soins ", facile à appréhender pour le soignant du corps " sujet de soins " qui alors sème le trouble. "Ce corps, sexué, le soignant peut choisir de l’ignorer, renforçant alors le tabou de l’intimité et perdant par là- même une grande partie de ce qui fait la richesse de son rôle " . Interrogeons-nous avec Malaquin-Pavan (9) sur ce que nous faisons au quotidien et avec C. Rioult (5) sur comment s’investir autrement dans les soins pour se sentir " acteur d’une mission de soin élargie " Vinit (4) rappelle que " le toucher du corps, tissé de respect pour celui qui l’accepte en confiance, est une dimension d’un contact plus large, d’une capacité d’écoute et de disponibilité au mystère de l’autre ".
Essayons de prendre du temps, pour s’ouvrir, pour accueillir et pour découvrir ce que l’autre a à nous apporter autant que ce que nous pouvons lui apporter.
Pascale Charpentier, Infirmière, Centre François-Xavier Bagnoud
Références bibliographiques
1. Clerget, Joel. La main de l’autre, le geste, le contact et la peau : approche psychanalytique. Erés, 1997
2. Bonaventure, Emmanuelle. Le toucher : considérations théoriques et pratiques en unités de soins palliatifs.Université de Louvain la Neuve. Licence de kinésithérapie, 1998
3. Autton, Norman. L’usage du toucher dans les soins palliatifs European journal of palliative care 1996 ; 3(3):121-124
4. Vinit, Florence. Le "toucher" en milieu de soin, entre exigence technique et contact humain.Histoire et anthropologie 2001 ; 23 : 131-141
5. Rioult, Catherine. Le toucher relationnel pour enrichir la pratique. Soins 1998 ; 628:25-29
6. Fabregas, B. L’intimité et la relation soignant-soigné. Soins2001 ; 652 :31-51
7. Martin-Braud, Thierry. Le toucher, geste technique ou qualité soignante. Soins 2002 ; 662:21-23
8. Dien, Marie-Jeanne. Soins du corps : ils déterminent la qualité des derniers moments de la vie. Revue du praticien 1992 ; 189:19-22.(Médecine générale)
9. Malaquin-Pavan, Evelyne. Le toucher au coeur des soins Ouvertures 1996 ; 81 :3-5
10. Aiguesparses, Catherine. Participation des familles.4ème journée régionale de soins palliatifs et d’accompagnement.Société régionale Auvergne d’accompagnement et de soins palliatifs, 2001
En français, les mots « deuil » et « douleur » sont issus du verbe latin dolere (souffrir).
Un seul terme désigne dans la langue française plusieurs aspects du deuil. Ainsi, le deuil nomme à la fois « la mort d'un être cher » et l'affliction profonde causée par cette irréversible disparition ; il désigne d'autre part les manifestations extérieures, les rituels consécutifs à un décès de même qu'une période, « temps durant lequel on porte le deuil ». Enfin, il représente le processus psychologique évolutif consécutif à la perte ou « travail de deuil ». Par extension, on applique ce terme à toute perte ou frustration : « faire son deuil » (Dictionnaire Robert).
La langue anglaise est plus riche. Trois substantifs s'appliquent au mot « deuil » : bereavement (il s'agit de la perte elle-même, de la séparation, de la dépossession), grief (ce terme décrit la tristesse éprouvante, le chagrin, la douleur), mourning (ce mot désigne le fait de porter le deuil ou de participer aux funérailles) [Bourgeois, 1996 ; Bacqué, Hanus, 2000].
Evolution des manifestations à l'égard du deuil en France
Les attitudes qui suivent la mort d'un individu ont toujours été codifiées par les différentes sociétés humaines (Bacqué, Hanus, 2000). Ainsi, le deuil social s'attache à l'ensemble des attitudes et comportements rigoureusement dictés par la collectivité à tous ceux qui sont concernés par le défunt, quel que soit le lien affectif qu'ils ont entretenu avec lui (Thomas, 1993). Le deuil social a des effets sur les manifestations individuelles de la tristesse.
Comme le rappelle Pillot (1993), l'expression émotionnelle du deuil s'est traduite de diverses façons en France.
Au début du Moyen Age, les manifestations du deuil accordaient une place considérable à l'émotivité ; la spontanéité et la décharge des émotions des survivants étaient prédominantes. Néanmoins, le deuil, très visible au cours des cérémonies de la veillée et de l'enterrement, durait peu de temps. Toutes ces manifestations ne peuvent être considérées comme un rituel, bien que les scènes de deuil soient semblables à cette époque.
A partir du XIIème siècle et jusqu'à la fin du Moyen Age, il n'est plus admis, ni courant, de laisser libre cours à son chagrin. La spontanéité et l'expression de la douleur s'atténuent, la dignité et le contrôle de soi sont des attitudes recommandées et attendues par les conventions sociales. Ce qui s'avère désormais inexprimable par des mots ou par des gestes le devient par la couleur. « L'habit noir exprime le deuil et dispense d'une gesticulation plus personnelle et dramatique » (p. 33). Le port de vêtements noirs se généralise au XVIIème siècle.
De la Renaissance au XVIIIème siècle, les manifestations sociales deviennent de plus en plus réduites, après la période de deuil, « bref délai accordé par l'usage », aucune manifestation personnelle de tristesse n'est autorisée. Le d ; euil se révèle ritualisé et socialisé à l'extrême, il entrave l'expression de ce que l'individu éprouve devant la mort. « Le deuil joue un rôle d'écran entre l'homme et la mort » (p. 34).
De la fin du XVIIIème siècle à la fin du XIXème siècle, la société accorde un primat au sentiment. Les règles et les limites de l'expression s'effacent. Cette évolution s'est faite brusquement sur deux générations, alors que les précédentes attitudes s'étaient prolongées sur plusieurs siècles. Les deuils s'expriment durant des années, on nourrit son deuil. Il existe même un culte de la communication avec le disparu.
A partir de la deuxième partie du XXème siècle, la discrétion caractérise les funérailles, si bien que peu d'éléments les signalent à la communauté sociale. Le rejet du deuil est une caractéristique de notre société contemporaine : « Après les funérailles et l'enterrement, la douleur du regret peut subsister au cœur secret du survivant. La règle est aujourd'hui, dans presque tout l'Occident, qu'il ne doit jamais la manifester en public ». Un comportement discret, une adaptation immédiate à la poursuite d'une vie normale, sont exigés de la part de l'endeuillé, faute de quoi celui-ci peut se sentir vite gênant ou exclu. Les codes, permettant de manifester des sentiments généralement inexprimés, ne subsistent guère. Cette attitude est considérée comme un trait significatif de notre culture. La société refuse de participer à l'émotion de l'endeuillé ce qui traduit cette tentative de nier la présence de la mort. Le deuil s'avère par conséquent dénigré : il s'apparente à une maladie, celui qui le montre dévoile sa faiblesse de caractère. Parallèlement à ces comportements où les sentiments sont refoulés et les rites inexistants, on relève combien cette attitude sociale apparaît préjudiciable à l'individu endeuillé qui n'a plus les moyens de vivre son deuil.
Pillot rappelle combien l'analyse de Ariès montre comment dans notre siècle, l'endeuillé se retrouve démuni dans le vécu de son deuil, n'ayant ni la possibilité d'extérioriser sa détresse et ses sentiments comme au Moyen Age ou au XIXème siècle, ni les rituels destinés à une expression et une reconnaissance sociale du deuil, lorsque les émotions doivent être tues.
Le deuil s'est donc manifesté différemment, selon les époques, en fonction de codes sociaux qui eux-mêmes ont une influence sur le vécu psychologique de l'endeuillé.
Le déroulement du deuil normal sur le plan psychologique
C'est au XXème siècle que le deuil en tant qu'état émotionnel va devenir un objet d'étude et que l'on va tenter de cerner son rôle dans la psychologie humaine.
Même si l'on constate quelques différences dans les descriptions de l'état de deuil, il existe un relatif consensus quant au déroulement du processus de deuil. Bowlby et Parkes (1970) établissent la première description cohérente des phases de deuil : obnubilation, nostalgie, désorganisation et désespoir, réorganisation. Celles-ci ont fait d'ailleurs l'objet de comparaison avec les stades psychologiques observés chez les patients en fin de vie, décrits par Kübler-Ross (1969) : déni, marchandage, colère, dépression, acceptation.
Le deuil représente un phéno ; mène normal bien qu'il prenne en son début tous les aspects d'une affection pathologique. Les auteurs s'accordent à reconnaître un début, une période centrale et un terme dans le déroulement du deuil, défini en trois grandes étapes.
1. L'état de choc ou de sidération
L'état de choc représente le tout premier temps, il est manifeste lorsque la mort frappe brutalement, de façon inattendue et inhabituelle. Néanmoins, on le repère également dans les cas de maladie grave évolutive, lors de la prise de conscience que l'être aimé va mourir. Il s'agit d'un choc qui se répercute sur l'ensemble de la personne et s'exprime sur tous les plans : la santé physique, la vie affective, les relations sociales. Il se traduit par un abattement et des manifestations émotionnelles aiguës. La sidération mentale se joint à l'arrêt de toutes les fonctions psychiques. Les cris, les hurlements rendent compte d'une véritable stupéfaction et d'un refus de la réalité. La sidération agit à trois niveaux : les affects se révèlent anesthésiés, les perceptions émoussées, l'organisme est paralysé physiquement comme intellectuellement (Bacqué, Hanus, 2000).
Très rapidement, s'installent des comportements de recherche. Les cris, les appels en constituent le premier mode. Selon Hanus (1976), « Ils signeraient une régression vers les comportements du nourrisson qui appelle désespérément sa mère jusqu'à l'épuisement ». Ces comportements vont progressivement s'organiser ou s'inhiber. L'envie de chercher cède la place à l'agitation intérieure et l'incapacité à agir efficacement. Celle-ci peut se transformer en une quête d'objets symboliques ou de parole du défunt. La tendance à interpréter tout signal ou perception comme émanant de la personne décédée conduit à de véritables illusions perceptives. L'obnubilation est en cause, de même que le désir profond de la revoir.
Les premiers temps du deuil sont très souvent marqués par la colère et le ressentiment. L'endeuillé se sent abandonné par le défunt. L'ambivalence propre à toute relation d'objet s'avère à l'origine de cette hostilité inconsciente. Les désirs de mort à l'encontre de l'objet aimé peuvent être verbalisés et donner lieu à une progressive désidéalisation du défunt. La persistance de la colère signerait le refus du caractère irréversible de la perte et l'espoir de tenter encore de le retrouver. La prise de conscience qui ponctue l'état de choc se produit dans un état de fatigue intense.
L'angoisse, les recherches, l'expression de la colère représentent une dépense d'énergie très élevée. La survenue des pleurs offre alors une voie de décharge somatique adaptée. Cependant, seul le travail de la pensée lors de la remémoration rend possible l'abandon de comportements mécaniques au profit du travail de deuil.
2. L'expression du chagrin du deuil
La phase considérée comme la plus importante du deuil est l'état dépressif réactionnel qui se met en place avec le retour du principe de réalité. Les signes habituels de la dépression se partagent trois domaines : somatique, intellectuel et affectif (Bacqué, 1992).
Les altérations somatiques se caractérisent par des troubles de l'appétit et une anorexie transitoire qui font part ; ie de cet état dépressif ; ils rendent compte de la perte de plaisir et de l'intérêt de manger. De plus, la fatigue intense conduit à une apathie générale, à un désinvestissement des occupations antérieures qui semblent désormais dérisoires. Enfin, les troubles du sommeil sont fréquents, les rêves se révèlent souvent perturbants.
Les altérations intellectuelles proviennent d'un affaiblissement des performances cognitives avec une diminution de l'attention et de la concentration, des pertes de mémoire à court terme qui accentuent l'isolement de la personne.
Les troubles sur le plan affectif se caractérisent par une humeur sombre et une sensibilité exacerbée à tout détail évocateur du défunt. Les alternances émotionnelles, de la douleur du manque à l'exaltation de ses souvenirs, évoquent une certaine inconstance des sentiments de la part de l'endeuillé. La culpabilité, jamais destructrice comme dans la mélancolie, fait regretter à l'endeuillé de n'avoir pas pu prévenir l'accident ou éviter l'issue fatale. Elle conduit parfois à la révolte contre la conjonction d'événements qui ont mené au décès de l'être cher. L'inhibition s'avère considérable tant l'endeuillé semble être ailleurs et souvent avec le défunt.
Cette centration de l'endeuillé dans son isolement rend compte du travail psychique intense auquel il se livre pour se détacher de l'objet aimé. Peu à peu, il va devoir reprendre mentalement tous les actes accomplis en commun, tous les souvenirs, pour réduire la quantité d'énergie qui y a été attachée. Le grand nombre de ces opérations mentales justifient la longueur du travail de deuil (Bacqué, 1992).
Cette phase dépressive tient par conséquent une place fondamentale dans le travail de deuil ; elle s'avère irréductible. Elle dépend d'une part de la personnalité de l'endeuillé, d'autre part de la relation établie avec le disparu. Elle est soumise aux conditions du décès et de son annonce. Le statut du défunt est prépondérant. Enfin, le soutien que pourra offrir l'entourage apparaît essentiel.
3. L'achèvement du travail de deuil
Le deuil se termine lorsque la personne peut évoquer l'être perdu sans s'effondrer, regarder des photos ou écouter de la musique autrefois partagée avec le défunt. Alors que la période dépressive s'estompe, l'univers de l'endeuillé est ouvert à un réaménagement, les souvenirs sont classés, les objets peuvent être donnés, l'espace peut être utilisé par les vivants. Ces changements provoquent parfois un sentiment de joie et de liberté, vécu au début avec une certaine culpabilité, puis progressivement accepté.
L'acceptation de la mort de l'autre se manifeste par une récupération des facultés entravées par la dépression. Le signe de l'accomplissement du travail de deuil s'avère la reconnaissance de la possibilité de profiter de la vie (Bacqué et Hanus, 2000). Il y a de nouveau investissement de la libido dans un objet - une personne ou une activité - qui rend compte de cette capacité à créer des liens.
L'ambivalence à l'égard de l'objet perdu doit également être reconnue, sinon l'intériorisation psychique de ce dernier sera impossible. La reconnaissance des qualités et des défauts de l'autre apparaît malaisée au ; début, cependant après une période d'idéalisation, les souvenirs négatifs seront identifiés de même que l'agressivité provoquée chez la personne.
Néanmoins, la fin du deuil normal n'aboutit nullement à l'oubli. Il persistera toujours une trace des bouleversements vécus lors du deuil. Cette cicatrice sera particulièrement sensible aux périodes anniversaires de la mort qui révèlent parfois une résurgence de certaines manifestations décrites plus haut. Dans tous les cas, un deuil conduit jusqu'au bout produit une maturation de la personne ; elle ne sera « plus jamais comme avant », mais elle peut transformer en enrichissement, affectif comme intellectuel les épreuves passées (Bacqué, 1992).
Ainsi, en tant que réaction habituelle à une perte, le deuil emprunte un cours qui, même si l'on s'efforce de trouver un modèle généralisé, n'en reste pas moins singulier en fonction de chaque situation et de chaque sujet, imprimant une évolution et une allure spécifiques.
Les deuils compliqués et les pathologies du deuil
Supporter l'angoisse de mort provoquée par la perte, traverser les conflits qu'elle réactive, céder parfois aux régressions pour réduire les tensions sont les uniques moyens de retrouver ses aptitudes physiques et psychiques. Cependant, cette capacité de réorganisation s'avère moins fréquente que l'on pense.
Deux types de situations cliniques font l'objet de distinction : les deuils « compliqués » d'une part et les deuils pathologiques d'autre part. Bourgeois (1996) souligne qu'ils sont d'ailleurs souvent confondus ou associés dans la littérature. Dans le premier cas, la perte est connue et la réaction du sujet à cette perte ne se soumet pas au modèle des étapes et de la symptomatologie du deuil « normal » selon les formes culturellement reconnues : les manifestations en sont excessives, atypiques, non résolutives ou bien le deuil paraît absent et la personne ne semble pas en souffrir. Des complications entravent le déroulement habituel du travail de deuil, mais ne conduisent pas à une maladie mentale caractérisée. Les complications du deuil, si elles se prolongent, peuvent cependant devenir de véritables pathologies du deuil. Ces pathologies comprennent les deuils psychiatriques (décompensation), mais aussi selon certains auteurs des troubles déclenchés a posteriori, comme l'alcoolisme ainsi que des pathologies somatiques ou comportementales (Bacqué, Hanus, 2000).
Les deuils compliqués
Les deuils compliqués interrogent la nature et les critères de la normalité. Jusqu'à quel point un deuil peut-il être considéré comme normal ? A partir de quels éléments juge-t-on qu'un deuil est en train de se compliquer ? Hanus (1993) souligne combien la normalité est une question d'équilibre relatif dans son fonctionnement personnel et dans ses relations avec les autres et la société. L'appréciation d'une éventuelle complication ne peut être que dynamique et fonctionnelle.
Les complications du deuil sont liées au temps et à toute une série de facteurs comme l'âge, le sexe, la brutalité de la perte, etc. Le deuil peut être bloqué à plusieurs niveaux, selon Bacqué et Hanus (2000) : au moment de l'annonce du décès, c'est un deuil traumatique ; ; lors de la phase dépressive, c'est une dépression réactionnelle majeure au deuil. Plusieurs études suggèrent que la prévalence des deuils compliqués parmi l'ensemble des endeuillés serait de 20%. Contrairement au deuil non compliqué, ils n'auraient pas tendance à la résolution spontanée avec le temps et nécessiteraient une prise en charge spécifique. On retrouve catégorisées dans la littérature, diverses formes de deuils compliqués.
Le deuil différé
Le refus de la réalité de la perte persiste dans le temps et diffère l'installation de la dépression. La personne en deuil esquive toute question à ce sujet et poursuit une activité intense ; les actions quotidiennes du défunt sont entretenues, ses objets préférés conservés dans la maison. La mécanique du rituel entretient le déni de la mort. Les rituels envahissent progressivement l'endeuillé. La dépression retardée surgira inévitablement lors d'un événement réactivant le traumatisme de la perte ou à la suite d'une élaboration personnelle dégageant l'accès du travail de deuil et relâchant les tensions.
Le deuil inhibé
Dans ce cas, l'endeuillé ne réfute pas la réalité de la perte, mais refuse les affects qui y sont associés. Les perturbations émotionnelles sont au second plan, dissimulées derrière une symptomatologie somatique. Le deuil inhibé serait un deuil différé dont les défenses beaucoup moins efficaces se manifesteraient dans le corps (Bacqué, Hanus, 2000). Les enfants en deuil présentent ces attitudes oscillant entre agitation, impulsivité et inhibition ou indifférence. L'absence de chagrin ne pouvant persister très longtemps, une dépression inexpliquée doit-signifier un deuil inhibé.
Le deuil chronique
La tristesse et les symptômes dépressifs ne s'amenuisent pas. Les idées du registre de la dépression sont courantes : la culpabilité, les reproches envers soi-même, le chagrin important, le retrait, la détresse et l'omniprésence du défunt dans les pensées du sujet. Il peut s'agir d'un deuil ne s'inscrivant pas sur la certitude de la mort (défunt présumé, disparu, absence de cadavre visible) ; le deuil ne peut s'élaborer faute de réalité suffisante de la mort. Selon Bacqué et Hanus (2000), une forte ambivalence est souvent à l'origine de ces deuils chroniques.
La dépression majeure réactionnelle au deuil
Une autre possibilité de deuil prolongé correspond à la persistance d'affects dépressifs extrêmes au-delà du premier temps de douleur intense liée à la perte. Elle est signalée dans le DSM-III R (1987) et reprise par le DSM-IV (1994) (Diagnosis and Statistical Manual of Mental Disease) : il s'agit du « deuil compliqué par la dépression ». Selon l'actuelle classification internationale des maladies de l'OMS (CIM-10, version française 1993), ce type de deuil est classé comme « réaction dépressive prolongée ». Un traitement se révèle indispensable lorsque deux mois après la perte, le sujet est encore plongé dans une dépression majeure avec baisse de l'estime de soi et idées suicidaires. Il est précisé dans le DSM-IV que les antidépresseurs agissent sur les symptômes dépressifs mais nullement sur ceux du deuil.
Bacqué et Hanus (2000) relèvent plusieurs facteurs de complication ; s du deuil.
La nature du deuil est fonction des relations unissant le défunt et l'endeuillé. Si ces liens étaient précaires, basés sur la dépendance, conflictuels, ambivalents, le deuil sera d'autant plus complexe. Les souhaits inconscients de mort, qu'il s'agisse d'un conjoint, d'un enfant ou d'un parent, sont toujours réactivés par le décès. Ils se transformeront en culpabilité qui peut geler le travail de deuil et conduire à de graves complications. Dans la plupart des cas, l'agressivité est projetée vers l'extérieur, récriminations et critiques s'adressent à l'entourage du défunt. Parfois, l'agressivité se dirige vers l'endeuillé, il s'agit d'une complication de la phase dépressive du deuil. Cette dernière peut perdurer et se traduire par des actes : isolement, pertes des repères sociaux, marginalisation.
Par ailleurs, plus le deuil est inattendu, plus le risque de complication est grand. La mort subite est un événement déstabilisant qui perturbe le cours normal de la vie. La sidération est beaucoup plus importante et offre moins de chance de réadaptation. La perte brutale par suicide plonge dans la détresse et la culpabilité. Etre témoin de la mort, si l'on n'y est pas préparé est aussi terrible. La situation et l'absence de secours s'avèrent très traumatisante ; la culpabilité d'être toujours en vie et ne pas avoir empêché la mort de l'autre est très forte.
La manière dont le décès est annoncé peut également constituer un traumatisme ; la nouvelle donnée par des étrangers est plus difficile à croire.
Les jeunes adultes endeuillés souffrent davantage de culpabilité et manifestent plus d'angoisse et de symptômes somatiques que les personnes âgées. Le déni initial est plus fréquent chez celles-ci alors que l'inhibition et la fatigue favorisent le retrait social et l'abandon des activités.
Les deuils répétés fragilisent la capacité de l'individu à supporter les coups portés par la vie. Les deuils antérieurs mal résolus sont réactivés pendant le deuil actuel. Le cumul des pertes influence la confiance en soi.
Les endeuillés en mauvaise santé sont soumis d'emblée à des risques de complications somatiques, le deuil favorisant le laisser-aller à des comportements délétères. Le chômage est un facteur de complication car il se cumule aux autres pertes. Enfin, l'entourage peut compliquer le travail de deuil en refusant l'expression émotionnelle et en maintenant l'endeuillé dans la culpabilité. Si l'entourage refuse de dire la vérité à un enfant, ne propose pas de revoir le défunt ou l'abandonne à ses propres explications, cela augmente le risque de complications qui seront d'autant plus néfastes qu'elles se traduiront par le silence.
Les pathologies du deuil
Selon Bacqué et Hanus (2000), l'appellation « pathologies du deuil » est réservée à de véritables maladies survenant au cours du deuil chez les personnes qui en semblaient exemptes jusqu'alors. Il s'agirait non pas de la décompensation d'une affection préexistante, mais du déclenchement d'une maladie mentale caractérisée ou d'une maladie somatique après un deuil, de même que des comportements nocifs représentent une pathologie du deuil. Le risque serait de penser que le deuil est ; la cause de la maladie alors qu'il n'en est que le facteur déclenchant.
Sur le plan de la santé physique, le deuil est un facteur significatif d'augmentation de la mortalité dans la population générale. Des travaux cités par Hanus (1993) ont fournis certaines indications :
* - la mortalité apparaît nettement plus importante chez les hommes que chez les femmes ;
* - elle s'exprime surtout au cours des deux premières années, mais peut continuer à manifester ses effets bien plus tard ;
* - cette mortalité apparaît plus importante chez les personnes séparées ou divorcées, ce qui amène à faire l'hypothèse que la mortalité du deuil doit se trouver dans les perturbations de la relation préexistante.
La morbidité du deuil est reconnue dans le champ de la pathologie cardio-vasculaire (Hanus, 1997). Le rôle étiologique du deuil est possible dans d'autres pathologies, il a été souvent affirmé mais se révèle difficile à démontrer. C'est le cas pour les affections où semble exister une composante psychosomatique ainsi que dans la survenue de cancers. Le deuil ne constitue que le facteur déclenchant d'une pathologie sous-jacente jusqu'alors méconnue.
Sur le plan psychologique, les manifestations morbides du deuil dérivent directement de la personnalité de l'endeuillé qui jusque là était relativement compensé. Il s'agit d'affections assez rares. Hanus (1997) distingue diverses formes. Les deuils pathologiques les plus fréquents sont les deuils névrotiques, hystériques et obsessionnels. Dans ces deux cas, il existe une période de latence de durée variable avant l'installation d'un état dépressif sévère et durable. Les manifestations névrotiques s'installent plus tard alors que le syndrome dépressif s'améliore. L'affection s'installe dans la chronicité.
Dans le cas d'un deuil hystérique, « la personne refuse de quitter son défunt et s'installe à son insu dans un état de dépression grave qui s'accompagne de comportements autodestructeurs francs ou larvés. » L'identification ambivalente à la personne décédée joue un rôle prévalent et en définitive destructeur.
Les deuils obsessionnels sont souvent graves. L'endeuillé obsessionnel se maintient entre la vie et la mort dans une vie de plus en plus rétrécie et contrôlée tandis qu'il ne cesse de souffrir à l'intérieur de lui-même.
Il est plutôt rare qu'une psychose maniaco-dépressive soit révélée au cours d'un deuil, dans la mesure où l'incidence de cette pathologie s'avère limitée dans la population générale et que ceux qui en sont atteints ne font pas tous un deuil pathologique. Le deuil mélancolique est une forme délirante de dépression du deuil. La culpabilité et l'auto-dépréciation sont exacerbées. L'endeuillé se couvre de reproches et d'injures, il en appelle au châtiment suprême. Le deuil maniaque est moins exceptionnel qu'on a tendance à le croire (Hanus, 1993 ; Bourgeois, 1996) ; l'humeur exaltée, expansive se retourne rapidement en humeur triste et en retrait mélancolique. Le déni est total avec assez rarement des idées de toute-puissance ou de mysticisme. Quant aux deuils délirants, ils sont plutôt rares et prennent la forme de délires paranoïaques.
Si le processus de deuil peut ainsi ; connaître différents avatars chez l'adulte, il révèle une certaine spécificité chez l'enfant.
Le deuil chez l'enfant
Le deuil s'avère plus ardu pour l'enfant dans la mesure où toute son énergie est d'abord consacrée à son développement. Ainsi, une partie du travail de deuil sera toujours différée et reprise à la fin de l'adolescence. De plus, il ne peut engager un véritable travail de deuil que lorsqu'il commence à comprendre que la mort est une séparation définitive.
Les idées des enfants à propos de la mort diffèrent de celles des adultes, elles se construisent en fonction de leur degré de maturation, au contact de ce qu'ils entendent de la mort dans leur entourage, en famille, à l'école, à la télévision et de ce qu'ils en expérimentent. Pour l'enfant, la mort ne s'avère ni naturelle, ni irréversible, elle est d'autre part contagieuse. Ces conceptions peuvent avoir une incidence particulière sur le travail de deuil. Progressivement, les enfants acquièrent une notion plus réelle de la mort et ceci selon un ordre déterminé. L'irréversibilité de la mort commence à être comprise vers quatre ans, mais pouvoir l'accepter nécessitera encore du temps.
Au cours du deuil, la dépression de l'enfant se manifeste de façon spécifique : elle est surtout comportementale et peut avoir des retentissements somatiques. Les enfants, tout en sachant que leur proche est mort, continuent de vivre avec l'espoir de son retour et maintiennent un contact avec lui. Ce « parent imaginaire » ne semble pas une complication, comme ce serait le cas chez un adulte, mais apparaît nécessaire pour son développement ; il ne sera délaissé qu'à la fin de l'adolescence. Il n'est pas rare que les enfants en deuil mettent en scène la mort dans leurs jeux. Il est important qu'un enfant en deuil puisse exprimer ses émotions, ses sentiments et cela est possible dans la mesure où on l'y autorise.
Les enfants traversent aussi les étapes du deuil, mais à leur façon. Ils doivent reconnaître la réalité de la perte, cependant leur sens de la réalité n'est pas celui d'un adulte. En effet, l'enfant ignore les contradictions : on peut être vivant et mort en même temps. Ainsi, il peut savoir que leur proche est mort et continuer à lui parler. Durant l'enfance, le développement psychique reposant en grande partie sur les identifications, la mort d'un parent peut laisser l'enfant pendant un temps dans un vide, en attendant qu'il puisse réinvestir ultérieurement une autre figure d'identification (Hanus, 1997). Le sentiment de culpabilité des enfants est considérable du fait que leur ambivalence est plus importante. Les enfants se sentent toujours coupables de la mort d'un de leurs proches. Il est donc important de prendre en considération le deuil d'un enfant afin de limiter de préjudiciables répercussions ultérieures.
Un rapide retour sur les principaux modèles conceptuels relatifs au deuil paraît nécessaire pour en éclairer les manifestations.
Bases conceptuelles et modèles théoriques sur le deuil
Deux écoles de pensée ont inspiré les travaux sur le deuil. D'une part, la psychiatrie descriptive, qui retrouve dans les phénomènes de deuil les symptômes et syndromes traditionnels de ; sa clinique. Elle utilise aujourd'hui les classifications admises pour la recherche (DSM-III et IV de l'APA et CIM- de l'OMS) et leurs critères diagnostiques opérationnalisés ainsi que les échelles d'évaluation de la psychopathologie quantitative. D'autre part, la psychopathologie psychanalytique, qui se réfère aux modèles et aux interprétations de Freud et de ses disciples, à la recherche des mécanismes psychodynamiques, du sens et de la fonction des symptômes. Elle a largement alimenté les réflexions et les écrits sur le deuil.
Diverses théories sous-tendent les recherches sur le deuil. J'évoquerai ici les principales.
Le travail de deuil selon le modèle psychanalytique.
Freud définit le deuil comme « la réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. » (Freud, 1986, p. 146). Cependant, s'il reprend la symptomatologie psychique classique de la mélancolie (humeur profondément triste, désinvestissement du monde extérieur, inhibition, auto-dépréciation et idées délirantes de ruine), il la rapproche de celle du deuil grave sauf pour une seule dimension : celle du trouble du sentiment de soi. Cette idée se trouve résumée dans la formule suivante : « Dans le deuil le monde est devenu pauvre et vide, dans la mélancolie c'est le moi lui-même. » (p. 150). Freud pose les bases du modèle psychanalytique du deuil ; il décrit dans son célèbre article « Deuil et mélancolie » les différences entre le travail qu'opère l'endeuillé à propos de l'objet perdu (bien réel) et l'ignorance qu'a le mélancolique à l'égard de sa perte inconsciente (perte du moi). La comparaison avec la mélancolie conduit à deux conclusions : d'une part le deuil de l'objet perdu passe par un travail conscient et inconscient de détachement, celui-ci s'avère par essence douloureux et les manifestations dépressives sont liées à la reconnaissance de la réalité ; d'autre part la dépression du deuil est normale. Bien qu'elle puisse être comparée à la dépression pathologique du mélancolique, elle s'en distingue par les faits, essentiels, que l'objet perdu est bien réel, que celui-ci ne s'avère pas totalement identifié au sujet et que l'ambivalence, plus ou moins prononcée dans tout choix d'objet, ne conduit jamais à la haine de soi (Bacqué, Hanus, 2000).
L'essentiel du travail de deuil est représenté par le détachement douloureux des liens avec le défunt. Le texte « Deuil et mélancolie » est toujours pris comme référence ; Freud y introduit pour la première fois la notion de travail de deuil.
Le deuil est considéré comme un phénomène normal. Cependant, comme tout ce qui est consécutif à un traumatisme, une élaboration psychique se révèle indispensable pour permettre une liaison entre les divers événements qui ont submergé le moi du sujet. Ce dernier entre alors dans une période de dépression et de focalisation sur l'objet d'amour perdu jusqu'à ce que - comme le soulignent Laplanche et Pontalis - « le moi, pour ainsi dire obligé de se décider s'il veut partager le destin de l'objet perdu, considérant l'ensemble des satisfactions narcissiques qu'il y a à rester en vie, se détermine à rompre son lien avec l'o ; bjet anéanti » (Bacqué, 1992). Pour Freud, le moi sert de médiateur entre les pulsions internes du sujet et la réalité du monde extérieur ; il est le siège des mécanismes de défenses inconscients élaborés pour se protéger contre l'angoisse. Ainsi, c'est à son niveau que s'opère le travail de deuil.
Freud établit une gradation entre deuil normal, deuil pathologique et mélancolie. L'état de deuil constitue une sorte de dépression normale. Le deuil normal est donc lié à des causes discernables, il présente des signes caractéristiques et trouve sa résolution d'une façon à peu près constante, après un délai relativement régulier. Le deuil sera considéré comme achevé lorsque la personne reprendra une relation affective ou bien un investissement équivalent en terme d'énergie libidinale.
Dans un deuil pathologique, l'ambivalence du sujet à l'égard de l'objet perdu le fait se sentir coupable de sa disparition et modifie le deuil en le différant ou en rallongeant sa durée. Dans la mélancolie, le moi s'identifie avec l'objet perdu et déclenche une recherche de sanction qui peut conduire au suicide.
Les travaux de Freud ont provoqué un grand intérêt chez les psychanalystes. L'article de Deutsch sur l'absence de deuil a aussi été très influent : cet auteur souligne que l'absence d'affliction est anormale à la suite d'une perte grave et risque par conséquent d'entraîner des troubles psychiques. Le passage nécessaire par la souffrance liée à la reconnaissance de la réalité de la perte est confirmé, il s'agit d'une phase indispensable pour intégrer la permanence de l'absence (Bacqué, Hanus, 2000).
Daniel Lagache montre que les rites de deuil permettent une séparation entre les vivants et les morts, limitant la culpabilité et la durée du deuil (Bacqué, Hanus, 2000).
Mélanie Klein développe un modèle fondamental avec l'idée que tout deuil est la reviviscence d'un deuil originel, celui de la séparation d'avec la mère. Cette séparation correspond à la reconnaissance du fait que la mère est « un individu qui mène une vie propre et a des rapports avec d'autres personnes » (cité par Bacqué, Hanus, 2000 : 24). Elle est contemporaine de la reconnaissance de la mère comme objet total, c'est-à-dire capable de donner le bon comme le moins bon ; la possibilité de voir s'éloigner sa mère sans se sentir abandonné va permettre à l'enfant d'explorer son univers extérieur, mais surtout psychique. La tristesse suit la désillusion ressentie à l'égard de cette mère non entièrement dévolue à son enfant, mais elle traduit aussi l'agressivité de l'enfant face à celle qui le laisse pour le retrouver. Cette phase nommée « position dépressive » est essentielle ; elle permet la maturation de l'enfant et constitue le prototype de ses réactions ultérieures à la perte.
Selon Lindemann, le sujet doit se détacher de tous les événements réels et fantasmatiques partagés avec le défunt. Toutes les situations doivent être « démontées en pensées et en souffrance » (thought through and pained through). Seul l'endeuillé peut se désinvestir (to decathect) : la souffrance est la garantie de ce détachement (Bacqué, Hanus, 2000).
La théorie de l'attachement
Elle est une déviation de la th ; éorie psychanalytique. Bowlby a fait de l'attachement un instinct humain fondamental, une pulsion autonome à construire des liens puissants et durables. Cette conception s'avère davantage « biologique », elle s'apparente aux phénomènes d'empreinte décrits par les éthologues, elle est applicable aux animaux comme aux jeunes enfants. Les effets de la séparation brutale mère-enfant ont été observés chez les jeunes primates comme chez les bébés humains. Bowlby a mis en évidence trois étapes dans les réactions de l'enfant séparé de sa mère : la protestation et la rage ; la recherche intense et le désespoir ; le renoncement (Bourgeois, 1996). Ce modèle dans lequel l'anxiété de séparation domine et précède l'état dépressif inspire considérablement de nos jours l'interprétation du deuil. La réponse naturelle à la perte est une anxiété de séparation présumant un comportement prévisible, destiné à entretenir ou à revitaliser la relation avec l'objet perdu. Les comportements de protestation puis de recherche prolongée sont retrouvés ; l'espoir d'une restauration du lien s'amenuisant, ce comportement de recherche cède la place au désespoir et au détachement. La reconnaissance douloureuse de l'irréversibilité de la perte conduit alors à un comportement de réorganisation. Ainsi, le comportement de deuil est conçu comme une série de « conduites d'attachement » : pleurs, agitation, recherche de l'objet perdu, attaques agressives de tout ce qui fait obstacle à cette recherche, maintien de la mémoire complète pour garder en soi la personne vivante.
Le travail de deuil permet au survivant de repréciser sa relation au mort et, par ailleurs, de créer des liens nouveaux et durables, tout en conservant d'une certaine façon des liens avec le défunt. La réalité exige de l'endeuillé d'accepter la perte pour une adaptation valable et pour poursuivre sa vie dans le monde réel dans lequel manque concrètement une personne essentielle. Les besoins psychologiques imposent une demande opposée de maintenir la relation perdue qui, bien qu'illusoire, reste très forte dans la réalité psychique du survivant. Il s'agit de retrouver un équilibre entre les valences de la séparation et de l'attachement, ce qui explique la fréquente et intense anxiété. La persistance d'une certaine forme de relation fournit en général un réconfort psychologique (Bourgeois, 1996).
Evénements de vie et réactions d'ajustement
(défenses et coping)
Les travaux sur les événements de vie, leur repérage, leur mesure et leur impact, ont largement inspiré les recherches. L'essentiel repose sur les « unités de changement de vie » (life change units). La recherche d'un compromis et d'un juste milieu entre l'évaluation objective extérieure des événements de vie et leur appréciation subjective individuelle a été entreprise. Divers instruments ont été conçus ; le deuil en tant qu'événement stressant figure dans les DSM-III et IV au niveau le plus élevé de gravité (Bourgeois, 1996).
Le "modèle de transition psychosociale"
Parkes a proposé ce modèle qui met l'accent sur les représentations internes du monde auxquelles les individus font appel pour percevoir la réalité et projeter leur comportement. Dans ; cette perspective, la perte est définie comme ce qui manque dans l'univers du sujet. Le deuil ne peut pas être appréhendé comme un phénomène unitaire, car l'expérience interne et externe de la perte, son intensité et son impact varient selon les personnes. Le monde, externe et interne, s'avère par conséquent modifié par la disparition d'un être « signifiant ». Une nouvelle représentation stable du monde et une adaptation à ce nouveau modèle interne sont alors demandées. La période d'adaptation correspond souvent à un retrait nécessaire pour la réorganisation du modèle intrapsychique. Le deuil, en tant que passage, nécessite souvent des rites de passages socialisés avec accès à une nouvelle identité (par exemple devenir veuf ou veuve, orphelin ...). Des résistances au changement ne sont pas rares ; durant cette phase de transition, la personne a des besoins : support émotionnel, protection pendant la phase de vulnérabilité et assistance pour l'expérimentation de nouveaux modèles (Bourgeois, 1996).
La théorie des oscillations
Margaret Stroebe et Henk Schut (1998) ont élaboré une théorie du deuil, la "théorie des oscillations ». Pour les auteurs, le travail de deuil consiste en une démarche consciente de confrontation à la perte subie, d'évocation des événements précédant la mort et concomitants à celle-ci, de concentration sur les souvenirs et de travail en vue de se détacher de la personne décédée. Tout individu en deuil oscille entre deux orientations : une vers le passé, la perte et les souvenirs, l'autre vers l'avenir, la reconstruction et les projets. Ce tiraillement permanent entre le passé et l'avenir, source d'inquiétudes et d'angoisses, rend compte du vécu des personnes au cours du travail de deuil. Au terme de ces oscillations entre la perte et la reconstruction de soi, l'endeuillé identifie de nouveaux rôles et une nouvelle identité. Cette capacité à réinvestir la vie indique que le processus de deuil est engagé.
Ces différents modèles théoriques ont donné lieu à des techniques et des pratiques d'accompagnement du deuil.
L'accompagnement des personnes en deuil
De nos jours l'Occident a tendance à rejeter le deuil social alors qu'il avait connu dans le passé des règles précises. Il s'agit donc de ne plus exprimer son chagrin, de ne plus l'imposer aux autres et d'éviter les signes extérieurs qui désignent la personne en deuil. Selon Thomas (1993), « cette agonie de deuil offre des aspects préjudiciables sur la bonne marche du travail de deuil qui a perdu ses points de repères et l'assistance de la communauté ». Or, même si le travail de deuil reste avant tout un processus personnel, il ne peut s'accomplir qu'en lien avec l'environnement.
Cependant, toujours selon Thomas, à ce rejet des rites funéraires et des règles du deuil social viennent se substituer des formes de soutien aux personnes en deuil. Le monde anglo-saxon a toujours prôné le volontariat. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni des groupes de personnes en deuil ont été mis en place dès la fin de la seconde Guerre mondiale. En France, dès 1945, avec la Fédération des associations des veuves civiles chefs de famille, les services sociaux vont se centrer sur les di ; fficultés économiques des veuves et des orphelins. Le soutien psychologique apporté autrefois par les œuvres catholiques cède la place au soutien social ; ce clivage persiste encore en France.
Depuis les années 70 dans les pays anglo-saxons et depuis une quinzaine d'années en France, un mouvement se développe, inspiré en partie de la médicalisation de la mort, visant à assurer l'aide aux endeuillées afin qu'ils puissent réaliser leur travail de deuil. Le Bereavement service de Saint Christopher's Hospice de Londres, composé d'un psychiatre consultant, de travailleurs sociaux et de bénévoles formés, prend en charge la personne en fin de vie ainsi que son entourage, avant et après la mort de celle-ci. Cette façon de procéder se généralise dans la plupart des unités de soins palliatifs au Royaume-Uni, au Canada et en France.
Des associations prennent également en considération les personnes en deuil. En Grande-Bretagne, l'association CRUSE possède un journal ; elle organise périodiquement des rencontres avec ou sans la présence d'un psychothérapeute, des visites, des sorties et des séances de discussion.
Les Anglo-Saxons sont passés à une phase d'évaluation ; mise en place dans tout le Commonwealth, depuis les Etats-Unis et le Canada, puis du Québec à la France, l'idée d'aider efficacement des endeuillés se révèle désormais bien établie. Plusieurs études montrent que les endeuillés suivis en groupe vont mieux que ceux livrés à eux-mêmes. L'amélioration porte aussi sur la consommation de psychotropes (anxiolytiques et antidépresseurs), les comportements addictifs et la dépression (Bacqué et Hanus, 2000).
Les lieux d'aide aux personnes en deuil en France
En France, il existe différents lieux et institutions qui proposent un accompagnement des personnes en deuil. Ils connaissent un essor significatif depuis ces cinq dernières années, notamment en lien avec le développement des soins palliatifs et la création d'unités de soins palliatifs (USP) et d'équipe mobiles de soins palliatifs (EMSP).
La présentation qui suit ne prétend nullement être exhaustive ; elle concerne surtout ce qui se fait dans la région parisienne.
Les Unités de soins palliatifs, USP et les Equipes mobiles de soins palliatifs, EMSP
Elles accueillent en priorité les personnes qui ont perdu un proche, ayant bénéficié à la fin de sa vie des soins de l'équipe d'une USP ou EMSP. Cependant, un certain nombre de ces lieux offrent leurs services également aux endeuillés dont le défunt n'a pas été suivi par ces équipes. Dans la plupart des cas, le soutien de la personne en deuil est assuré par un psychologue. Mais on trouve aussi, rattachées à des USP, des équipes de bénévoles. Ces institutions proposent souvent des entretiens individuels et des groupes d'entraide. Il s'agit de groupes soit « fermés »[1], circonscrits dans le temps, soit « ouverts », offrant à l'endeuillé un rendez-vous régulier auquel il se rendra s'il en ressent le besoin.
Les associations
Les associations d'endeuillés sont des lieux où ceux qui ont été touchés par un drame similaire se rencontrent et proposent leur temps et leur énergie pour aider ceux qui pourraient se trouver ultérieurement dans le ; s mêmes conditions. Leur rôle est d'offrir, dans un premier temps, une écoute empathique à l'égard de nouveaux endeuillés. Cependant, selon Broca (1997), « les personnes dans la plupart des cas non formées ou non professionnelles de l'écoute, peuvent être mises en difficulté transitoire car elles ne peuvent pas toujours juguler les réactions des endeuillés parfois très envahissantes ». La souffrance exprimée par les nouveaux venus peut réactiver leur propre deuil et ainsi les déstabiliser.
Néanmoins, leur action est cependant considérable car elle donne la possibilité à chaque endeuillé de pouvoir se comparer à des familles qui ont souffert dans des conditions analogues. Ce soutien moral constitue une aide que des professionnels ne peuvent pas fournir.
De nombreux endeuillés ne souhaitent pas rencontrer ces personnes car l'évocation de souvenirs se révèle souvent douloureuse. Le fait de rencontrer d'autres personnes endeuillées peut inquiéter et inciter à s'en éloigner.
Il existe par ailleurs des associations composées de professionnels (psychologues, animateurs, assistantes sociales) et de bénévoles d'accompagnement qui proposent des entretiens individuels et des groupes d'entraide ou de parole. Les groupes fermés sont souvent constitués en fonction de caractéristiques communes aux endeuillés (des parents qui ont perdu un enfant du même âge, des adolescents ou des enfants en deuil, des conjoints). Selon les associations (en fonction de leur modèle théorique et de leurs moyens financiers), les groupes se déroulent soit sur une année, à raison d'une rencontre mensuelle, soit sur quelques mois.
Un accompagnement est en outre proposé par des bénévoles, formés au soutien et bénéficiant de supervision. Ils offrent une écoute, en direct ou au téléphone. Plus récemment, une équipe de bénévoles se déplaçant au domicile de la personne en deuil a été mise en place par le Centre François-Xavier Bagnoud et la Maison Médicale Jeanne Garnier.
La formation des praticiens
L'accompagnement d'une personne en deuil suppose un savoir concernant le processus de deuil et l'écoute. Il impose également une prise de conscience de son propre cheminement par rapport au deuil et un savoir-faire face à la réalité de la perte. Outre les diverses théories sur le deuil abordées plus haut, Poletti (1999) souligne combien certains concepts d'analyse transactionnelle, de Gelstalt, d'utilisation et de création de rite s'avèrent utiles. Toujours selon cet auteur, l'approche de Rogers permet de conceptualiser ce savoir.
Cependant, que l'on soit bénévole ou professionnel, les interrogations surgissent au cours des expériences, toujours singulières, d'accompagnement. Dans la mesure où le parcours de chaque individu est unique, il existe non pas des recettes mais seulement des principes de base à moduler en fonction des situations. Ainsi, une formation aussi complète soit-elle, n'apparaît jamais suffisante.
Un soutien à long terme semble nécessaire pour permettre au praticien de réaliser son activité d'accompagnement. Les rencontres structurées et animées par un professionnel compétent représentent un temps d'élaboration et de conceptualisation indispensable pour les ac ; compagnants. Ces espaces de parole peuvent éviter un risque d'épuisement ou encore des interventions non aidantes. Là encore, divers modèles sont utilisés : groupe Balint, supervision animée par un psychanalyste, groupe d'analyse de pratiques. Poletti rappelle que la formation et le soutien des accompagnants est une « démarche » ; en cela, il est important d'évaluer les besoins, d'entendre les désirs et de trouver de nouveaux moyens pour y répondre.
Les formes d'aide
Groupe d'entraide et groupe de parole
Progressivement, toute une série de groupes se constitue. Ces groupes d'entraide sont proposés aux personnes en deuil, y compris plusieurs années après la perte. De nombreux groupes existent et sont de natures différentes : groupes de conjoints endeuillés (les premiers et les plus nombreux) ; groupes de parents qui ont perdu un enfant (groupe périnatal et groupe d'enfants plus âgés).
L'association des grands-parents européens propose des groupes autour des deuils de cette génération. Il existe des groupes d'enfants endeuillés qui s'adaptent aux différentes classes d'âge et sont regroupés autour d'activités distinctes.
Les groupes d'entraide ont été créés dans les pays anglo-saxons et au Canada. Il s'agit de groupe de personnes traversant des difficultés ou pertes semblables (mort d'un proche, maladie, divorce ...) qui désirent en parler et croient en l'aide mutuelle qu'elles peuvent s'apporter dans la reconstruction de leur vie. La demande de participation à un groupe d'entraide repose le plus souvent sur le sentiment exprimé par les personnes concernées que seuls ceux qui ont vécu une expérience similaire peuvent les comprendre (Ernoult-Delcourt et Davous, 2001).
Dans le groupe « ouvert », des dates régulières fixées par les organisateurs permettent aux participants de choisir ou non de se joindre aux rencontres proposées. La présence régulière n'est pas exigée et le nombre de participants varie en fonction des rencontres. En général, la participation n'est pas soumise à un terme ; néanmoins, certains groupes décident avec les participants d'une échéance avant de les introduire au sein du groupe.
Le groupe « fermé » propose à ses participants un nombre de rencontres défini à l'avance et planifié. L'engagement d'assister à toutes les rencontres est un préalable à l'intégration dans le groupe. Le nombre de participants, entre cinq et dix personnes sans compter les animateurs, est également déterminé au début du groupe et reste inchangé jusqu'à la fin.
Les réunions sont animées soit par un psychologue (comme c'est souvent le cas dans les USP et les EMSP), soit coanimées par deux personnes ; et dans ce cas, il n'y a pas nécessairement la présence d'un psychothérapeute, mais les personnes doivent être rompues aux techniques d'animation de groupe. Des thèmes précis peuvent être abordés à chaque réunion à partir des expériences personnelles. Il s'agit d'un lieu où l'on peut risquer une parole authentique sans être jugé ni considéré comme malade car aucune interprétation ni aucune analyse ne sont données. Il permet de réduire l'éventuelle marginalisation que subit de fait l'endeuillé et aide ainsi à la resocialisation, premier pas vers ; le travail de deuil. Dans ces groupes, la convivialité de l'accueil, de la réunion, de la salle est essentielle.
Les méthodes employées pour animer un groupe d'endeuillés sont nombreuses. Les plus courantes s'inspirent directement de la psychanalyse (psychodynamique de groupe), les autres des thérapies familiales. Les « conseillers en deuil » se tournent plus vers des méthodes gelstaltistes (accepter la nouvelle « forme » du champ affectif et social sans le partenaire) et parfois même comportementaliste (traiter le symptôme plus que la personne). Ces méthodes portent toutes leurs fruits, mais elles nécessitent un animateur aguerri. En effet, les patients de ces groupes de partage ou thérapeutiques s'avèrent extrêmement fragilisés par leur perte. Les risques de suicide ne sont pas négligeables, de même que les passages à l'acte ou les comportements nocifs.
La supervision des animateurs par un psychologue et/ou un psychanalyste est indispensable afin d'analyser les malaises, les interprétations, les différents mécanismes de défense en jeu dans ces rencontres.
Une question demeure entière pour tous ces groupes : faut-il constituer des groupes d'endeuillés en fonction de la cause du décès ? Les réponses sont très diverses. Associer des personnes dont les causes d deuil sont trop différentes gêne souvent pour bien aider les uns et les autres. Il faut en effet un minimum de langage commun sans pour autant dire exactement les mêmes mots.
L'accompagnement individuel
Ces institutions proposent des groupes mais aussi des entretiens individuels réalisés par des professionnels (psychologues, assistantes sociales) ou par des bénévoles. Ces entretiens sont conduits en face à face ou par téléphone. Il peut s'agir de rendez-vous ponctuels ou réguliers.
D'autres aides thérapeutiques existent, telles que la relaxation ou la sophrologie. Dans certaines situations, le recours à des thérapies médicamenteuses se révèle nécessaire.
Selon Bacqué et Hanus (2000), il est indispensable de rendre la société plus consciente des difficultés du deuil.
Cependant, le cadre institutionnel ou associatif n'est pas une réponse exclusive et n'intervient pas seul. Le travail de deuil s'effectue aussi sans le recours nécessaire à ce cadre et des familles inventent de façon spontanée des rituels de commémoration. Que la personne en deuil ne demeure pas seule et se sente accompagnée est essentiel ; qu'elle rencontre autour d'elle « générosité, lucidité, tendresse ; que soient prévus le cas échéant des jeux de rites et de symboles. Il n'est de guérison qu'à ce prix » (Thomas, 1993).
Camille Baussant-Crenn, Psychologue, HAD Croix-Saint-Simon
Références bibliographiques
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« Il n’y aurait ni musique ni besoin de musique s’il était possible de communiquer verbalement ce qui est facilement communiqué musicalement ». E. T. Gaston, 1958.
1. Historique et définitions .
La musique existe depuis plus de deux mille ans. Elle est présente dans toutes les cultures.
L’utilisation de ses propriétés pour guérir remonte au temps des Egyptiens. Au fil du temps, de l’Antiquité au Moyen Age ou à la Renaissance, l’utilisation de la musique, en lien avec les émotions qu’elle procure, est reconnue pour avoir un effet sur l’esprit, le psychique et le physique (O’KELLY, 1). Elle soigne les états de dépression, mélancoliques ou d’agitation ; elle éveille et stimule les émotions ; elle maîtrise et calme les pulsions (PATTE, 2).
Il faut attendre les années 1900 pour que soit reconnue la notion de profession de musicothérapeute (O’KELLY, 1).
Dans les années 1940/50, la musicothérapie est utilisée auprès des soldats convalescents pour tenter d’aider à soulager les traumatismes de la guerre, notamment l’anxiété et la dépression générée par celle-ci. (O’KELLY, 1).
En outre, l’évolution des techniques d’enregistrement et de reproduction musicale a fait évoluer la musicothérapie sous sa forme actuelle. (PATTE, 2).
La musicothérapie est définie comme " l’utilisation intentionnelle des propriétés et du potentiel de la musique et de son impact sur l’être humain " (MUNRO, 3).
PATTE, (2) précise que la musicothérapie " permet l’utilisation du monde sonore et musical sous toutes ses formes, y compris le geste et le mouvement, comme médiateur dans une relation d’aide ".
Appliquée aux soins palliatifs, PATTE, (2) reprend une formulation de MUNRO, définissant la musicothérapie comme " l’utilisation de la musique, de ses éléments et de leurs influences sur l’être humain pour aider l’intégration physiologique, psychologique et émotionnelle de l’individu pendant le traitement d’une maladie ou d’un handicap ".
Pour sa part, O’KELLY, (1) reprend la définition du Dr BUNT insistant sur la relation qui se crée et évolue entre le patient et le thérapeute comme support de ce travail.
2. La profession de musicothérapeute.
Des recherches et des études rigoureuses ont montré la nécessité de réunir et de former les personnes utilisant la musicothérapie. Cela a abouti à la création de divers instituts de musicothérapie à travers le monde (USA, UK, France...). (O’KELLY, 1).
Tous les auteurs s’accordent à insister sur la formation de musicothérapeute, qui doit être une profession à part entière.
L’accent est mis sur la nécessité d’une parfaite connaissance de la musique dans son intégralité ainsi que les connaissances concernant " les sciences comportementales, le traitement actuel des malades, les modèles éducatifs et médicaux et les approches thérapeutiques reconnues " (MUNRO, 3).
Concernant la musicothérapie en soins palliatifs, la place du musicothérapeute est au sein de l’équipe pluridisciplinaire.
Cette complémentarité est soulignée par MANDEL, (4) (depuis 1986, elle se fait donc en lien étroit avec les soignants qui sont susceptibles de transmettre les réactions des patients suite aux séances de musicothérapie.
Dans "Moments Musicaux", numéro spécial de Journal of palliative care (5) HARTLEY, (6) relate son expérience de musicothérapeute en soins palliatifs, au travers de divers exemples, ainsi ce que lui apporte ce travail auprès de patients en phase terminale , tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel et humain.
RYKOV, (7), quant à elle, met en avant la face cachée de cette profession. La complexité de cet exercice en soins palliatifs réside dans l’isolement professionnel (les mucicothérapeutes sont encore peu nombreux) ainsi que dans la gestion des émotions suscitées par l’utilisation de la musique auprès de ce type de patients.
3. Les méthodes.
Les classifications diffèrent selon les auteurs mais le principe reste le même.
L’adaptation des propositions musicales se fera selon les attentes, les besoins et les possibilités du patient, en tenant compte de la culture et des croyances de chacun.
3.1 Faire de la musique : interprétation sous forme traditionnelle ou sous forme d’improvisation. Le musicothérapeute peut jouer seul puis amener le patient à participer. Celui-ci peut alors improviser des " images sonores " qui ne nécessitent pas l’utilisation de mots difficiles à exprimer, ou reprendre, voire réinterpréter ce qu’il a entendu. " Ceci peut aider le patient à revivre un moment donné, à renforcer l’opinion qu’il a de lui-même ou à maintenir une certaine activité malgré la difficulté de faire face à une maladie en phase terminale "(MUNRO, 3). La technique active d’expression, de transposition du vécu dans la musique permet " de se restructurer afin de pouvoir être... ". (PATTE, 2).
3.2 Ecouter de la musique : selon les préférences du patient, il lui sera proposé diverses formes de musique qu’il pourra écouter et réécouter à tout moment : jour et nuit, en lien ou non avec les soins, dans des moments difficiles de la maladie pour pouvoir " toucher, réconforter, cicatriser, tout en entretenant le sentiment d’être compris ou stimulé ". (MUNRO, 3). La technique réceptive suscite des émotions qui pourront ensuite être verbalisées, dessinées...
La musique est " propice à la méditation, à la créativité ". (PATTE, 2).
Certaines musiques ont été spécialement composées pour être utilisées dans les séances de relaxation par exemple.
Ce sont les variations du son : hauteur, vitesse et rotation, qui amènent à l’apaisement et la détente. (SRAIKI, 8).
3.3 Ecriture de chansons : permet l’expression d’idées ou d’émotions de manière différente, guidée par le musicothérapeute. La mélodie sera alors inventée ou reprise dans le répertoire déjà existant. " Ce processus créatif laisse place à la réflexion, à l’introspection ou à la diversion ". (MUNRO, 3).
Ce travail peut être effectué individuellement pour " un travail personnel en profondeur " ou en groupe (plusieurs patients, le patient et sa famille, voire le patient et des soignants) insistant alors sur " la socialisation et la communication ". (PATTE, 2).
4. Les objectifs de la musicothérapie.
"La musique influence toute personne en dépit de ses mécanismes de défense . Son utilisation par les musicothérapeutes a pour objectif une action sur les plans physique, psychologique et social. (PATTE, 2).
4.1 Le contrôle des symptômes : Plusieurs recherches sur la musicothérapie ont abouti à la conclusion que la musique agit comme un stimulus sur notre organisme, indépendamment de notre volonté. La musique pourrait ainsi estomper d’autres stimuli, modifier inconsciemment l’humeur, voire modifier notre respiration ou provoquer des décharges d’endorphines. (PATTE, 2).
"....quand la perception consciente par la voie corticale n’existe plus, les sensations et les sentiments peuvent être éveillés et atteindre la personne, alors que sur le plan intellectuel, ils sont devenus inaccessibles ". (OGAY dans REYT, 9).
La musicothérapie peut donc être utilisée pour compléter des traitements dans la gestion de la douleur (GALLAGHER et STEELE,10 - MANDEL, 4). Par une gestion globale de la douleur, tenant compte du confort, de la qualité de vie et du bien-être psychique du patient, la musique permet de faire émerger le vécu douloureux du malade mais aussi de pouvoir accéder à l’apaisement et au repos. (MAGILL, 11).
MUNRO, (3) nous alerte sur la bonne utilisation de la musicothérapie qui, mal introduite, " peut aggraver le processus douloureux ".
"La qualité transcendantale de la musique peut atteindre une personne au-delà de la raison et de l’analyse..., la combinaison des vibrations rythmées et des ondes sonores musicales réussit à percer l’irrationnel, l’anxiété ou la résistance intangible et inexplicable aux médicaments et autres mesures de soutien " (MUNRO, 3).
La fonction relaxante de la musique permet d’agir sur l’anxiété, voire l’agitation des patients. (MANDEL, 4).
Concernant les troubles du sommeil, ARNAUD, (12) propose la musicothérapie comme " méthode de soins non médicamenteuse ", accompagnée ou non d’un massage ou d’un dialogue.
En ce qui concerne les troubles respiratoires, MANDEL, (4) reprend son expérience avec Sally qui arrive, grâce à la musique, mieux maîtriser sa respiration. "Les vibrations rythmées et les ondes sonores musicales affectent le pouls, la fonction cérébrale et la fréquence respiratoire... " (MUNRO, 3).
GALLAGHER et STEELE,(10) présentent une base de données informatisée sur l’évaluation de l’efficacité de la musicothérapie sur les symptômes courants. Leurs résultats concernant les détresses respiratoires ne montrent pas d’amélioration tangible sur celles-ci.
4.2 La resocialisation : " La musique favorise l’interaction sociale, entretient le sentiment de communauté et permet de sortir les individus de leur isolement en les plongeant dans un vécu partagé ". (MUNRO, 3).
Les expériences relatées sont diverses, notamment en lien avec les familles des patients pour les aider à gérer ensemble les sentiments de perte, d’anxiété, de désespoir... (HILLIARD, 13). Le fait de pouvoir partager des moments d’émotion et de réflexion apporte aux malades la sensation d’être au-delà de la maladie, de dépasser leur sentiment de dépendance et d’incapacité. Le partage crée du lien entre les êtres humains. (O’KELLY, 1). " La musicothérapie active encourage la mobilité, la motivation, l’autonomie et la socialisation ". (PATTE, 2).
4.3 Le travail de deuil :
De même que lors du processus de la maladie et de la fin de vie, la musicothérapie peut aider à identifier et verbaliser les émotions des proches en deuil.
D’autre part, le souvenir laissé par le défunt d’une séance de partage par le biais de la musique ou le témoignage laissé à travers l’écriture d’une chanson peut tenir une place importante dans le travail de deuil. (MANDEL, 4, MUNRO,3 PATTE,2, HILLIARD, 13).
Pour conclure , tous les auteurs se rejoignent dans l’idée que la musicothérapie en soins palliatifs intervient dans une démarche holistique. Elle est un " élément participant aux traitements ". (MUNRO, 3). Le musicothérapeute a sa place dans une prise en charge globale d’un patient en fin de vie par une équipe pluridisciplinaire. (MANDEL, 4, PATTE, 2).
" Plutôt que guérir le mal, nous demandons à la musique de mobiliser tout ce qui est sain, toutes les forces vitales de chacun, pour combattre l’agression. C’est l’énergie " musique " que nous sollicitons, cherchant à faire jaillir l’énergie là où elle s’est tarie, à la régulariser et à harmoniser les êtres ". (MAURY dans ARNAUD, 12).
" C’est la puissance de la musique qui, apportant un sens à la vie, en fait plus que tout une thérapie précieuse de la médecine palliative ". (MUNRO, 3). Enfin, pour REYT,(), montre que la musicothérapie peut être une ressource pour combattre l’épuisement professionnel.
La musique est ainsi "médiatrice de la relation" pour tous les acteurs du soin, patients, entourage et soignants.
Pascale Charpentier, Infirmière, Centre François-Xavier Bagnoud
Références bibliographiques
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7. RYKOV, MH. - Facing the music : speculations of the dark side of our moon - Journal of palliative care, 2001, 17, 3, 188-192
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9. REYT, X. - L’épuisement du soignant face à la mort : une réalité, des réponses. In : DU Soins palliatifs, Clermont-Ferrand, 1999
10. GALLAGHER, LM, STEELE, AL. - Developing and using a computerized data base for music therapy in palliative medicine. - Journal of palliative care, 2001, 17, 3, 147-154
11. MAGILL,L.- The use of music therapy to adress the suffering in advanced cancer pain. - Journal of palliative care, 2001, 17, 3, 167-172
12. ARNAUD, C. - La nuit paraît longue à la douleur qui veille. In : DU Soins palliatifs, Clermont-Ferrand, 1999
13. HILLIARD, RE. - The use of music therapy in meeting the multidimensional needs of hospice patients and families. - Journal of palliative care, 2001, 17, 3, 161-166
Rapprocher les termes "traitements invasifs" et "soins palliatifs" peut paraître surprenant, les soins palliatifs se définissant classiquement comme les moins agressifs possible, soucieux du confort du patient, privilégiant plutôt la qualité de vie que sa durée. Les traitements invasifs sembleraient plus indiqués dans une phase peu avancée de la maladie lorsqu’un espoir de guérison est encore possible et justifie la violence sous-entendue par ces mots.
Cette contradiction a été le point de départ d’une étude des pratiques quotidiennes de l’équipe soignante du centre François Xavier Bagnoud, spécialisée dans les soins palliatifs à domicile.
La prise en charge des patients en fin de vie nécessite un contrôle optimal de la douleur et des autres symptômes pénibles. En outre, le domicile impose aux soignants de travailler en permanence sous le regard des familles, regard souvent aiguisé par une longue histoire de souffrance et de maladie, regard parfois sidéré aussi par la rapidité d’une aggravation inconcevable.
Le choix du traitement, comme sa façon de l’administrer, doit alors répondre à des impératifs spécifiques. Il s’agit de prendre en compte la capacité de l’entourage de comprendre et d’adopter ce traitement afin de s’intégrer à l’environnement du patient en respectant son histoire.
Il est courant d’utiliser la métaphore de la guerre pour évoquer la maladie ou certains actes médicaux . En effet, nous nous battons contre le cancer ; nous mobilisons nos défenses immunitaires, la chimiothérapie matraque les cellules, la radiothérapie bombarde les tumeurs, il va maintenant falloir utiliser l’artillerie lourde, …et ça n’est que ce matin, après avoir lutté contre une longue maladie que Monsieur Z a cessé le combat…et qu’il est mort…Nous avons tous utilisé ou entendu ces expressions.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner devant des propositions de traitements invasifs, de soins invasifs, de matériel invasif.
Dans cette occupation massive du terrain par la maladie, les soins palliatifs ont-ils quelque chose à dire ?
Ils sont nés d’un cri de révolte contre des pratiques soignantes jugées excessives, acharnement ou abandon. Que peuvent-ils apporter dans l’exercice de soins quotidiens auprès de malades dont la guérison n’est plus possible et dont les jours sont comptés ?
Méthode
Dans la pratique courante de soins à domicile spécialisés en soins palliatifs, il semble que nous n’utilisons que très rarement les dispositifs intaveineux de longue durée (PAC), tout simplement parce que peu de malades en sont porteurs ; mais il semble aussi que lorsqu’un dispositif est en place, il est très volontiers utilisé.
Afin de vérifier cette hypothèse, une recherche a été menée dans le cadre d’un service d’hospitalisation à domicile spécialisé en soins palliatifs. Nous avons analysé 60 dossiers de malades pris en charge au cours de l’année 2000.
Cette étude, s’est appuyée sur les questions suivantes :
* quels sont les dispositifs que nous utilisons le plus couramment ?
* pour quels types de traitement ?
* quelle forme d’"invasion" tolérons-nous ?
* le contexte singulier du domicile, dans le cadre des soins palliatifs, intervient-il dans la prise de décisions concernant un traitement ?
Résultats
* Sur 60 malades, 12 étaient porteurs de sites implantables au moment de leur admission. 1 seul malade a fait l’objet d’une demande de pose de PAC de la part de son médecin traitant et de notre équipe.
* Sur 13 sites implantables, 7 ont été utilisés, 6 n’ont jamais servi dont 1 signalé d’emblée comme non fonctionnel.
* La voie sous-cutanée a été utilisée chez 20 malades : 18 qui n’avaient pas de PAC et 2 qui en avaient un mais chez qui cette voie a été préférée.
* A noter que 4 des 5 patients qui ont été hydratés ou alimentés par voie intraveineuse centrale l’ont été sur prescription émanant de médecins hospitaliers, autrement dit ce sont des patients qui sont rentrés chez eux perfusés ;
* 3 d’entre eux ont été déperfusés dans un délai de 24 heures à 5 jours suivant leur retour, et sont décédés à leur domicile sans avoir besoin d’être reperfusés, leur hydratation per os étant jugée satisfaisante ;
* Un seul a gardé ses perfusions une quinzaine de jours puis a été hospitalisé dans une U.S.P.
* Contrairement aux patients perfusés par voie veineuse, les 20 qui l’ont été par voie sous-cutanée ont conservé cette perfusion, qu’elle soit médicamenteuse ou d’hydratation, jusqu’à leur décès.
Discussion
Les hypothèses suivantes pourraient expliquer le petit nombre de patients porteurs de PAC :
* Un PAC a été posé dès les premières cures de chimiothérapie puis retiré à la fin de celles-ci. Une récidive intervient longtemps après, d’emblée gravissime, sans traitement possible.
* Le cancer est découvert tardivement, à un stade très avancé, polymétastatique, il n’y a pas de traitement possible ou bien le patient refuse tout traitement.
* Enfin, le patient ne présente pas de cancer mais une polypathologie liée au grand âge, il n’a dans ce cas aucune raison d’avoir un PAC.
L’utilisation de la voie intraveineuse a été indiquée dans les cas ci-dessous :
* Une hydratation ou une alimentation parentérale par voie centrale.
* L’administration d’antalgique, anxiolytique, mais aussi d’anticonvulsivant, antisécrétoire ou neuroleptique.
La voie sous-cutanée est une réelle alternative à la voie veineuse centrale dans les nombreux cas où celle-ci est absente et ne peut pas s’envisager du fait de la précarité de l’état du patient.
Elle convient à la plupart des traitements nécessaires à traiter les symptômes pénibles dans les dernières semaines de la vie.
Dans certains cas, elle peut lui être préférée pour plusieurs raisons :
* C’est une technique simple qui n’entraîne qu’un inconfort minime pour le patient (il y a tout de même une aiguille qui doit faire l’objet d’une surveillance attentive !) et peu d’inquiétude pour les familles ;
* Elle est sans risques ce qui peut libérer l’entourage d’une surveillance quasi obligatoire dans le cas d’une voie veineuse centrale ; ce qui peut ouvrir aussi, éventuellement, à l’entourage un espace de relation autre et le sortir d’une position de soignant-obligé ;
* Le fait que l’alimentation ne soit pas possible de cette façon impose par ailleurs au soignant un vrai dialogue avec le patient et sa famille à propos des indications des traitements, On sait combien les familles sont parfois pressantes en ce qui concerne la poursuite d’une alimentation devenue impossible, voire inutile ou refusée par le malade lui-même. Les interrogations qui surgissent à ce moment là sont souvent douloureuses et entraînent parfois une prise de conscience violente que la fin se rapproche. Il s’agit pour le soignant d’être présent aussi sur ce terrain là, terrain souvent escarpé et plein d’imprévus.
Conclusion
A domicile, l’adhésion de la famille, quand elle existe, et du malade, tant qu’il peut le faire, aux propositions thérapeutiques est un objectif de soins commun à toutes les situations.
Le soutien, que les soignants s’efforcent d’apporter dans la confrontation à l’inacceptable qu’est la mort, constitue l’autre aspect de notre prise en charge, indissociable du premier.
Ce n’est plus tant au combat contre la maladie qu’à une réflexion commune que les soignants sont invités, réflexion visant une cohérence des soins pour le meilleur confort possible.
La facilité d’administration que représente la voie intraveineuse centrale de même que la banalisation de certains gestes peut être un obstacle à cette réflexion.
Le rapport entre les bénéfices escomptés et les inconvénients redoutés doit guider l’orientation de tout traitement, de tout soin, ce rapport ne peut être établi qu’avec l’aide des observations de tous les intervenants.
Dans cette optique, les dispositifs intraveineux de longue durée peuvent représenter un progrès, leur présence ne dispense en aucun cas les équipes soignantes, quel que soit leur domaine d’activité, de la réflexion et de la concertation.
Delphine Vitry, Infirmière, Centre François-Xavier Bagnoud
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L’accréditation des structures de soins palliatifs
Définitions
Trois principes méthodologiques président à l’amélioration continue de la qualité.
* 1. toute activité dans un établissement peut être décrite sous forme de processus ; ces processus sont analysés dans leur fonctionnement actuel (état de lieux initial)
* 2. Cet état des lieux sert à identifier les dysfonctionnements en situation réelle et les actions d’amélioration éventuelles ;
* 3. l’efficacité de toute amélioration doit être objectivée par une mesure.
Ainsi, la procédure d’amélioration continue de la qualité proposée sous le nom d’accréditation par l’ANAES prend la définition suivante :
"il s’agit d’une procédure d’évaluation externe à un établissement de santé, effectuée par les professionnels, indépendante de l’établissement de santé et de ses organismes de tutelles, concernant l’ensemble de son fonctionnement et de ses pratiques. Elle vise à s’assurer que les conditions de sécurité et de qualité des soins et de prise en charge du patient sont prises en compte par l’établissement de santé." 1
Les structures concernées sont :
* tous les établissement de santé civils publics et privés,
* les réseaux de soins,
* les groupements de coopération sanitaire.
L’accréditation ne concerne ni les activités médico-sociales, ni les activités d’enseignement et de recherche.
Description de la procédure 2
L’établissement passe avec l’ANAES un contrat d’accréditation qui contient les termes selon lesquels la procédure va se dérouler (calendrier de déroulement des différentes étapes, dimensionnement de la visite, contribution financière). Ce contrat est porté à la connaissance de l’Agence Régionale d’Hospitalisation.
L’auto-évaluation est l’étape essentielle de la procédure. Ce sont les professionnels eux-mêmes qui la mènent, aidés par le " manuel d’accréditation ", un guide pédagogique conçu par l’ANAES et disponible en ligne 3. La trame de cette auto-évaluation s’articule autour de trois sujets appelés référentiels. Chaque référentiel est décrit par une série de références, qui sont autant de " résultats attendus ", desquels il faut se rapprocher dans le cadre d’un processus d’amélioration de la qualité des soins. Chaque référence fait l’objet d’une réflexion et d’une analyse :
* soit en terme d’écart entre le résultat observé et le résultat attendu,
* soit en terme de moyens mis en œuvre pour parvenir au résultat attendu,
* soit les deux.
Cet état des lieux décrit le projet évalué : c’est le DIAGNOSTIC QUALITE. C’est la première phase.
Munie des résultats de cette auto-évaluation, une équipe de trois experts visiteurs, multidisciplinaire (un médecin, un paramédical et un administratif), professionnels issus des mêmes métiers de la santé, expérimentés, exercés au fonctionnement des établissements de santé, formés par l’ANAES intervient ensuite pour un audit que l’on appelle la " visite ". L’audit est réalisé au cours d’une visite planifiée et préparée par l’établissement de santé. Cette visite a pour objectif d’apprécier avec l’établissement de santé la dynamique d’amélioration continue de la qualité, en s’appuyant sur les résultats de son auto-évaluation 4". Les experts visiteurs utilisent le " Guide de l’expert visiteur ", également publié par l’ANAES pour mener à bien leur mission.
Le rapport des experts est établi à partir de l’auto évaluation et des conclusions de la visite d’accréditation. Il traduit LA DEMARCHE D’AMELIORATION DE LA QUALITE mise en œuvre par l’établissement pour se rapprocher des résultats attendus. C’est la seconde phase.
Ce rapport est soumis au Collège de l’accréditation, composé de 11 membres représentatifs. A l’issue de son examen, ce Collège décide s’il a été satisfait à la procédure d’accréditation. Est rédigé alors un rapport d’Accréditation qui comporte l’ensemble des conclusions pertinentes du rapport des experts, l’intégralité des observations de l’établissement et les conclusions du Collège de l’accréditation en termes d’appréciations, de recommandations et de modalités de suivi de ces recommandations par l’établissement et l’ANAES. Le rapport d’accréditation est transmis au directeur de l’ARH. La contestation par l’établissement de santé des conclusions est possible.
L’accréditation étant renouvelable, de par sa méthodologie précise et standardisée, elle permet la comparabilité entre plusieurs structures à même vocation ou avec soi-même à des temps différents.
Le processus aboutit ainsi, au terme de 18 à 24 mois, à une ACCREDITATION qu’il faut renouveler tous les cinq ans. C’est la troisième phase et la fin du cycle.
On voit bien que l’objectif de cette démarche est de promouvoir au sein des équipes une dynamique d’auto-apprentissage et d’amélioration continue de la qualité, aidées en cela par l’ANAES.
Contenu de l’accréditation
Définitions 5.
* Le référentiel d’accréditation est un ensemble de références couvrant un domaine d’activité d’un établissement de santé. Ils sont structurés sur la base de références d’accréditation elles-mêmes déclinées en critères. Ils couvrent l’ensemble des activités des établissements de santé dans une approche transversale. Ils constituent des thèmes d’évaluation.
* La référence d’accréditation est " l’énoncé d’une attente ou d’une exigence permettant de satisfaire la délivrance de soins ou de prestations de qualité ". Il s’agit d’un résultat attendu. Chaque référentiel est décrit par une série de références qui sont des affirmations positives (ou résultats attendus).
* Le critère est " l’énoncé d’un moyen ou d’un élément plus précis permettant de satisfaire la référence d’accréditation. Il doit être mesurable, objectif et réalisable. (…) Les critères ne sont pas exhaustifs, l’établissement peut développer ses propres critères. ". Chaque référence est décrite par une série de critères.
* Un indicateur est une donnée objective qui décrit une situation d’un point de vue quantitatif. Il permet de caractériser une situation et d’effectuer des comparaisons dans le temps et dans l’espace. On distingue les indicateurs de processus et des indicateurs de résultats.
Ainsi trouve-t-on 3 chapitres, 10 référentiels ou ensemble de références, 76 références ou résultats attendus et 299 critères proposés dans le Manuel d’accréditation 6. L’établissement peut développer d’autres critères et proposer ses propres références ou résultats attendus pour atteindre l’objectif. Il doit en faire état.
L’équipe d’auto-évaluation apporte pour chaque critère des réponses simples, opposables, documentées et objectives. Ces réponses permettent la création d’indicateurs internes, lesquels sont spécifiques à l’établissement étudié, de ses objectifs, de son activité et de son fonctionnement.
Apport de la SFAP (commission d’accréditation)
La SFAP a approuvé au conseil d’administration du 9 mai 2000 un document qui vise à compléter les référentiels en ce qui concerne l’activité de soins palliatifs et de lutte contre la douleur 7. Les équipes de soins palliatifs sont invitées à s’en inspirer dans le cadre de leur propre démarche d’accréditation.
Les soins palliatifs et la lutte contre la douleur se pratiquent dans quatre types de structures que sont :
* L’hôpital
* Le service clinique conventionnel
* L’unité de soins palliatifs
* L’équipe mobile de soins palliatifs
Pour chacune de ces structures sont proposées des références et des critères qui définissent des niveaux de qualité à atteindre en termes de
* structures et de moyens, puis de
* procédures et de stratégies, puis de
* résultats et enfin
* d’auto-évaluation..
Chaque référence est côtée de 1 (non conforme) à 4 (conformité totale avec réponse documentée) ou en oui (côte 4)/non (côte 1). Ces scores définissent un niveau de conformité.
Pour l’hôpital : seuls les structures, les moyens et les procédures sont envisagés.
Sont étudiés les locaux (locaux spécifiques pour accueillir les familles, funerarium), le personnel (formation reçue en soins palliatifs, existence d’un référent en soins palliatifs au sein de l’établissement), l’existence des bénévoles et d’une réflexion multidisciplinaire sur la prise en charge en soins palliatifs dans l’hôpital.
Pour les services cliniques conventionnels
Les locaux sont étudiés en faisant intervenir des critères plus exigeants : équipement des chambres, lieux d’accueil réservés aux familles, salle de réunion indépendante, équipement de la salle de bains, du funerarium. Le degré de formation du personnel est étudié ainsi que la multidisciplinarité de l’équipe et ses effectifs. L’existence d’un soutien psychothérapeute est envisagée ainsi que la présence de bénévoles. L’équipe applique des procédures établies ensemble, validées et faisant référence aux scores pronostics (Karnovski, OMS). L’enseignement dispensé aux étudiants est évalué. L’analyse des résultats est réalisée à partir des rapports d’activité et à l’occasion des conseils de service (auto-évaluation)
Pour l’unité de soins palliatifs
La disposition des locaux est estimée. L’équipe est constituée d’un minimum d’équivalents temps plein infirmier, médical et psychologue qui sont définis par la SFAP et sont évalués lors de l’accréditation. Un certain nombre de procédures devraient exister telles que la permanence téléphonique, la formation des pairs dans les services ou encore la diffusion de protocoles… Le dossier patient est examiné, devant être conforme à la législation et contenir un certain nombre d’information qui sont précisées. La formation doit être dispensée à des stagiaires et à des étudiants. Il devrait exister un lieu de documentation et de recherche. Les résultats sont étudiés à l’occasion du rapport annuel (auto-évaluation).
Pour l’équipe mobile de soins palliatifs
Les locaux sont construits selon une architecture précise adaptée à ses missions de soins, de documentation de formation, de recherche et de conseil.. Le personnel est en nombre suffisant, devrait bénéficier d’une relative sécurité d’emploi (titulaires de leur poste), être soutenus et formés. Les effectifs devraient correspondre aux références définies par la SFAP, à savoir un temps plein médical, un temps plein infirmier, un mi-temps psychologue et un mi-temps secrétaire. Le niveau de formation de ces professionnels est évalué. La collaboration d’autres intervenants (kinésithérapeutes, ergothérapeutes, assistante sociale, diététicienne etc) et les modalités de participation des bénévoles à la vie de l’équipe sont étudiées. Le fonctionnement quotidien est analysé en termes de réunions, d’objectifs de soins, d’accompagnement des proches et de tenue du dossier. La continuité et la rapidité des réponses fournies par l’équipe sont analysées. La formation dispensée et la diffusion de protocoles sont évalués ainsi que les activités de documentation et de recherche. La publication des résultats est l’occasion de revoir les objectifs. L’existence d’une démarche qualité est appréciée.
Pour le domicile
La prise en charge palliative au " domicile " constituera une cinquième structure qui sera évaluée dans les mêmes termes. Les références seront élaborées à partir des expériences actuellement en cours.
En conclusion
L’accréditation invite à mener une réflexion sur la signification et les principes d’une amélioration continue de la qualité des soins prodigués au patient. Cette démarche nécessite une intense communication interne afin de susciter une participation très large des acteurs de santé concernés, une approche multidisciplinaire et transversale.
Les équipes de soins palliatifs sont invitées à s’engager dans cette démarche en suivant certes les instructions proposées par l’ANAES mais surtout en s’appropriant et en y ajoutant celles de la SFAP dans un esprit d’ouverture et de progrès. Cette démarche peut permettre d’améliorer, en ce qui concerne les équipes mobiles, les prestations auprès des malades (composition et formation des membres de l’équipe, auprès des familles (locaux, accueil), et auprès des soignants (réunions, locaux, moyens de communication).
L’accréditation peut aussi se voir comme un moyen parmi d’autres 8 de proposer aux hôpitaux et aux services conventionnels des objectifs qui les aident à s’approprier une démarche palliative. Elle devra certainement dans un avenir plus ou moins lointain, prendre en compte outre les structures, procédures et résultats, les liens qui existent entre les différentes approches : des unités mobiles, des services conventionnels mettant en œuvre des démarches palliatives, des unités fixes et de toute autre approche future.
Le mouvement des soins palliatifs trouve là un excellent moyen de tester et de valider un certain nombre de standards issus de la pratique des soins palliatifs en vue de convaincre l’ANAES de les intégrer dans les référentiels qu’elle recommande.
Annexe : exemple
Référentiel 7 : Gestion du système d’information (GSI, 4 références)
1. Référence 1 (GSI 1) : Une politique des systèmes d’information est définie et mise en œuvre.
* Critère 1 (GSI 1 a) : Le système d’information et l’informatisation de l’établissement sont fondés sur un schéma directeur, cohérent avec le projet d’établissement et élaboré de manière participative.
* Critère 2 (GSI 1 b) : Le système d’information couvre l’ensemble des activités de l’établissement et favorise une approche et une utilisation coordonnées et efficaces de l’information, notamment sur la politique d’évaluation.
* Critère 3 (GSI 1 c) : Les instances concernées sont impliquées dans le suivi du schéma directeur de l’information.
2. Référence 2 (GSI 2) : Les mesures nécessaires à la protection de la confidentialité, à la sécurité des informations concernant les patients et au respect de leurs droits dans la gestion de l’information sont prises.
* Critère 1 (GSI 2 a) : Une politique est définie, conduite et connue des professionnels en ce qui concerne la protection de la confidentialité des informations concernant les patients.
* Critère 2 (GSI 2 b) : La sécurité des données et de leur accès est organisé.
* Critère 3 (GSI 2 c) : Tous les traitements informatisés nominatifs sont déclarés à la CNIL.
3. Référence 3 (GSI 3) : Un secteur d’activité chargé de l’information médicale, le DIM ou son équivalent, est en place pour organiser au sein de l’établissement le recueil et la gestion de l’information médicale.
* Critère 1 (GSI 3 a) : Un responsable du secteur d’activité chargé de l’information médical est identifié.
* Critère 2 (GSI 3 b) : Les missions du secteur d’activité chargé de l’information médicale sont définies par la direction après avis de la CME et donnent lieu à un règlement intérieur.
* Critère 3 (GSI 3 c) : L’utilisation des informations médicalisées en termes de traitements effectués et de méthodes utilisées est soumise à l’avis de la CME.
* Critère 4 (GSI 3 d) : Le secteur d’activité chargé de l’information médicale met en œuvre les actions nécessaires pour garantir et connaître la qualité des données médicales du système d’information produites (PMSI).
4. Référence 4 (GSI 4) : Le système d’information répond aux besoins des professionnels utilisateurs et fait l’objet d’une politique d’amélioration continue de la qualité 9.
* Critère 1 (GSI 4 a) : Une procédure régulière visant à recueillir des informations sur les besoins, l’avis et la satisfaction des professionnels utilisateurs est en place.
* Critère 2 (GSI 4 b) : Les dysfonctionnements du système d’information sont recensés, analysés et traités.
* Critère 3 (GSI 4 c) : Un plan d’amélioration de la qualité du système d’information, aux priorités hiérarchisées et auquel participent les professionnels utilisateurs est en place.
1 Manuel d’accréditation des établissements de santé. Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation de la Santé. Février 1999. Page 9.
2 A. SENTILHES-MONKAM. Evaluation d’un centre de soins palliatifs à domicile. Mémoire du DU d’Evaluation Médicale Université de Marseille Année 2000.
3 Préparer et conduire votre démarche d’accréditation. Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation de la Santé.
4 Manuel d’accréditation des établissements de santé. Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation de la Santé. Février 1999. Page 23.
5 Manuel d’accréditation des établissements de santé. Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation de la Santé. Février 1999. Page 32.
6 Le Manuel d’accréditation est téléchargeable gratuitement au site de l’ANAES : www.ANAES.fr
7 Référentiel d’accréditation SFAP Version Mai 2000. Commission d’accréditation.
8 Le GRASPH (Groupe de Recherche en Soins Palliatifs et Hématologie) propose aux services conventionnels une " Démarche Palliative " constituée d’un ensemble de procédures non spécifiques ne requérant pas l’intervention systématique des équipes mobiles qui peuvent en revanche accompagner la démarche du service.
9 Manuel d’accréditation des établissements de santé. Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation de la Santé. Février 1999. Chapitre 4, 39-98.
Angélique Sentilhes-Monkham, Médecin, Centre François-Xavier Bagnoud